Blueberry est bien vivant !

Mille putois, un nouveau « Blueberry » ?! Oui, et même l’équivalent d’un double d’environ 120 pages, en grand format. Pour les histoires courtes, il y a du beau monde : Anlor, Dominique Bertail, Michel Blanc-Dumont, Alexandre Coutelis, Paul Gastine, Enrico Marini, Félix Meynet, Corentin Rouge, Olivier Taduc, Ronan Toulhoat, Philippe Xavier, et bien d’autres…

Une chasse au grizzly vue par Dominique Bertail.

Tout juste 60 ans après « Fort Navajo », le premier album, 20 ans après le dernier album original (« Dust »), et bien après le décès des deux pères du personnage — Jean-Michel Charlier en 1989 et Jean Giraud en 2012 (1) —, Mike Steve Blueberry est vivant dans le cœur des lecteurs et d’abord des dessinateurs et scénaristes qui ont grandi avec lui. Ils viennent payer leur tribut, tout simplement : la reconnaissance et l’admiration sont palpables à chaque page. Connaisseur de « Blueberry » ou non, quels que soient la culture personnelle et l’âge du lecteur, celui-ci sera comblé par la plupart de ces histoires et leurs mises en image.

L’enfance de Blueberry vue par Anlor et d’Olivier Bocquet.

Comme dans tout album d’hommage collectif, la variété est au rendez-vous : ce qui permet à chacun d’apprécier certaines histoires plus que d’autres. Dans un parti pris chronologique, l’album s’ouvre sur un fragment savoureux de l’enfance de Mike, dans le Sud donc, ami avec une fille d’esclave noir : un habile traitement, un brin décalé, d’Anlor au dessin et d’Olivier Bocquet au scénario.

Une enquête à Palomito vue par Alberto Belmonte et Fred Duval.

Blueberry vu par Milo Manara.

Restant dans l’éloignement du style graphique original, l’histoire de Fred Duval — où le marshall Blueberry enquête à Palomito — est mise en peinture par Alberto Belmonte de façon saisissante, via des ambiances brumeuses et de beaux effets de lumière.

Également décalés, mais tout autant réussis, les apports de Thierry Martin (« La Sacoche de Mac Guffin ») et d’Alexandre Coutelis (« Un peu de poudre noire dans le vent ») offrent une respiration iconoclaste parmi les autres bandes, beaucoup plus réalistes.

On retrouve aussi le style semi-réaliste de Félix Meynet, lequel explore un épisode autour d’« Angel Face » : avec la grand-mère aperçue dans ce titre et surtout la fille de celle-ci (Janet) et son amie Rosa, que Blueberry défend contre des rascals.

Un épisode après « Angel Face » vu par Félix Meynet.

Un carré d’as de valeurs sûres de la bande dessinée d’aventure et parfois de western, gardant toutefois leur univers très marqué, est aussi au sommaire ! Enrico Marini, avec « For One Dollar More », s’amuse à mettre en scène le héros dans une sorte de western italien dont il reprend certains codes (comme un poncho pour Blueberry, des bandits mexicains, et un humour bien leonien) : jubilatoire !

« For One Dollar More » par Enrico Marini.

Dans une histoire inattendue autour d’une chasse au grizzly, Dominique Bertail signe l’une des intrigues les plus originales, traitée dans les tons bruns. Quant à l’hyperdoué Paul Gastine (avec l’aide de Jérôme Félix au scénario), il imagine Blueberry et Jimmy McClure effondrés à la mort de leur grand ami Red Neck Wooley et volant son corps déposé dans un local avant la cérémonie.

La mort de Red Neck vue par Paul Gastine et Jérôme Félix.

Par ailleurs, Corentin Rouge nous émeut dans cette histoire de Blueberry, désormais vieux — avec barbe et cheveux blancs, en 1910 — et installé avec une Indienne et leur fils, faisant la connaissance d’un mystérieux jeune homme blond. Rouge a opté pour la simplicité du trait, en correspondance avec le ton, émouvant et personnel.

Blueberry vieux vu par Corentin Rouge.

Dans une troisième catégorie de style graphique, d’autres dessinateurs — pour la plupart passés maîtres dans le genre western — raviront les admirateurs de la série, pour leur proximité avec celle-ci.

Repreneur de la série parallèle « La Jeunesse de Blueberry », pour une vingtaine d’albums, le chevronné Michel Blanc-Dumont imagine, avec Jean-François Vivier au scénario, la rencontre clin d’œil du héros avec Jonathan Cartland : le trappeur qu’il avait créé avec Laurence Harlé.

Rencontre avec Jonathan Cartland vue par Michel Blanc-Dumont et Jean-François Vivier.

Avec « Un bon Blue Belly », Ronan Toulhoat a pris un plaisir évident à décrire un épisode écrit par son complice Vincent Brugeas et situé juste avant « Fort Navajo » : donc, avant la toute première affectation de Blueberry post-guerre de Sécession. Le récit, heureusement assez long, nous entraîne d’une partie de cartes dans un saloon au guet-apens d’une diligence transportant le futur collègue du héros (le lieutenant Craig) par des bandits sudistes, obligeant Blueberry à participer. Le scénario et le dessin sont intenses, violents à souhait, très expressifs, y compris dans les couleurs : une réussite totale.

« Un bon Blue Belly » par Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas.

Philippe Xavier, qui a déjà dessiné des westerns contemporains (« Le Serpent et le coyote » et le bien nommé « L’Or du spectre »), bouillant certainement de s’atteler un jour à un « Blueberry », signe brillamment « Bandidos » : toujours avec son camarade Matz au scénario. Ils se sont offert le plaisir — ainsi qu’à nous lecteurs — de retrouver le cruel Commandante Vigo pourchassant Blueberry.

« Bandidos » par Philippe Xavier et Matz.

Quant à Olivier Taduc, il nous offre un épisode court et décalé, plein d’humour, dans lequel Blueberry suit la trace de Red Neck et surtout de cet ivrogne de Jimmy McClure, grâce aux bouteilles vides !… Enfin, dans une histoire indienne, Vincent Perriot montre un Blueberry secourant un bébé indien, puis immobilisé par des squaws, amené à se justifier. Le dessinateur s’approche du style original dans le souci du détail, et les beaux paysages traversés.

Une histoire de squaws vue par Vincent Perriot.

Couvertures d'albums de « Blueberry » vues par Blutch.

La couverture est de Mathieu Lauffray et la fin d’album présente un cahier d’illustrations hommages de Blutch, Stefano Carloni, Daniel Goossens, Jean Mallard, Milo Manara et bien d’autres, comme Ralph Meyer par exemple qui reprend l’idée de l’hommage de Jean Giraud à Jijé.

On l’a compris, l’ensemble — aux références et clins d’œil évidemment nombreux — est une déclaration d’amour et d’admiration pour la série, fondatrice de beaucoup de vocations en bande dessinée, et à ses créateurs.

Hommage à « Blueberry » par Ralph Meyer.

Un bel hommage à Jean-Michel Charlier (à ses scénarios intelligents, habiles, retors et aventureux) et à Jean Giraud (à sa virtuosité incroyable, son dessin dense et très expressif, ses tours de force à chaque planche…)

En exergue de leurs récits, les chanceux auteurs expliquent brièvement pourquoi la série les a influencés et — d’abord — fascinés en tant que lecteurs, citant leurs récits préférés et exprimant leur plaisir de plonger dans ces aventures.

Eh bien, c’est l’occasion, avec cet album, de relire ou de découvrir « Blueberry » ! On pourrait rester une soirée sur une planche ! C’est beau, dense, superbement écrit et dessiné avec grâce : passionnant !

Patrick BOUSTER

« Le début de la piste » par Olivier Taduc.

(1) Concernant Jean Giraud et Jean-Michel Charlier, voir notamment sur BDzoom.com : Pour se souvenir de Jean Giraud (alias Gir ou Moebius)…Jean Giraud, alias Moebius, est décédé ! et Hommage aux héros immortels de Jean-Michel Charlier.

« La Sacoche de Mac Guffin » par Thierry Martin.

« Sur la piste de Blueberry » par un collectif d’auteurs

Éditions Dargaud (21,50 €) — EAN : 9782205213478

Parution 14 novembre 2025

« Un peu de poudre noire dans le vent » par Alexandre Coutelis.

Galerie

6 réponses à Blueberry est bien vivant !

  1. Sol dit :

    https://www.bdzoom.com/wp-content/uploads/2025/11/73_SUR-LA-PISTE-BLUEBERRY_00-Copier.jpg

    Je n’aime pas pinailler, habituellement, mais je doute qu’en 1899 Blueberry (né en 1843, d’après la biographie de Charlier) ressemblerait à ce qu’il était dans la série mère, qui se déroule pour la plupart dans les années soixante/soixante-dix. Ne parlons pas de Jimmy, qui avait les cheveux gris déjà dans La longue marche.

    Quant à « tenter désespérément d’oublier Chihuahua » vingt ans après les faits (Arizona Love se déroule en 1872)…

    • Patrick BOUSTER dit :

      Pour deux histoires particulièrement, il peut être utile de préciser la période par rapport aux personnages, ce qui n’est pas toujours simple ! ; )):

      Celle de Gastine et Jérôme Félix est mentionnée se passer en 1899, mais les personnages (Blueberry, Mac Clure) sont plus jeunes : vraisemblablement 10 à 20 ans avant.
      Pour « Bandidos », située autour de La dernière carte, Vigo est encore assez jeune (aux cheveux bruns, sans gris, alerte), date plutôt autour de « L’homme qui valait 500.000 $ ».

      Cela n’enlève rien à la maestria des auteurs de ces deux histoires, magnifiquement racontées et mises scène, qui se distinguent bien dans cet ensemble par leurs qualités, et que les admirateurs de « Blueberry » apprécieront certainement beaucoup.

      La série est tellement foisonnante, complexe, qu’il y a de quoi s’y perdre, il est vrai… C’est aussi cela qu’on aime : oui, se perdre dans le souffle et les détails de cette saga multi-directionnelle, aux enjeux nombreux, avec des personnages qui vieillissent en avançant dans les épisodes. Tellement dense et riche !…

      • fran6 dit :

        A noter que Giraud lui-même a fait une erreur dans cette chronologie foisonnante!
        Le hors collection Apaches (2007) regroupe le récit de Blueberry à Campbell dispersé dans les trois premiers albums du cycle Mr Blueberry.
        Dans l’épilogue de l’album, le héros se recueille sur la tombe de Caroline Younger née en juillet 1860 et morte en novembre 1881.
        Or la jeune femme n’a pu décéder à cette date puisque le flash-back débute en janvier 1866, 15 ans avant le cycle de Mr Blueberry et 8 mois après la guerre de seccession. A cette date Caroline n’aurait eu que 6 ans!
        L’erreur a peut être été corrigée dans les réeditions de l’ouvrage…

  2. Olivier Northern Son dit :

    Oh, ça fait bien plus longtemps que j’ai connu Chihuahua Pearl et je ne suis pas près de l’oublier !

  3. Capitaine Kérosène dit :

    Page 8, case 3, je note la désormais classique faute d’orthographe : « Il a une tâche de myrtille ».
    Et dans la même histoire, je remarque aussi ce nouveau gimmick à la mode qui consiste à faire répéter « non, non, non, non, non… » à un personnage confronté à un drame.

    Pour moi, l’épisode de Gastine et Félix est de très loin le meilleur de l’album, tant par le scénario que par le dessin. Il y a un côté tout à la fois émouvant et tragi-comique. Le reste ne m’a pas emballé.

  4. Patrick BOUSTER dit :

    Oui, l’orthographe et les expressions de notre époque, non conformes à celles des histoires, sont effectivement un problème de plus en plus fréquent, y compris hors BD. Les auteurs et éditeurs auraient avantage à s’entourer de spécialistes des BD concernées et de (plus de) relecteurs.

    En-dehors de l’épisode de Gastine et Félix, je note également en excellente qualité, ceux de Xavier/Matz, de Pierrot, et l’extraordinaire de Toulhoat et Vincent Brugeas, bien dans le ton de « Blueberry », et celui de Corentin Rouge, entre autres.

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