Un premier voyage dans les Terres australes et antarctiques françaises — retranscrit dans le très bel ouvrage « Voyages aux îles de la Désolation » — n’a pas rassasié le dessinateur Emmanuel Lepage (1) : 12 ans après, en 2022, il embarque à nouveau pour les îles Kerguelen. N’ayant pas pu, lors de sa première excursion, vivre au plus près le quotidien de tous ceux qui travaillent sur cet archipel au relief montagneux d’origine volcanique, situé au sud de l’océan Indien, il y reste cette fois-ci deux mois et demi : s’attachant donc plus aux personnes qui partent avec lui, tout en montrant les changements déjà à l’œuvre sur la nature, en raison du réchauffement climatique. Du beau, écologique et humaniste, voire quasiment poétique, récit de voyage en BD !
Lire la suite...« Sangoma » : violences interethniques et pratiques d’un autre âge pour un détonnant thriller politique…
Caryl Férey aborde à nouveau le thème de l’apartheid en Afrique du Sud où il avait déjà situé son roman le plus célèbre (« Zulu », sombre et violente enquête adaptée avec succès au cinéma) pour sa nouvelle BD en tant que scénariste, après l’essai — passé un peu inaperçu — de « Maori » chez Ankama. L’écrivain de polars et aventurier s’est ainsi laissé embarquer par la volonté de celui qui met aujourd’hui en images, avec brio et talent, son histoire de spoliation de terres sur fond de sorcellerie : Corentin Rouge (« Milan K. », « Juarez », « Rio » et un « XIII Mystery »), dont le trait vif et cinématographique s’inscrit dans la lignée graphique des plus grands dessinateurs réalistes, de Jean Giraud à Hermann, en passant par François Boucq ou Christian Rossi.
Une vingtaine d’années après l’abolition de l’apartheid, dans la région des vignobles de la province de Cape Town, les cicatrices laissées par l’ancien régime ont du mal à se refermer : on ne peut pas effacer plus d’un demi-siècle de racisme, de disparités économiques et de haine refoulée, en seulement une ou deux générations.
Comme, en plus, malgré les discussions actuelles au parlement sud-africain où s’affrontent les agitateurs politiques, le problème de redistribution des terres accaparées par les propriétaires blancs n’est toujours pas réglé, les Noirs tentent, légitimement, de réclamer ce qu’on leur a volé. 
C’est dans ce contexte explosif qu’un travailleur noir est découvert, décédé, dans l’exploitation de ses employeurs, avec des griffures sur les fesses de son corps. Un lieutenant de police plutôt trublion et cynique, aussi séducteur que tête brûlée, est chargé d’éclaircir les tenants et les aboutissants qui ont mené au drame.
D’après les premières analyses, il apprend que le cadavre avait le sida et qu’on a également retrouvé plusieurs herbes médicinales dans son sang, de celles qu’utilisent les sangomas : des shamans ou rebouteux qui pratiquent une médecine traditionnelle. 
Très vite, des conflits et des secrets familiaux se font jour, sans parler de la disparition et décès d’un bébé portant les indices d’une mutilation rituelle…
Manifestement, Corentin Rouge (1) ne s’est pas contenté de fournir de superbes et dynamiques pages (et de très belles couleurs qu’il a concoctées avec l’aide d’Alexandre Boucq, le neveu de François), il s’est aussi investi dans le scénario, apportant sa pierre – bien affûtée à la narration graphique – au découpage de la trame foisonnante créée par son complice romancier. Il en résulte un récit absolument pas manichéen et totalement sous tension, à la fluidité exemplaire. On attend d’ailleurs, avec impatience, la prochaine collaboration — une trilogie islandaise qui devrait être également aussi peu politiquement correcte —, entre ce dessinateur virtuose et cet imaginatif écrivain, lequel démontre ici une grande capacité d’adaptation au médium BD.
(1) Sur Corentin Rouge, voir aussi sur BDzoom.com : « Rio T1 : Dieu pour tous » par Corentin Rouge et Louise Garcia, « Juarez » par Corentin Rouge et Nathalie Sergeef, Zoom sur les meilleures ventes de BD du 9 novembre 2016…
« Sangoma : les damnés de Cape Town » par Corentin Rouge et Caryl Férey
Éditions Glénat (25 €) — EAN : 978-2-344-03420-0



















Alexandre Boucq est le neveu et non le fils de François Boucq.
Mais oui, mais c’est bien sûr ! Je le savais pourtant : j’ai dû écrire trop vite !
Merci Philippe de m’avoir signalé cette bévue, je corrige tout de suite !
La bise et l’amitié
Gilles