On le sait, l’Espagnol Josep Homs (1) est un dessinateur aussi original que talentueux : il nous l’a prouvé à maintes reprises, ne serait-ce qu’avec sa série « Shi » écrite par Zidrou, dont il prépare le sixième épisode, toujours chez Dargaud. Par ailleurs, avec cet étonnant et glaçant roman graphique de 100 pages qu’il met lui-même en couleurs (et quelles couleurs !) — où une jeune juive très indépendante peut voir et converser avec une incarnation du diable —, il devient, pour la première fois, son propre scénariste. Tout en ressuscitant le mythe du golem et en reprenant le thème philosophique du bien et du mal, il nous démontre que le manipulateur n’est pas toujours celui qu’on croit !
Lire la suite...« Seul, l’affaire Romand » : derrière le narcissisme criminel…

Janvier 1993, dans l’Ain : après dix-huit années de mensonges et d’imposture, Jean-Claude Romand commet l’irréparable en décimant sa famille… Lors de son procès, toute la France s’interroge : quelles stratégies avait bien pu utiliser ce supposé médecin de l’OMS pour ne jamais être soupçonné ? Et pourquoi ce menteur pathologique avait-il préféré tuer ceux qu’il aimait… plutôt que d’être démasqué ? Avec ce nouveau docu-BD consacré aux grandes affaires criminelles contemporaines, Olivier Petit et Valette étudient au scalpel les conséquences du narcissisme, du non-dit et de la mythomanie… Un one-shot de 144 pages, thriller d’un réel inévitablement glaçant !
Avec quelques semaines d’avance (la parution de l’album ayant été décalée au 18 juin prochain) nous nous penchons aujourd’hui sur une nouvelle enquête criminelle retransposée en docu-BD… Après trois albums documentaires consacrés à d’autres grandes énigmes criminelles (« La Traque », sur le cas Dupont de Ligonnès ; « Disparus », sur la tragédie du docteur Godard ; « Le Corbeau », sur l’affaire Grégory), les éditions Petit à petit retracent une nouvelle fois avec précision toute la chronologie des faits. L’album s’ouvre en juillet 1996 sur le procès aux Assises de Romand, dans le palais de justice de Bourg-en-Bresse. Si le meurtrier fait face au cauchemar de ses actes, une phrase semble alors expliciter quelque peu son mobile : « Si j’ai tué mon épouse, c’est par rapport à la douleur intolérable qu’elle allait vivre en comprenant mes mensonges. » De fait, pendant presque une vingtaine d’années, Jean-Claude Romand, silhouette débonnaire et petites lunettes, a fait croire à ses proches qu’il était le « fils prodigue » , à la fois fils respectable, mari aimant et médecin-chercheur employé par l’Organisation mondiale de la santé de Genève, ayant pour amis les ministres Laurent Fabius et Bernard Kouchner. En réalité, bien qu’inscrit dès les années 1970 et 1980 en Faculté de médecine, il n’obtint jamais aucun diplôme… Auprès de sa cousine par alliance Florence, devenue sa femme et la mère de ses deux enfants (Caroline et Antoine), il n’eut dès lors de cesse de faire croire, cachant sa crise psychologique et son effondrement narcissique derrière des mensonges toujours plus pervers.
Dans le système Romand, l’argent devient le nerf de la guerre. Le vrai-faux médecin occupe ses journées à lire des brochures spécialisées dans les bibliothèques et cafétérias, ou dans sa voiture, afin d’approfondir ses connaissances médicales. Mais le père de famille, désireux de soutenir financièrement les siens pour faire bonne figure, se met peu à peu à escroquer parents et amis, en faisant miroiter des placements avantageux dans les banques suisses, ou des médicaments aussi miraculeux qu’onéreux. Surtout, Romand bascule dans une logique criminelle : en octobre 1988, en Haute-Savoie, il est le seul témoin du présumé accident qui coûte la vie à son beau-père, à qui il devait une importante somme d’argent. Le bailleur de la maison que louait Romand disparait à son tour dans un incendie de caravane. Quant à l’ancienne maîtresse de Romand, elle échappe de peu à la mort, quelques heures seulement après le quintuple meurtre familial commis par l’assassin…
Alternant en 15 chapitres les minutes du procès et l’enquête auprès des témoins, les sombres agissements passés de Romand et les éclairages du présent, le scénario concocté par Olivier Petit s’appuie sur de solides bases documentaires, dont l’essai « L’Affaire Romand : le narcissisme criminel » (éd. L’Harmattan, 2003), écrit par les docteurs Daniel Settelen et Denis Toutenu, experts psychiatriques mandatés en 1995 par le juge d’instruction. Comment ne pas songer, en outre, à l’ouvrage d’Emmanuel Carrère, « L’Adversaire » (P.O.L., 1999), adapté au cinéma par Nicole Garcia en 2002, avec Daniel Auteuil dans le rôle principal.
En couverture, sous un croissant de lune et à proximité d’une lourde croix de chemin, un incendie dévore une maison. Il s’agit de la bâtisse familiale des Romand, à Prévessin-Moëns (Ain). Là où, dans la matinée du 11 janvier 1993, Jean-Claude Romand, après avoir avalé des barbituriques, vient de mettre le feu à son domicile… Pour le lecteur découvrant ce visuel aux connotations polar, aux frontières du fantastique (la nuit, les couleurs, le titre fracassé et le sous-titre pointant une « affaire », les flammes supposément fatales, la nuance de vert), le mystère est encore entier : où sommes-nous ? Que s’est-il passé ? Y’a-t-il une ou plusieurs victimes ? Comme le suggèrent la croix, l’absence totale de protagoniste et le titre « Seul », le premier plat nous renvoie essentiellement au fait que la solitude, les croyances et la détresse peuvent engendrer les drames les plus effroyables. Comme l’explique le dessinateur Vincent P. Valette : « Dès le départ, nous savions la fin, c’est à dire que Romand avait achevé sa peine dans une abbaye et que la catéchèse n’est jamais loin de lui, de son époque, de son éducation. Je voulais qu’il soit toujours mis face à ses mensonges et à sa croix. Un genre d’équilibre graphique entre la folie et la foi. Le premier brouillon est une réalisation d’Olivier, qui m’a donné une direction… Puis j’ai exploré. Ensuite, on a pas mal tourné autour de l’ambiance couleur pour finir avec ce vert inquiétant. »
Mythomane, froid et calculateur, Jean-Claude Romand, alors âgé de 38 ans, demeure comme un cas pathologique. Ce bien que les psychiatres n’aient jamais relevé aucun trouble neuropsychique susceptible d’atténuer sa responsabilité. Il semble que seul le système idéologique toxique dans lequel il baigna lors de son enfance et de son adolescence puisse permettre d’expliciter la tragique affaire : là où l’enfant, transformé en petit dieu, était devenu un objet narcissique… Un objet du seul.
Philippe TOMBLAINE
« Seul, l’affaire Romand » par Valette et Olivier Petit
Éditions Petit à petit (19,90 €) — EAN : 9782380463736
Parution 18 juin 2025