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Tripp poursuit son autobiographie en BD en nous parlant de son père : transmission et réconciliation sont au programme !

12/05/2025
Par Gilles Ratier

À travers ce nouveau pavé de quasiment 350 pages, JeanLouis Tripp (1) continue son introspection familiale pour éclaircir et approfondir ce qu’il sait de son père. Ayant été troublé par déclaration de sa jeune sœur Cécile au sujet de son précédent chef-d’œuvre en bande dessinée (« Le Petit Frère »), où elle trouvait qu’il dessinait très bien le regard triste et perdu de leur géniteur, JeanLouis a décidé de nous raconter la vie ce dernier, avec son talent graphique et narratif habituel… Car, lui, comme il est longtemps resté enfant unique, il a connu un autre homme : un père affectueux, avec ses flamboiements, ses folies, mais aussi ses failles… Bref, un homme vivant, très vivant !

Même s’il a fait une pause dans les années 1990, en se consacrant alors principalement à la création dans le domaine du design, de la sculpture, de la peinture, des reportages dessinés ou de la littérature jeunesse, Tripp réalise des BD depuis 1977 : d’abord dans Métal hurlant ou pour la première mouture des éditions Futuropolis, puis pour Milan, Glénat… Malgré un succès critique déjà évident (notamment avec la série « Jacques Gallard », dont les deuxième et troisième tomes obtiennent successivement le Prix de la presse qui allait devenir le Grand Prix de la critique de l’ACBD — en 1987 — et celui du public — en 1988 — au festival d’Angoulême), c’est surtout sa collaboration avec Régis Loisel sur la belle saga féministe « Magasin général » chez Casterman qui le met sur le devant de la scène du 9^e art.

À partir de 2027, cet homme du Sud-Ouest (né à Montauban, il passe une grande partie de son enfance et adolescence à Verdun-sur-Garonne, puis à Toulouse), même s’il a vécu et enseigné le dessin pendant de longues années à Montréal, se lance dans l’autobiographie avec les deux volumes ludiques d’« Extases », toujours pour Casterman. Il y explore sa propre sexualité, avant de nous livrer, en 2022, le touchant « Le Petit Frère » : un drame familial transcendé par son trait, ses souvenirs et son amour de la vie…

Continuant inlassablement de brosser un portrait sincère et documenté de sa famille, le plus âgé de sa fratrie s’attaque donc, ici, à sa relation filiale avec ce paternel aussi aimé que redouté : d’autant plus, qu’avec la naissance de ses frères et sœurs, la période dorée où il a bénéficié de son affection exclusive s’achève. Ce personnage complexe, contradictoire, va également bientôt se déchirer avec la maman de JeanLouis, provoquant un climat de tension familial qui exacerbe le désir d’indépendance de ce dernier et va influencer ses choix de vie.

Avec ses souvenirs fragmentés ou lumineux (où il s’autorise quand même quelques bienvenus passages pleins d’humour), ce fils aîné nous fait traverser, dans « Un père », la seconde moitié du XX^e siècle — toute une génération va se retrouver dans cette évocation émotionnelle, réaliste et un brin nostalgique, d’un temps révolu —, en tentant de comprendre le fossé qui, entre tendresse, admiration et colère, s’est peu à peu creusé entre lui et son père, malgré un amour profond qui les reliera à jamais.

Pages après pages (qu’elles soient au lavis marron ou subtilement colorées), ce récit pudique — qui ne tombe jamais dans le pathos — devient de plus en plus bouleversant : tout étant dans les détails, dans les silences, dans les expressions, dans les regards… Avec ses mots justes et son trait charbonné, sûr et affirmé, qui sait se faire caricatural à souhait, JeanLouis réussit, dans ce touchant hommage sans complaisance, à dire de belle façon « je t’aime » à son père : ce qu’il n’avait jamais pu lui dire à voix haute, de son vivant…

Gilles RATIER