Outre les créations éclectiques, et la plupart du temps méritant le détour, qui fleurissent leur catalogue depuis la parution d’un premier livre en 2018 (1), les éditions Anspach s’attachent aussi à sortir de l’oubli quelques petits bijoux de la bande dessinée belge des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix : à l’instar de ce captivant « Chiens de prairie » publié à l’origine chez Delcourt en 1996. La fameuse Calamity Jane y retrouve une vieille relation : un ex-ami, ivrogne, pilleur de banques et tueur à ses heures. Une ordure nommée J.B. Bone, pourchassée par les chasseurs de primes, qui traîne sa carcasse sur les pistes du Dakota du Sud, transportant un corps pour l’enterrer auprès de sa bien-aimée, en cette année 1876. Sa rencontre avec un gamin sourd-muet, lequel s’entête à le suivre, ne va pas arranger ses affaires…
Lire la suite...« Astérix T16 : Astérix chez les Helvètes » : une aventure loin d’être neutre !

Réédité pour la première fois par Hachette en grand format, « Astérix chez les Helvètes » vient rejoindre en juin la très belle collection de luxueux albums proposée depuis 2014. L’occasion de se repencher sur cette 16e aventure des irréductibles Gaulois, initialement publiée par Dargaud en octobre 1970. Au-delà du florilège attendu en matière de références amusées sur la Suisse, voyons que René Goscinny et Albert Uderzo s’orientaient ici vers des thèmes plus adultes : argent, corruption et tentative d’assassinat. Une opposition entre le bien et le mal, parfaitement incarnée par la confrontation entre le vil Garovirus et l’honnête questeur Malosinus. De quoi transformer la paisible métronomie helvétique en véritable course… contre la montre !
Prépublié dans le journal Pilote du n° 557 (9 juillet 1970) au n° 578 (3 décembre 1970), « Astérix et les Helvètes » bénéficia d’un tirage originel d’un 1 200 000 d’exemplaires : preuve, s’il en était, de l’exceptionnelle notoriété de la série au début des années 1970. L’aventure, qui faisait suite à « La Zizanie », fut précédée (dans Pilote n° 556) d’une savoureuse planche autoparodique voyant les auteurs placés dans la délicate position de candidats de jeu télévisé, face à l’ami Pierre Tchernia, dans un détournement de son émission « Monsieur Cinéma ».
Interrogé en 1975 sur le plateau télévisé d’« Aujourd’hui Madame », concernant l’origine de son inspiration pour cet album, René Goscinny répondait : « On est inspirés, mais sur le moment en tout cas, on ne sait pas trop par quoi… ». Selon Uderzo, pourtant, qui a souvent raconté l’anecdote, les origines de cette aventure se font plus précises : « Georges Pompidou, à qui avions envoyé un de nos albums, nous avait adressé un petit mot de félicitations sur lequel il avait ajouté : pourquoi ne feriez-vous pas « Astérix en Helvétie » ? » Gardant dès lors en tête la suggestion du Premier Ministre (devenu Président de la République en juin 1969), sans la mettre immédiatement en application, les auteurs ne pouvaient toutefois que se décider assez logiquement à envoyer leurs héros dans ce pays limitrophe de la Gaule. Ce après leur avoir déjà fait visiter la Germanie, l’Italie, l’Égypte, la Grande Bretagne, la Grèce et l’Espagne dans les tomes précédents, en suivant le principe d’une aventure extérieure au village tous les deux albums. Peuplée de tribus celtes, l’antique Helvétie avait en effet joué un rôle important dans la guerre des Gaules, en raison de mouvements migratoires (400 000 personnes, dont 100 000 guerriers) violemment repoussés par les troupes de Jules César en 58 av. J.-C., afin de sauver ses alliés éduens. Inévitablement, Goscinny et Uderzo insistèrent malicieusement sur les clichés nationaux (la banque, les coucous, les orgies de fondue) mais aussi, en conséquence, sur la fameuse neutralité suisse, dans un parallèle parfaitement anachronique : si Astérix, Obélix et leur ami Petitsuix, fuyant les Romains, trouvent un drôle d’ancêtre à la Société des Nations (fondée en 1918 à Genève) avec une certaine « Conférence internationale des chefs de tribus », ce n’est donc que pour se référencer au spectre antique de ces peuplades belliqueuses.
Comme l’explique Albert Uderzo, Georges Pompidou, qui avait assuré les fonctions de directeur général de la banque Rothschild jusqu’en 1958, avant de devenir Premier Ministre en avril 1962, « savait donc ce que les Suisses représentaient. » Ne nous étonnons donc pas tout à fait de voir en couverture Astérix et Obélix savourer deux spécialités suisses (le fromage et la fleur d’edelweiss, fil rouge de l’aventure)… étrangement installés dans un coffre bancaire entrouvert et empli de pièces d’or ! Rappelons que, dans cet album, la mission des Gaulois consiste à cueillir la très rare « étoile d’argent », autrement dit un edelweiss, permettant au druide Panoramix de confectionner une potion susceptible de guérir le malheureux questeur Claudius Malosinus. Ce Romain, questeur (contrôleur des impôts) ne tient pas le mauvais rôle dans cette histoire, puisque le véritable méchant, hypocrite et meurtrier, est le gouverneur corrompu Gracchus Garovirus. Un homme politique qui détourne les fonds publics pour mieux organiser des orgies dans son palais de Condate (Rennes). Pourchassés par les soldats du ventripotent Caius Diplodocus, le gouverneur romain de Genava (Genève), Astérix et Obélix vont devoir entamer en Helvétie une véritable course… contre la montre. Comme l’aurons noté de nombreux lecteurs et cinéphiles, Garovirus, empoisonneur à l’obésité morbide et au physique pervers, arborant des bagues à compartiments secrets et amateur d’orgies fromagères, fut directement inspiré tant par les Borgia que par le « Satyricon » de Fellini. Le film, sorti sur les écrans français en décembre 1969, s’inspire de l’œuvre éponyme de Pétrone, observateur des mœurs romaines décadentes à l’époque de Néron. Par son humour décalé, l’album rend immédiatement comique les scènes les plus scabreuses, mais l’orientation plus adulte de l’aventure n’échappa point aux premiers lecteurs et commentateurs. Une tendance qui rejoignait celle de trois titres précédents, « Le Bouclier arverne » (1968), « Astérix et le chaudron » (1969) et « La Zizanie » (1970). Car ici, pour la première fois, le but de l’aventure est bien de sauver la vie d’un homme, dans une mise en perspective des combats résistants et humanistes contre l’arbitraire brutal des conquérants illégitimes.
Passant en revue, de manière plus légère, nombre de mythes et clichés nationaux (de Guillaume Tell à l’invention de l’alpinisme en passant par la Croix-Rouge, la propreté, le yodel et le secret bancaire), mais délaissant de côté le chocolat (créé seulement à la fin du XVIIe siècle), l’album témoigne d’une fine connaissance de la Suisse par les auteurs, notamment en matière de décors. Et pour cause, car, pour la première fois, Goscinny et Uderzo effectuèrent un séjour de repérage avant d’envoyer leurs héros en Helvétie. Comme le dessinateur l’expliqua : « Je voulais vraiment dessiner le lac de Genève où se déroulait l’action et où avait existé une ville romaine. J’ai pris de nombreuses photos pour ne pas me tromper, une précaution qui peut sembler inutile dans la mesure où la plupart des lecteurs ne prêtent pas attention à ce genre de détails. Mais c’était une volonté de ma part, peut-être pour croire davantage en cette histoire. » Autant d’éléments et de perspectives que les lecteurs pourront donc retrouver dans la version grand format (26,8 x 37,8 cm) d’« Astérix et les Helvètes », titre couleurs de 128 pages contenant l’intégralité des planches originales encrés par Uderzo et un dossier documentaire inédit de 32 pages sur les coulisses de l’histoire. Précisons enfin, pour être complet, que cette parution au tirage limité s’accompagne d’une exposition dédiée, dans le château valaisien de Saint-Maurice, du 5 avril au 16 novembre 2025 (renseignements).
Philippe TOMBLAINE
« Astérix T16 : Astérix chez les Helvètes – édition luxe » par Albert Uderzo et René Goscinny
Éditions Hachette (42 €) – EAN : 9782017322320
Parution 11 juin 2025
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Georges Pompidou n’a pas été premier ministre en 1958 mais en 1962… ce qui ne remet pas en cause la pertinence de l’article !
Tout à fait ! Correction effectuée.
Merci de votre vigilance historique.