« Dred Scott » : du Nord au Sud, perdre la boussole !

Narration autour d’un héros éponyme s’inscrivant dans un épisode emblématique de l’histoire américaine, Dred Scott est aussi la première BD dessinée par un vieux briscard de l’animation : Thibault Descamps. Un nom à retenir et un thriller historique à découvrir. Portée par un récitatif à la première personne du singulier, l’histoire de Dred Scott (un jeune Afro-Américain de la seconde mitan du XIXe siècle) est joliment ourdie par le duo de scénaristes Tom Graffin et Jérôme Ropert.

Elle commence en 1865, lorsque le descendant d’esclaves qu’est Dred débarque à New York au terme de la fratricide guerre de Sécession. Orphelin, Dred garde de son enfance une cicatrice dans le cou. Un B pour Bellemont : le patronyme du maître blanc de feu ses parents esclaves. Pour le jeune noir, ce stigmate du racisme est le sésame pour entrer au service du chef de la police new-yorkaise, l’Irlandais Ungus Byrnes, dont Dred devient bientôt le bras droit. Mais en avril 1893, l’ancien général nordiste Hadley est retrouvé assassiné. Chargé de l’enquête, Byrnes soupçonne aussitôt le fils de ce général de l’Union, mais il s’aperçoit que le fiston est mort de dysenterie à la prison de Blackwell, trois jours avant l’assassinat. Soupçonneux, il s’assure de la véracité de cette mort à la fosse commune. Ce rejeton, Jared, était passé dans le camp sudiste et fut le seul à être épargné par son père, lorsque ce dernier fit pendre un groupe de soldats sudistes détenteurs d’un collier serti de 13 émeraudes. Le général avait dérobé le collier de la liberté à cette soldatesque et le gardait depuis dans son coffre-fort. Pour Byrnes, ce collier constituerait le mobile de l’assassinat. Puis, au fil des investigations, Dred découvre que son mentor Byrnes l’a sauvé des griffes de Bellemont auquel, de surcroît, Hadley a volé ce fameux collier… Une question s’impose : Bellmont a-t-il tué Bradley pour récupérer son bien ? Surtout, l’enquête criminelle rejoint désormais l’histoire intime de Dred. Si Byrnes entend classer l’affaire, lui, aspire remonter le fil de ses origines. Aussi, profite-t-il de ce que son grand-père paternel a intégré l’armée sudiste durant la guerre… Mais, investiguant jusque dans un club d’anciens sudistes, Dred dérange. Naturellement, au fil des péripéties, les faux-semblants autour des fantômes de la guerre civile s’enchaînent pour le grand plaisir du lecteur…

Cet album cartonné de 54 planches est mis en images par Thibaul Descamps : un dessinateur réaliste, un vrai, qui dessine. Formé aux Gobelins, c’est tout dire. Un court cahier de recherches appuie d’ailleurs sur son aisance graphique. La mise en case est impeccable : une attention particulière est ainsi portée à l’expressivité des personnages aux trognes bien campées. Efficace, mais parfois hésitant, attentionné à la hiérarchie des plans comme des contours, son encrage semble sans doute être encore en deçà de son crayonné. Si l’anatomie des mains reste aussi parfois improbable, ces détails n’entachent en rien la très belle maîtrise de l’ensemble. Un — et quel — premier album ! Numérique, la mise en couleur de Sébastien Bouet accompagne agréablement le trait, prenant soin de ne jamais prendre le pas sur l’encrage, jouant avec des harmonies de tons sourds, adoptant un traitement volumétrique binaire judicieusement convenu.

Construction ludique entre des protagonistes à la personnalité complexe, ce thriller fictif concocté par ce quatuor d’artistes est un vrai plaisir de lecture. Nous attendons donc avec curiosité le second tome de ce diptyque. Qui, nul doute, augure du meilleur !

Jean-François MINIAC

« Red Scott » par Thibaul Descamps, Tom Graffin et Jérôme Ropert                                                                       Éditions Grand Angle (15,90 €) — EAN : 9782818986288

Parution 28 mai 2024

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Une réponse à « Dred Scott » : du Nord au Sud, perdre la boussole !

  1. Tom Graffin dit :

    Merci pour ce bel article !

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