Quel plaisir, après des années et des années de chroniques sur les nouvelles parutions concernant le 9e art, de continuer à découvrir des auteurs prometteurs qui, d’emblée, semblent vraiment maîtriser les codes narratifs et graphiques de la bande dessinée ! C’est d’autant plus méritoire quand il s’agit d’un premier album en ce domaine : ce qui est le cas de Pierre Alexandrine avec son « Amourante ». Ce dense ouvrage de 230 pages, édité chez Glénat, nous propose un voyage aussi palpitant qu’amusant à travers les époques et les lieux, en remettant en question notre obsession tout à fait compréhensible de plaire perpétuellement et de ne pas mourir…
Lire la suite...« Ange Leca » T2 : quand l’Amérique est devenue un monstre…

Été 1911. Alors que New York suffoque sous la chaleur, des femmes s’évaporent… Ange Leca, qui tente de retrouver sa dulcinée Emma, accepte d’aider le détective César Capponi en se lançant dans une enquête labyrinthique. Le danger rôde au pied des gratte-ciels, entre monstres humains et ville tentaculaire aux mille défis… Un deuxième volume pour la série proposée par Bamboo (label Grand Angle), qui nous entraîne au fil des planches à questionner les noirceurs de l’Amérique des débuts du XXe siècle.
En février 2023, les lecteurs avaient pu découvrir la première enquête d’Ange Leca : un journaliste et détective corse amateur, alors littéralement plongé dans les bas-fonds de Paris durant la grande crue de 1910 (voir notre chronique). Changement de décor dans ce deuxième volet, au profit de New York en 1911, dans une parfaite continuité chronologique. En guise de premier fil rouge, le personnage d’Emma Capus : une femme dont l’antihéros – dépendant à l’alcool – est tombé amoureux, au grand dam de son richissime mari : Clouët des Pesruches. Après avoir traversé l’Atlantique pour tenter de retrouver sa dulcinée, Ange accepte d’aider César Capponi : autre détective corse travaillant pour la célèbre agence Pinkerton.
En détaillant la couverture, un certain nombre d’éléments nous aiguillent subtilement sur la trame et l’atmosphère de l’intrigue : rue et agitation (passants, tramway, hippomobiles) new yorkaise (drapeaux américains) semblent ainsi, déjà, dominées par le gigantisme des infrastructures : ici symbolisé par les 62 mètres du Beaver Building (futur 1 Wall Street Court), immeuble de style néo-renaissant érigé en 1904 dans le quartier financier de Manhattan. Autre détail : la chaleur ambiante (veston sur le bras, ombrelles, couleurs), qui renvoie à la canicule ayant réellement frappé la Grosse Pomme, puis l’Europe, durant l’été 1911. Si une course contre la montre semble déjà entamée (le jeune livreur de journaux Ray/Citellu, situé entre Ange Leca et son chien, sous une horloge indiquant 10 h 55), elle demeure encore mystérieuse, si ce n’est l’indication fournie par le sous-titre « Monstres américains » : durant les années 1910, rappelons d’abord l’émergence de la mafia, sur des bases installées depuis les années 1870 à Mulberry Street (sud de Manhattan) par les immigrants juifs et italiens. Avant la Première Guerre mondiale, éclatèrent ainsi les premières luttes de pouvoir entre Camorra napolitaine et mafia sicilienne (Cosa nostra) pour le contrôle du crime organisé dans la ville.
Dans cet album, c’est toutefois d’autres menaces et d’autres « monstres » qui diligentent l’enquête de Leca et Capponni : des femmes disparaissent, et les cadavres se multiplient… La publication de petites annonces à la tonalité étrange dans le Scribner’s Magazine (voir sur la partie droite de la couverture l’évocation de ce périodique, lancé à New York depuis janvier 1887) y serait-elle pour quelque chose ? Inutile de préciser qu’un tueur en série semble être tristement à l’œuvre. Autre monstruosité évoquée : les dérives de la psychiatrie et du traitement choc des maladies mentales. En l’occurrence, les méthodes peu scientifiques du docteur Henry Andrews Cotton (1876-1933) : pionnier d’une redoutable « chirurgie bactériologique », qui fut nommé en 1907 directeur de l’hôpital psychiatrique de Trenton, le premier asile d’aliénés public du New Jersey.
Parfaitement documenté, admirablement dessiné de manière réaliste (par Victor Lepointe) tout en conservant un dynamisme salutaire, l’album profite d’un scénario (signé par Jérôme Ropert et Tom Graffin) sachant faire la part belle tant au suspense qu’à l’humour ou aux échanges profonds, concernant les domaines sociaux, politiques, économiques psychologiques ou criminalistiques. Un bel album de 72 pages, complété par un dossier documentaire et qui appelle immanquablement une suite…
Philippe TOMBLAINE
« Ange Leca T2 : Monstres américains » par Victor Lepointe, Tom Graffin et Jérôme Ropert
Éditions Grand Angle (15,90 €) – EAN : 979-1041109265
Parution 2 juillet 2025