Tintin pleure encore une fois : la disparition de Philippe Goddin…

Inspiré par l’un des dessins de la talentueuse Lucy Mazel (le portrait d’un homme noir, au regard mélancolique), le prolifique scénaristique Zidrou, jamais à court d’excellentes idées, a déclaré à l’illustratrice de la série « Olive » : « Tu vas voir, ça va être beau et joyeux, ça va parler… d’euthanasie » ! Depuis un accident qui l’a rendu tétraplégique, Virgile, ne se remettant pas non plus de sa séparation avec la femme de sa vie qui l’a quitté lors d’une manif dix ans plus tôt, est fatigué d’être dépendant des autres. Aussi, a-t-il pris une décision radicale : en finir avec cet état et partir tranquillement, mais seulement après une mémorable fête d’adieu à tous ceux qu’il aime…

Ce sont Les Amis de Hergé qui ont annoncé les premiers la triste nouvelle du décès — lundi 8 septembre — de Philippe Goddin : leur président jusqu’au printemps dernier et « hergéologue » bien connu, des suites d’une longue maladie à l’âge de 81 ans.

Philippe Goddin : le plus grand spécialiste d'Hergé et de « Tintin »...

Né le 27 mai 1944 à Schaerbeek — la commune de Bruxelles-Capitale où, dix-huit ans plus tôt, le tout jeune Georges Remi avait été incorporé au premier régiment de chasseurs à pied comme candidat sous-lieutenant de réserve… —, Philippe Goddin étudie à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles pendant trois ans, avant de commencer une carrière de professeur en charge de l’enseignement des arts plastiques.

C’est en 1973 qu’il rencontre Paul Cuvelier, au moment où le dessinateur de « Corentin », « Line », mais aussi « Epoxy », prend la décision d’arrêter la bande dessinée pour se consacrer au dessin et à la peinture : sa raison d’être.

Les deux hommes se lient d’une amitié qui perdurera au-delà du décès de l’artiste en 1978 : Philippe Goddin rêve d’éditer le catalogue raisonné de l’œuvre de Cuvelier, organise des expositions et publie deux premiers ouvrages (1) : « Paul Cuvelier : l’aventure artistique » en 1981 (chez Magic-Strip), puis « Corentin et les chemins du merveilleux » en 1984 (qui lance la collection Nos auteurs aux éditions du Lombard).

Ce dernier ouvrage s’ouvre sur l’ébauche d’une préface rédigée en février 1983 par Hergé, quelques jours avant son décès (le 3 mars). C’est Paul Cuvelier lui-même qui avait incité le jeune professeur d’art plastique à se pencher sur l’œuvre de l’auteur de « Tintin », avec lequel il avait alors entamé une correspondance.

De « Tintin » à Tintin, Philippe Goddin publie aux éditions du Lombard, en 1986, « Hergé et Tintin reporters : du Petit Vingtième au journal Tintin » et « L’Aventure du journal Tintin : 40 ans de bandes dessinées ».

Puis, il intègre — tout naturellement — l’ASBL Fondation Hergé, créée par Fanny Remi en 1987 sur les décombres des Studios Hergé : il y côtoie Bob De Moor, Alain Baran, puis Jean-Claude Jouret.

Philippe Goddin succède à ce dernier, en 1989, comme secrétaire général de la Fondation et y restera dix ans.

Sous son mandat se met en place une formidable politique de découverte, de conservation et de mise en lumière des archives d’Hergé : politique qui va lui permettre de publier de nouveaux ouvrages sur le Maître, chez Casterman cette fois : « Hergé et les Bigotudos : le roman d’une aventure », en 1990, et « Comment naît une bande dessinée : par-dessus l’épaule d’Hergé », en 1991.

Puis, il publie, en 1999, « Les Débuts d’Hergé : du dessin à la bande dessinée » dans la jeune maison Moulinsart lancée cette même année par les ayants droit (pour focaliser l’éditeur historique de « Tintin » sur les albums de BD et ainsi récupérer l’édition d’ouvrages « tintinologiques » ambitieux…)

Et dans cette même maison commence, dès l’an 2000, la publication de son grand œuvre : « Hergé : chronologie d’une œuvre » : sept — fort gros et fort beaux — volumes dont l’édition s’étalera jusqu’en 2011 et qui demeurent une source inégalée d’informations et d’illustrations quant à la construction artistique et auctoriale d’Hergé.

Un travail colossal qu’il interrompra pour publier, en 2007, les 1 000 pages d’« Hergé : lignes de vie » (toujours chez Moulinsart).

C’est la troisième grande biographie du père de Tintin, après « Hergé » de Pierre Assouline en 1996 et « Hergé fils de Tintin » de Benoît Peeters en 2002, mais c’est un coup de maître, difficilement surpassable.

Membre de longue date de l’association belge Les Amis de Hergé (ADH), fondée à l’automne 1984, par une poignée de collectionneurs et de connaisseurs réunis, il en prend la présidence en 2009 en remplaçant Stéphane Steeman, l’un des membres fondateurs, et en devient l’irremplaçable pivot, notamment dans le cadre de la revue semestrielle que publient les ADH, jusqu’au n° 79 au printemps dernier.

Fort de sa vaste connaissance d’Hergé, de son œuvre et des archives détenues par la Fondation, Philippe Goddin continue inlassablement de proposer du matériel hergéen qu’il introduit, commente ou dissèque… et notamment il rend disponibles nombre de versions initiales de « Tintin » en publiant successivement, chez Moulinsart seul ou Moulinsart/Casterman : « Hergé : le mystère des 7 boules de cristal » en 2012, « Hergé : Tintin et les Soviets, la naissance d’une œuvre » en 2016, « Les Tribulations de Tintin au Congo » en 2018, « Hergé : Tintin et les Américains » en 2020…

Plus récemment, il préface les versions colorisées des quatre premières aventures de Tintin, chez Moulinsart/Casterman.

Philippe Goddin lors de la sortie de « Hergé : Tintin et les Américains », en 2020.

En 2023, Philippe Goddin revient à ses premières amours en publiant — aux Impressions nouvelles de Benoît Peeters — « Le Mystère Paul Cuvelier » : un émouvant recueil de correspondance amoureuse du père de Corentin.

Notons enfin qu’en 2024 Moulinsart, associé à Casterman et Prisma Media, a lancé Les Coulisses d’une œuvre : une nouvelle collection consacrée aux aventures de Tintin et tournée vers le grand public.

Philippe Goddin y a puisé — en le simplifiant… — son matériau dans les sept volumes de son irremplaçable somme : « Hergé : chronologie d’une œuvre ».

Toute l’équipe de BDzoom.com s’associe au chagrin de sa famille, de ses amis, des ADH et des tintinophiles, presque orphelins une deuxième fois.

Fred FABRE