Ferrandez nous offre, dans un beau et grand livre de 150 pages (au format valorisant son trait et ses aquarelles), le premier tome d’un diptyque passionnant : un évident clin d’œil à ses premiers « Carnets d’Orient » ! Il s’agit de la biographie romancée du chevalier Théodore Lascaris qui a vraiment existé : un jeune Niçois, issu d’une ancienne famille, qui doit quitter la France en 1792 pour échapper aux révolutionnaires. Son escapade commence à Nice, se poursuit en Italie, à Malte, et se termine en Égypte, où ce descendant présumé des empereurs de Byzance rejoindra, six ans plus tard, la campagne d’un certain Napoléon Bonaparte, dont il deviendra l’agent de renseignements. L’auteur, inspiré, renoue brillamment avec l’aventure historique : avec un grand A !
Lire la suite...« Les Enfants cachés – Paroles d’étoiles 1939-1945 » : mémoires d’enfance et souvenirs de guerre…

72 000 enfants juifs vivaient en France en 1939. Jetés dans la guerre, séparés de leurs parents pour la plupart, il leur fallu apprendre à se taire et à ne plus exister. Si 12 000 d’entre eux furent éliminés, d’autres trouvèrent la force de survivre… Collectant plusieurs centaines de témoignages, Jean-Pierre Guéno publiait en 2002 « Paroles d’étoiles : mémoires d’enfants cachés », émouvant ouvrage adapté par Serge Le Tendre chez Soleil en 2008. Réédité en cette année mémorielle, l’album compose avec les parts d’ombre et de lumière attachées à chaque destin : une fresque qui aborde la Deuxième Guerre mondiale à hauteur d’enfant, au fil de portraits liés par une bouleversante résilience…
Ces dernières années, notamment avec « L’Enfant cachée » (Marc Lizano et Loïc Dauvillier ; Le Lombard, 2012), « Les Enfants de la liberté » (Alain Grand et Marc Levy ; Casterman, 2013), « Les Enfants de la Résistance » (Benoit Ers et Vincent Dugomier, Le Lombard, depuis 2015), « Les Grandes Grandes Vacances » (Émile Bravo ; Bayard, depuis 2019), « Simone » (David Evrard et Jean-David Morvan ; Glénat, 2022-2025) et « Les Amis de Spirou » (David Evrard et Jean-David Morvan ; Dupuis, depuis 2023), la thématique de l’enfance dans le deuxième conflit mondial a retrouvé un souffle indéniable, permettant notamment son étude en classe. À travers ses œuvres, le souci documentaire s’est réimposé, en accords avec les avancées historiques et la précieuse collecte de témoignages ou d’archives. Dans ce dernier domaine, certaines opérations ont marqué un tournant : citons, à titre d’exemples, les 52 000 témoignages recueillis depuis 1994 dans 56 pays par la Fondation des archives de l’histoire audiovisuelle des survivants de la Shoah (créée par Steven Spielberg à la suite de « La Liste de Schindler », 1993), ou les archives filmées du procès de Nuremberg, acquises en 2005 par le Mémorial de la Shoah.
Entre 1983 et 2003, les souvenirs de 350 témoins furent également enregistrés par l’Association des enfants cachés : association indépendante regroupant plus particulièrement les personnes juives qui, enfants en 1939-1945, avaient été cachées pour fuir les persécutions raciales. Journaliste et historien aimant se définir comme un « passeur de mémoire », Jean-Pierre Guéno entama la même démarche en 1998, avec un appel aux témoignages (émis par Radio France) au profit de son ouvrage « Paroles de poilus » : un succès d’édition très médiatique, vendu à trois millions d’exemplaires. Après « Paroles de détenus » (Librio, 2000) et « Mémoires de maîtres, paroles d’élèves » (Librio, 2001), Guéno se lance dans « Paroles d’étoiles » en janvier 2002, s’appuyant sur les travaux de l’Association. De nouveau relayé par Radio France, ce travail allait lui permettre de réunir plus de 800 témoignages, un florilège étant porté par l’ouvrage, édité en deux formats (album et livre de poche) par Les Arènes et Librio. Adaptés en bande dessinée chez Soleil à partir de novembre 2006, « Paroles de poilus » et « Paroles de Verdun » furent suivis par « Paroles d’étoiles » en octobre 2008, aux formats album et poche (Librio BD). Ces titres précéderont quelques expériences similaires : « Paroles de la guerre d’Algérie 1954-1962 » en 2012 et « Paroles d’école » en 2013.

Extraits de « La Photo de Clara et Catherine » (planches 1 et 2) par Serge Le Tendre et Thierry Démarez (Soleil, 2008-2025).
Reprenant les textes et portraits choisis par Jean-Pierre Guéno, le scénariste Serge Le Tendre adapte dans « Paroles d’étoiles » une douzaine de récits de vie, mis en images dans autant de styles graphiques différents par Thierry Démarez, Algésiras, David Lloyd, Guillaume Sorel, Thierry Martin, Franck Biancarelli, Lidwine, Teddy Kristiansen, Erik Arnoux et David Mack, sous des couvertures signées par Jean-Philippe Bramanti (2008) et Barbara Baldi (2025).
Une mère et sa fille (Clara et Catherine) devant une étoile de David devenue discriminante, en couverture de la première édition. Cette illustration cède la place en 2025 à un jeu d’ombres et de lumières, entrelacs de troncs et de branches connotant à la fois l’environnement hostile et le refuge paradoxal de ceux qui fuient le nazisme. Entre secret et exil, la forêt, dense et bleutée, suggère ici la persistance de l’espoir dans la pénombre. Au sol, presque cachée sous les ramures froides, brille une étoile jaune en tissu, marquées d’un J : soit la symbolique absolue du danger dans les années 1939-1945, mais aussi du courage de l’enfance persécutée. L’absence de toute figure humaine renforce le sentiment de clandestinité, d’anonymat des victimes, ainsi que la puissance du souvenir collectif, contenu dans la poésie du sous-titre « Paroles d’étoiles ».

Extrait de « Le Voyage de Solange » (planche 1) par Serge Le Tendre et Teddy Kristiansen (Soleil, 2008-2025).
Portrait après portrait, des années 1940 à nos jours, l’Histoire reprend corps… Recensés puis dépouillés de leurs biens en septembre 1940, expulsés de leur profession et réduits à la misère un mois plus tard, les Juifs de France furent marqués de l’étoile jaune à partir du 29 mai 1942. Raflées par la police française dès 1941 et surtout à partir de juillet 1942 – en zone occupée comme en zone libre –, 80 000 personnes vinrent ainsi remplir les nombreux camps d’internement français, antichambres aux camps de la mort. Parmi les 72 000 enfants d’origine juive présents dans l’Hexagone en 1939, 60 000 survécurent. Certains avec la chance de pouvoir mener une vie à peu près normale, d’autres parce qu’ils furent cachés ou soustraits aux griffes de la police française ou de la police allemande pendant ou après l’arrestation de leurs parents. Ces « enfants cachés » furent accueillis – souvent moyennant finances, à une époque où il n’était pas évident de « joindre les deux bouts » – dans des familles, des fermes, des institutions laïques ou religieuses, des internats ou des maisons d’enfants. Pour tous ces enfants plus que malmenés, la guerre ne se termina pas à la Libération. Il leur restait désormais à vivent avec les douloureux souvenirs de leurs parents disparus et de leur enfance volée… Lire ou relire leurs témoignage aujourd’hui est indispensable, pour que l’oubli ne submerge en définitive ni la part d’ombre ni la part de lumière qui caractérisent notre Histoire.
Philippe TOMBLAINE
« Les Enfants cachés – Paroles d’étoiles 1939-1945 » par collectif et Serge Le Tendre, d’après Jean-Pierre Guéno
Éditions Soleil (21,95 €) — EAN : 978-2-302-10608-6
Parution 21 septembre 2025