Sortie en Italie en 2014, la bande dessinée « Un dragon en forme de nuage » est enfin traduite en France ! Il s’agit d’un scénario écrit par Ettore Scola (« Nous nous sommes tant aimés », « Affreux, sales et méchants » ou encore « Une journée particulière »), mais que le célèbre réalisateur transalpin n’avait jamais tourné. Cette belle histoire, sensible et émouvante, avec pour protagoniste un libraire parisien des bords de Seine, est mise en images à l’aquarelle par un autre monstre sacré, mais du 9e art celui-là : Ivo Milazzo, le dessinateur de la série western « Ken Parker ».
Lire la suite...« Petrus Barbygère » : l’elficologie piratée selon Sfar et Pierre Dubois…
En pleine nuit, un elfe poursuivi par de sanguinaires pirates se réfugie chez l’elficologue Petrus Barbygère… Ces deux fortuits compères parviendront-ils à sauver les créatures de l’île de l’Éternelle Jeunesse, lesquelles ont été capturées par le flibustier Reddy Scarlett, afin d’alimenter son cruel spectacle de cirque ? Multipliant les néologismes, les bons mots et les hommages aux œuvres fantastiques, Pierre Dubois et Joann Sfar faisaient feu de tout bois dans ce truculent diptyque (1996-1997), actuellement réédité en intégrale par Delcourt. Des Terres de Légendes aussi irrévérencieuses que multi-thématiques…
Il fut un temps, bientôt (janvier 2026) célébré à Angoulême avec l’exposition rétrospective des 40 ans de Delcourt, où l’aventure, le fantastique et l’heroic fantasy eurent leurs heures de gloire, grâce aux talents conjugués d’auteurs tels Christophe Gibelin et Claire Wendling (« Les Lumières de l’Amalou », 1990-1996), Turf (« La Nef des fous », depuis 1993), Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou (« De cape et de crocs », 1995-2016) ou Bruno Maïorana (« Garulfo », 1995-2002). Une réussite éditoriale incontestable, érigée en parallèle du succès du jeu de rôle en France (depuis les années 1980) et transformée avec le lancement démultiplié des séries associées à l’univers décalé de « Donjon » (par Lewis Trondheim et Joann Sfar), à partir de 1998.
Imaginée par Sfar, cette savoureuse parodie doit certainement beaucoup à l’expérience préalable « Petrus Barbygère » (comprendre « Pierre le barbu »), scénarisée par Pierre Dubois, au profit de deux savoureux albums publiés en janvier 1996 et août 1997. Né en 1945 dans les Ardennes, très tôt passionné par la féérie, les contes et l’art de l’illustration, Dubois gagne précisément une reconnaissance internationale dans les années 1990, grâce à la publication de ses « Grandes Encyclopédies » consacrées aux lutins (1992), fées (1996) et elfes (2003), vendues au total à plus de 150 000 exemplaires : les résultats d’une vingtaine d’années de recherches, réalisations et chroniques dédiées à l’« étude du petit peuple », en tant qu’inventeur d’une « elficologie » digne de ces fairies anglo-saxonnes, chères notamment à Tolkien. Biberonné au genre merveilleux, également curieux de nombreux autres sujets liés aux cultures populaires (dictons, fêtes, traditions, folklores, films et littératures d’aventures fantastiques ou de cape et d’épée), Dubois passe par la radio, la télévision et la réalisation, tout en écrivant notamment chez Fleuve noir des recueils de contes détournés pour les adultes. Scénariste, il se fait remarquer dans les pages du journal Spirou avec ses fiches concernant « Le Grand Fabulaire du petit peuple, dessinées par Pierre Hausman entre 1984 et 1986. Collaborant au fil des années avec Stéphane Duval (« Les Lutins », 1993-1997), Jérôme Lereculey (« Cairn, le miroir des eaux », 1994-1995), Lucien Rollin (« Le Torte » en 1990-1994 ; « Saskia des vagues » en 1997) et Xavier Fourquemin (« La Légende du Changeling », 2008-2012), Dubois n’a jamais rien perdu de sa verve ni de son amour pour le surnaturel : son propre physique (barbu, il est décrit comme ressemblant à un ogre) et son apparence (il est fréquemment vêtu en pirate et toujours habillé en noir) inspirant d’évidence à la fois ses propres créations et les artistes qui l’entourent.
Dans « L’Elficologue », puis « Le Croquemitaine d’écume », toute la science de Pierre Dubois se déploie au fil de pages aussi référentielles que cyniques, croquées par un Joann Sfar encore peu connu du grand public. Scénarisant en parallèle « La Fille du professeur » pour Emmanuel Guibert (Dupuis, 1997 ; salué du Prix Goscinny et de l’Alph-Art coup de coeur à Angoulême), achevant « Les Potamoks » (dessin de José Luis Munuera, 1996-1997), ce avant d’entamer dès 1998-1999 « Donjon », « Merlin » (avec Munuera), « Professeur Bell » (avec Brigitte Findakly) et « Petit Vampire », Sfar n’en était encore qu’au début d’une fabuleuse carrière, qui allait l’amener à recevoir dès 2003 le Prix du Trentenaire au Festival d’Angoulême.

Couverture pour le carnet de croquis « Le Copieur », édité par la librairie Super Héros à l'occasion de la sortie du T2.

Ex-libris réalisé sous l'angle de la fausse couverture, à l'occasion des 10 ans des éditions Delcourt.
Acceptant d’aider son nouvel ami elfique et le petit peuple retenu prisonnier, Petrus Barbygère (lettré et redoutable bretteur) part contrer les plans du pirate Reddy Scarlett en compagnie du cuisinier Gehennec de Trefendel. Une occasion supplémentaire pour Dubois de déployer tout le « vocabulaire musical » imagé, associé à la grande cuisine. Une délicieuse poésie du verbe, qui vient rythmer une mise en situation truffée d’incessants rebondissements. Veine feuilletonesque et seconds rôles improbables obligent, rien ne sera réglé à l’issue du premier opus : poursuivant de ce pas le « méphitique bourriate » , cruel pirate assisté des « vents noirs de la Harpine-à-bises » ; les héros (et leurs lecteurs…) croiseront des références amusées à Tolkien (« Le Seigneur des anneaux »), au Hollandais volant, à Lovecraft (avec le Grand Ancien « Dagon », apparu en 1917 dans une nouvelle éponyme), au Kraken, à Davy Jones (popularisé par la saga « Pirates des Caraïbes » en 2006-2007), Mary Shelley, William Shakespeare, l’anthropologue écossais James George Frazer, « L’Île au trésor », etc. Unissant fantastique, truculence et univers de la piraterie, évoquant à la fois le désir d’aventure, la mort, l’espérance, la sexualité, la monstruosité et la poursuite de chimères, le diptyque « Petrus Barbygère » a probablement influencé à son tour… la création d’« Isaac le pirate » par Christophe Blain en 2001. Soit deux ans après l’association entre Sfar, Trondheim et Blain sur « Donjon Potron-Minet ». Une mise en abyme et une filiation artistique qui rejoignent assurément la propre création par Dubois de « Petrus Barbygère » : titre constituant un pied-de-nez à un auteur qui citait comme lues les chroniques elfiques des Petrus Barbygère ! Précédemment publiée en intégrale en août 1998 et janvier 2004, l’actuelle réédition (96 pages) accompagne, comme nous l’avons dit en introduction, l’anniversaire prochain des 40 ans de Delcourt : ce diptyque célébrant, pour sa part, ses 30 ans en 2026.
Philippe TOMBLAINE
« Petrus Barbygère : intégrale » par Joann Sfar et Pierre Dubois
Éditions Delcourt (23,75 €) — EAN : 978-2413089988
Parution 13 novembre 2025

























