Du Gotlib tous azimuts !

À l’instar d’Hergé, Jacobs ou Pratt, le grand Gotlib fait désormais partie des rares auteurs de bande dessinée à avoir leur existence mises en cases et en bulles avec « Gotlib : une vie en bandessinées ». Cette biographie en BD, rapportant quelques-unes des savoureuses anecdotes qui ont jalonné le parcours de cet immense créateur, spécialiste de l’humour décalé, est signée par Julien Solé (le fils de Jean) aux dessins et Arnaud Le Gouëfflec aux scénarios. Pour compléter le tableau, les éditions Fluide glacial, associées à Dargaud, proposent un superbe et ambitieux ouvrage compilant toutes les BD dessinées par Gotlib publiées en 1967. Notamment « Gai-Luron » dans Vaillant : le journal de Pif et « Les Dingodossiers » réalisés avec René Goscinny dans Pilote !

C’est dans le cadre des célébrations des 50 ans de Fluide glacial que la structure du même nom a voulu mettre la lumière sur le vénéré Marcel Gotlieb, dit Gotlib ! Les auteurs préposés ont concocté une suite de séquences qui reprennent, avec pudeur et humour, de nombreuses anecdotes extraites de livres ou d’interviews du maestro : de sa jeunesse à sa retraite du dessin (et des responsabilités éditoriales), en passant par ses premiers succès d’estime dans Vaillant, son arrivée à Pilote, son avènement populaire avec la géniale « Rubrique-à-brac », puis par la création de L’Écho des savanes et ses années Fluide glacial.

Tout en respectant cette dérision décalée qui était sa marque de fabrique, Le Gouëfflec et Solé nous font rire de page en page, même avec des épisodes de sa vie parfois assez tragiques : ceci afin que l’on comprenne, vraiment, comment Marcel est devenu Gotlib. Car le but est de nous faire découvrir l’homme caché derrière l’artiste (à moins que ce ne soit l’inverse !) : sa modestie, ses fêlures, mais aussi son énergie, sa résilience et bien sûr son immense talent illustratif et humoristique !

En cela, l’album est réussi : Arnaud Le Gouëfflec maniant avec finesse sa plume narrative et Julien Solé, qui a de qui tenir, démontrant que sa virtuosité graphique est à son apogée, sans jamais décalquer le style de leur idole… Il faut dire qu’ils ont été, tous deux, biberonnés à son œuvre, et ont bien assimilé l’esprit Fluide glacial : un mensuel où ils publient aujourd’hui à leur tour, en dignes héritiers de Gotlib.

Cela dit, ils ont souhaité réaliser, avant tout, un ouvrage purement distractif, et donc quelquefois un peu romancé pour les besoins de la narration. Ce qui explique certaines approximations, par rapport à ce qui s’est vraiment passé, qu’on leur pardonnera aisément.

Cet ouvrage n’aurait, bien sûr, pas pu voir le jour sans la précieuse collaboration d’Ariane Gotlieb. La fille de Gotlib, gardienne de sa mémoire, leur a ouvert tout grand les portes des archives familiales, dans lesquelles les auteurs se sont plongés avec passion.

C’est elle, aussi, qui est à l’initiative d’une intégrale strictement chronologique de toute l’œuvre dessinée de son père, coéditée par Fluide glacial et Dargaud.

Les volumes seront publiés en commençant par les années les plus attractives, ceci afin d’attirer et fidéliser le plus large public possible. Ainsi, démarre-t-on avec ce qui devrait être le quatrième tome : le recueil regroupant tout Gotlib publié en 1967.

En cette période charnière, l’encore jeune Marcel Gotlieb continue de faire vivre, dans Vaillant, l’apathique Gai-Luron : flegmatique chien anthropomorphe devenu culte, qui apparaît en 1964 comme personnage secondaire dans ses « Nanar, Jujube et Piette » proposés à partir de 1962.

Par ailleurs, dans Pilote et en tandem avec René Goscinny, il signe le dessin des « Dingodossiers » depuis 1963 : prémices de son humour absurde.

C’est à la fin de cette même année 1967 que la série, ayant atteint un total de 169 épisodes, s’interrompt. En effet, Goscinny, surchargé de travail, ne peut plus en assurer les scénarios. En tant que rédacteur en chef du journal qui ne s’amusait pas encore à réfléchir, il souhaite, néanmoins, que Gotlib puisse poursuivre « Les Dingodossiers », en créant ses propres histoires ; mais le dessinateur, par respect pour son ancien complice, va renommer « Rubrique-à-brac » ces deux désopilantes planches hebdomadaires.

Chacune des pages de cette intégrale, témoignage de l’inventivité et de la maîtrise du gag visuel d’un artiste déjà en rupture avec les codes alors en vigueur, ont été restaurées à partir des documents de base, repartant même des originaux quand ce fut possible.

Le résultat final, véritablement qualitatif, est reproduit en suivant la volonté de l’époque de son auteur et propose, en sus, de nombreux dessins et illustrations jamais publiés en albums (couvertures, publicités, pagettes pour les Gai-Luron poche — en collaboration avec Henri Dufranne —…), le tout précédé par une introduction érudite et instructive en huit pages signées Jean-Louis Gauthey.

Gilles RATIER