Prix du meilleur album au festival Quai des bulles de Saint-Malo, cette monumentale fresque d’apprentissage en 280 pages en noir et blanc, où seules les mélodies apportent de la couleur, mérite vraiment votre attention ! C’est une quête initiatique, mise en scène par Édouard Cour (aux dessins) et Jean-Christophe Deveney (au scénario), qui nous plonge dans le Saint-Empire romain germanique du début du XVIIIe siècle. En suivant l’ascension, à la fois magnifique et tragique, de deux talentueux jumeaux orphelins — sur qui plane l’ombre d’un mystérieux compositeur allemand qui signe ses partitions des trois mots « Soli Deo Gloria » —, elle nous entraîne vers une méditation métaphysique sur le sens de la création, nous rappelant le pouvoir qu’a la musique sur les humains !
Lire la suite...« Kernok le pirate » : un souffle maritime et gothique…
Kernok, pirate sans foi ni loi, vient d’apprendre d’une vieille sorcière que ces jours sont particulièrement comptés… Une sinistre prédiction qui va, dès lors, pousser notre homme à décider de son destin. Adaptant un roman d’Eugène Sue, Riff Rib’s poursuit ici sa majestueuse trilogie maritime initiée en 2009. Entre croyances, malédictions et actions violentes, il continue d’explorer la filiation entre les littératures populaires et les fantômes de la mer, tout en redonnant une chair fascinante à un patrimoine oublié…
Avec « À bord de l’Étoile Matutine » (adaptation de Pierre Mac Orlan ; Soleil, 2009), « Le Loup des mers » (adaptation de Jack London ; Soleil, 2012) et « Hommes à la mer » (Soleil, 2012), Riff Reb’s a pu habituer ses lecteurs à replonger dans les ambiances issues des vieux récits maritimes. Habités, à chaque page, par un dessin et des trognes hyper expressives, les albums évoqués nous font ressentir les vagues, l’odeur du sel, les embruns sous le vent… tout autant que les âmes, souvent noires et torturées, des protagonistes mis en scène. Avec des « Hommes en mer », l’auteur transposait huit nouvelles, tout en glissant sept double pages venant illustrer des extraits de grands textes sur la mer et les marins : parmi ces derniers, « L’Odyssée » d’Homère ou « Le Sphinx des glaces » de Jules Verne, mais aussi… « Kernok le pirate ». Paru en trois feuilletons dans le journal La Mode, ce court roman d’aventure fut publié en 1830. Eugène Sue, encore influencé par les œuvres maritimes de James Fenimore Cooper, débutait là son œuvre, notamment poursuivie avec « Atar-Gull » (1831 ; voir l’adaptation signée par Brüno et Fabien Nury en 2011) puis « Les Mystères de Paris » (1842-1843). À l’instar de Fenimore Cooper, Sue laisse une grande place aux caractères forts et aux situations dramatiques, voire cruelles, tout en alliant l’ironie à la critique sociale. Dans « Kernok le pirate » (adapté en 2024 chez Glénat par Alessandro Corbettini et Brrémaud), Riff Reb’s souligne ainsi l’humour noir permanent du récit, sans rien négliger des actions meurtrières de son antihéros : capitaine assassiné, marin durement fouetté, équipage envoyé à la mort…
Suivant les errements d’un capitaine pirate sans scrupule et au caractère bien trempé, ce one shot de 116 pages permet essentiellement à Riff Reb’s de s’amuser avec cet univers de gueules cassées et de fourberies. Un monde de crapules et de bassesses où, finalement, le mal est devenu un mode de vie. Une existence miséreuse adoptée par un équipage de racailles qui survivent tant bien que mal à bord, pillant le premier navire qui leur passe sous la main, se gorgeant d’alcool, s’exposant à priori aux pires représailles…
Avec ses crimes, ses tempêtes, ses abordages, ses révoltes et ses âmes égarées, l’univers de « Kernok le pirate » n’est que le reflet de son protagoniste, hanté par l’annonce initiale de sa mort prochaine. La sorcière de la baie bretonne de Pempoul dit-elle vraie ou non ? Nul ne le sait, ni la belle et délicate Mélie, amante de Kernok, ni le mousse Grain-de-sel ni le second Zeli ; mais le couperet demeure menaçant, superstition oblige. Or, cette véritable épée de Damoclès prédictive détermine tout le reste. Kernok, en effet, n’aura de cesse de promener sa noirceur d’une vague à l’autre, avec une amertume cynique devenue de plus en plus jubilatoire ! Échappera-t-il pour autant à son macabre destin ?
Pour les amoureux du saisissant dessin de Riff Reb’s, nous ne saurons que trop conseiller l’édition collector en noir et blanc : agrémenté d’un cahier graphique et d’un tirage inédit, ce grand format (24,9 x 34,7 cm), proposé en tirage limité, sublime un peu plus la profondeur des noirs et la luminosité des blancs. Un bel écrin pour cet appel au voyage, doublé par conséquent d’un vibrant hommage aux classiques maritimes surannés du XIXe siècle. La violence des flots n’y a d’égale que celle des passions, portées par un trait dynamique, des à-plats sourds et une dramaturgie de clair-obscur qui évoque aussi bien le grand guignol maritime que l’ombre poétique du romantisme noir et gothique. Et vogue le navire…
Philippe TOMBLAINE
« Kernok le pirate » par Riff Reb’s
Éditions Oxymore (20,95 €) — EAN : 978-2385611132
Parution 8 octobre 2025
Édition collector par Riff Reb’s
Éditions Oxymore (39,95 € ; 128 pages ; édition grand format limitée en noir et blanc) – EAN : 9782808217873
Parution 26 novembre 2025

























