INTERVIEW DE BURNE HOGARTH PAR ERIC LEGUEBE (1968)

Eric Leguebe était un passionné de Tarzan, plus spécialement celui dessiné par Burne Hograth. Lors d’un de ses nombreux passages à Paris, Eric l’avait rencontré et l’avait questionné sur la construction de son univers. Longue réponse …

 

 » Comment j’en suis venu à imaginer des villes fantastiques pour Tarzan ? Au début, je voulais suivre l’exemple de Foster qui nous fait voyager à travers une collection du National Geographic Magazine. Ainsi, dans l’épisode des Touaregs, j’avais à l’esprit une ville authentique située dans le Sahara. Il me semblait alors que cela créerait une relation de réalité entre Tarzan être mythique et les authentiques peuples afri­cains. C’était faux. J’ai alors compris qu’il ne faut jamais que le réalisme l’emporte sur l’invention, le fantastique.

 

Je recherche quelques références dans les ouvrages sur les civilisations anciennes et j’en possède des quantités. J’essaye de saisir l’esprit de ces cités antiques, puis j’en rejette les modèles. Quand on copie des modèles précis, une seule erreur vous met à la merci des antiques et il vaut mieux éviter ce genre de surprises. Aussi, j’invente totalement mon univers. Il peut rappeler des souvenirs de voyage dans le temps ou l’espace, mais il n’est jamais celui de la photographie. Ainsi une chaise rustique française peut me donner, par les moulures des pieds ou du dossier, la forme d’un temple oriental; les motifs d’une lampe marocaine en cuivre peuvent m’inspirer l’architecture d’une ville fantastique ; le dos travaillé d’une petite cuillère indonésienne peut devenir une fresque d’un de mes temples. Dans un effort de création totale, il faut partir de l’observation de tous les objets, même d’un simple morceau de cristal ou d’une bouteille ordinaire.

 

Si mes villes sont situées en des lieux exceptionnels : grottes, cratères de volcans, déserts, c’est par la volonté de créer la confusion dans l’espace. Mon dessin a une architecture avec une profondeur, celle de devant et celle de l’arrière-plan. Ce concept de l’histoire, il me fallait le développer et créer le roman dans l’image. Pour y parvenir, j’ai toujours recherché les contrastes violents, les chocs, le passage inattendu d’un temps à l’autre. Ce contraste peut être simplement provoqué par les changements de couleur de la chevelure d’une femme, d’une même héroïne, et cela d’une page à l’autre dans le même récit.

 

Le mouvement est un flot. Il faut chercher à l’équilibrer d’image en image, à travers chaque Sunday Page. Il faut supprimer l’espace entre chaque dessin pour que le. page constitue un seul tableau.

 

Les masques des sorciers africains ou asiatiques, je les utilise pour expliquer les sentiments, tels que le crime et l’horreur. De même les explosions que l’on retrouve dans chacun de mes récits, constituent une ponctuation dans mon écriture. Chaque explosion, vision biblique à la Saint-Jean, évoquant la destruction par le feu ou le déluge, marque un changement d’ère. Tarzan part après chaque explosion, qui symbolise la reconstruction du temps.

 

Bien souvent, les gens n’ont pas compris l’utilisation des couleurs en fonction des deux lignes de force: lumière-froid et ombre-chaleur. La couleur inventée ne peut être conçue qu’en fonction de la reproduction sur la planche. Mais l’oeil du lecteur est la couleur définitive.

 

La jungle, pour moi, est aussi un domaine du fantastique où éclosent les chimères. De la sorte, quand l’action s’envenime, la jungle entre en ébullition, quand cette même action s’achève, la jungle se rendort. La jungle est pour moi ce qu’est le choeur dans un opéra, ou le leit-motiv chez Wagner. Parfois cette jungle évolue en fonction de çeux qui l’habitent. Ainsi, la mousse qui s’accroche aux pieds des palétuviers s’iden­tifie aux dents des alligators. La jungle est rouge quand elle exprime la mort, le sacrifice. Elle sera blanche pour l’envol dans les arbres, pour la libération.

 

Cette jungle est aussi peuplée d’êtres extraordinaires : le dinosaure est une sonde jetée dans le temps et l’octopus, une sonde jetée dans l’espace, la profondeur des mers. J’ai découvert ces « véhicules du fantastique  » en faisant visiter à mon fils le Musée d’Histoire Naturelle de New York. Rentré à la maison, les êtres préhistoriques se sont réveillés, ont renversé les murs du Musée et se sont échappés dans mes dessins. Les monstres, de la dimension des raies géantes et des baleines, ont été l’amorce du dessin dans ses immenses proportions idéales pour moi. Ainsi, mon lion moucheté. Je vivais à l’époque en Californie depuis deux ans. Dans un zoo, j’avais pu voir un tigre-Iion, croisement de lion et de tigre. Ce croisement étrange, je l’ai transposé au lion et au léopard, croisement repoussant, fantastique. Une bête qui ne se trouve ni dans Buffon, ni dans Audubon.

 

Des sorciers et des sorcières. Celle que j’ai dessinée dans  Miracle-Jones  est une fantaisie d’esprit. Je l’ai appelée « Witch Hazel « , le nom d’une lotion d’after-shave, très en vogue à l’époque. Elle est le génie qui sort de la bouteille. Elle est la Beauté suprême, innocente, sophistiquée, terrible. Celui que j’ai nommé « Chaka  » dans  Tarzan et Don Macabro , est au contraire le Mal, aux mille métamorphoses de la Mort. Mes Alchimistes, de leur côté, sont les héritiers des chercheurs de la Kabale. Leur quête est celle de l’absolu, de la force qui nous dépasse, de la Mandragore.

 

De tout temps, je me suis passionné à la lecture des livres de mythologie et des grands alchimistes. Les dieux changent de forme, mais leur substance demeure, les déesses antiques grecques ont changé de silhouette, mais elles ont aujourd’hui les traits d’une femme actuelle. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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