À la suite d’un AVC, la mémoire joue des tours, de sales tours. L’un des plus terribles concerne l’oubli des mots : des mots usuels, des mots quotidiens… C’est le cas pour l’héroïne malheureuse de « Lointains mes mots » (une expression empruntée à Pablo Neruda), d’autant plus qu’elle est enseignante et traductrice, donc amoureuse de la langue…
Lire la suite...Quand les mots nous échappent !

À la suite d’un AVC, la mémoire joue des tours, de sales tours. L’un des plus terribles concerne l’oubli des mots : des mots usuels, des mots quotidiens… C’est le cas pour l’héroïne malheureuse de « Lointains mes mots » (une expression empruntée à Pablo Neruda), d’autant plus qu’elle est enseignante et traductrice, donc amoureuse de la langue…
On rencontre Claire en Espagne pour nettoyer les plages de Galice, à la suite d’un naufrage et d’une marée noire, où elle y retrouve une amie. Mais, autre naufrage, elle découvre très vite, quand elle rentre chez elle, que son appartement est couvert de post-it sur les meubles, les objets… : partout ! Claire n’a en effet pas d’autre solution pour tenter de reconstruire son langage que ces papiers portant les mots ordinaires : tapis, dentifrice, porte…
Claire qui aime écrire, traduire, parler, est constamment obligée d’interrompre ses conversations à la recherche d’un mot pour finir ses phrases. C’est angoissant pour elle, traumatisant. Comment, dès lors, surmonter le handicap, voire se réinventer ? On est très vite emporté par le trouble de ce personnage en dérive, mais qui fait tout pour échapper… au naufrage !
Le choix du dessin coloré, lumineux, de Sandrine Revel est une belle idée, car il dédramatise. Nul n’était besoin, en effet, d’un graphisme plombant l’atmosphère quand la légèreté visuelle de planches aux cases sans cadre et de dessins séduisants permet au lecteur d’adhérer, d’autant plus quand il s’agit de décors maritimes et sous-marins, Claire s’adonnant à la plongée pour « remonter à la surface ».
Sur le même sujet, il faut rappeler l’album intitulé « Merveilleux » de Cookie Kalkair, paru en mars. Là encore, un homme a perdu la parole à la suite d’un AVC. Victime d’une aphasie de Broca, le seul mot qu’il soit désormais capable de prononcer est « merveilleux ». Il s’agit du père de Charlie. Ce dernier traverse en catastrophe l’Atlantique, depuis le Québec, pour aider sa petite sœur et retrouver ce père qui n’en a jamais vraiment été un.
Au-delà de la situation médicale du père, troublante, impressionnante – tant pour ses proches que pour le lecteur ! -, la tranche de vie mise en scène par l’auteur (une histoire paternelle vécue) est également d’une incroyable sensibilité. Les rapports qui s’égrènent au fil des relations familiales sont particulièrement bien évoquées. La qualité et le réalisme des dialogues, où le drame et l’humour côtoient, où les règlements de compte laissent place peu à peu à des réconciliations improbables, tout cela construit un récit touchant, éclairant et sincère (sans parler des déplacements Québec, France, Espagne qui permettent là encore des échanges savoureux).
Deux très beaux livres, sur une thématique délicate, à ne pas manquer !
Didier QUELLA-GUYOT
Sur BDzoom.com : http://bdzoom.com/author/DidierQG/
Sur L@BD : https://basenationalelabd.esidoc.fr, et sur Facebook.
« Lointains mes mots » par Sandrine Revel et Anaële Hermans
Editions Dargaud (20,50 €) – EAN : 9782205211863
Parution 18 avril 2025
« Merveilleux » par Cookie Kalkair
Éditions Steinkis (24,95 €) - EAN : 9782368467556
Parution 25 mars 2025