L’odyssée envoutante des lapins de « Watership Down »…

L’adaptation d’un best-seller de la littérature en bande dessinée est souvent source de déception, tant il est difficile de rendre par l’image et un condensé du texte toute la richesse de l’œuvre d’origine. Mais il existe des exceptions : des bandes dessinées remarquables, adaptées de romans aux succès mérités. Tel est le cas de « Watership Down » : un roman graphique qui touche déjà un large lectorat.

Dans les années 1960 Richard Adams est un fonctionnaire sans histoire d’une quarantaine d’années. Lettré, il emmène ses deux filles, Juliet et Rosamond, visiter la ville de Shakespeare : Stratford-su-Avon. Ses enfants s’ennuient sur la longue route qui mène à la cité historique, c’est pourquoi elles demandent à leur père de leur raconter une histoire.

Celui-ci se prend au jeu et invente le récit des aventures de Hazel et Fyveer : deux lapins qui doivent s’enfuir de leur garenne d’origine. Pris par son imagination et poussé par ses filles, il se met à écrire tous les soirs, pendant un an et demi, un manuscrit qu’il propose ensuite à des éditeurs.

Après de multiples refus, « Watership Down » est enfin publié à 2 500 exemplaire en 1972. Le succès est immédiat, l’ouvrage est vendu à plus d’un million d’exemplaires en un an, et il ne se démentira jamais. Aujourd’hui plus de 50 millions d’exemplaires dans de plus de 25 langues en font l’un des livres les plus vendus au monde. L’adapter en bande dessinée a été un véritable pari.

Richard Adams s’est éteint en 2016, après avoir écrit une quinzaine d’ouvrages variés ; romans, poésie ou essai. « Watership Down » a connu plusieurs adaptations plus ou moins heureuses. Dès 1978, dans un film d’animation pour le cinéma, puis dans des séries télévisées en 1999 ou pour Netflix en 2018. C’est seulement dans les années 2020 que deux auteurs états-uniens s’attaquent à sa transcription en bande dessinée.

Dessinateur et pédagogue James Sturm, assistant dans les années 1990 d’Art Spiegelman, et déjà auteur d’une riche production traduite en français – « Hors saison », « Le Jour du marché », « Le Swing du golem » et « America », par exemples -, a su transcrire l’intégralité d’un récit foisonnant, sans le dénaturer en rien, et en exploitant toutes ses riches thématiques.

Le style graphique d’une grande finesse, simple, mais détaillé, de Joe Sutphin est en adéquation avec cette odyssée animale, dans laquelle les lapins ont le premier rôle. Le résultat est bluffant, car on y (re)découvre toute la richesse d’un classique intemporel aux rebondissements inattendus.

« Watership Down » est une histoire animalière inattendue autour d’un groupe de lapins. Tout commence dans la garenne de Sandelford. Le jeune Fyveer à une vision effrayante de la fin de l’habitat de toute la tribu. S’il possède le don de voyance, il est frappé du syndrome de Cassandre : personne ne le croit. Heureusement son frère fait exception et Hazel décide d’emmener ceux qui veulent le suivre vers la nouvelle garenne promise. Le chef du clan ne l’entend pas ainsi et lance sa garde rapprochée (la hourda) à leur poursuite. C’est le début d’une folle odyssée, dangereuse et palpitante, où se mêle prémonitions, ruses et légendes, avant l’installation du petit groupe sur une colline saine et heureuse : celle de Watership Down.

Ce récit, simple d’apparence, est nourri de multiples thématiques qui en font sa grande richesse Ainsi, la bande dessinée comme le roman peuvent être interprétés de manière contradictoire. Les différentes sociétés de rongeurs croisées dans le récit peuvent ainsi renvoyer à des systèmes politiques bien humains : de la dictature fascisante à une démocratie sans doute utopique. Les thèmes de la responsabilité individuelle et collective, de l’exil, de la légitimité du pouvoir, de la nécessaire entraide au sein d’un groupe, mais aussi du besoin d’un leader charismatique pour diriger une communauté ne sont qu’une partie des motifs universels que l’on peut analyser à la lecture des aventures d’Hazel.

Une partie seulement car nous pourrions aussi évoquer le sous-texte écologique par la dénonciation de le destruction d’une nature protectrice. Il est à noter que Richard Adams est à l’origine d’une loi contre la pollution de l’air, dès 1968. Nous pourrions aussi évoquer l’arrière-plan religieux avec la création par l’auteur d’une intéressante mythologie des lapins autour d’un ancêtre commun : Shraavilshâ, mais aussi un travail sur la langue des rongeurs appelée lapine avec la création de mots spécifiques pour les concepts les plus importants de la vie des lapins comme kataklop pour les voitures ou raka pour désigner les excréments. Rassurez-vous un glossaire de cette langue ainsi qu’une carte du monde de Hazel et Fyveer sont fournis avec l’album.

Vous l’aurez compris « Watershio Down » est un album hors-norme, d’ores et déjà multi récompensé avec par exemple le Prix Eisner de la meilleure adaptation en 2024. Dans cette fable animalière les lapins ne sont pas humanisés, ils sont représentés au naturel et s’ils raisonnent, ils conservent leur comportement instinctif et leurs craintes animales. Les éditions Monsieur Toussaint Louverture fournissent un véritable écrin aux 368 pages d’un récit poétique envoutant : couverture épaisse délicatement vernie, papier solidement texturé (de l’Amber Graphic de 120g/m²), marque-page et glossaire sur papier cartonné. Un beau livre pour une bande dessinée profonde, riche et poignante.

Laurent LESSOUS (L@bd)

« Watership Down » par Joe Sutphin et James Sturm, d’après Richard George Adams

Éditions Monsieur Toussaint Louverture (32,00 €) — EAN : 9782381961903

Parution 25 avril 2025

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