Mi-mouche, mais totalement libre de devenir enfin elle-même : le destin contrarié de la jeune Colette…

C’est un véritable plaisir de chroniquer une bande dessinée jeunesse quand elle sort du lot, que des émotions fortes naissent de sa lecture, car le récit est bien mené autour de personnages complexes et attachants. C’est le cas du premier volume passionnant de « Mi-Mouche » : une saga construite autour de thèmes puissants, du deuil à l’accomplissement personnel et de la résilience au dépassement des stéréotypes de genre.

Colette a 11 ans et vit le bonheur tranquille d’une petite fille couvée par une famille aimante. Elle se satisfait de rester dans l’ombre de Lison : sa sœur jumelle, qui est son aînée de quelques minutes. Lison est en effet une enfant solaire, belle, brillante et excellente danseuse comme leur mère. Un accident de voiture tragique change leur destin. En sortant du coma, Colette apprend la mort de sa sœur et que sa mère a perdu un bras. Celle-ci est inconsolable, elle n’a plus sa fille préférée et surprotège la survivante.

Trois ans plus tard, encore traumatisée, Colette n’a pas pris un seul centimètre, on l’appelle désormais la petite et pour complaire à sa mère, elle prend des cours de danse classique, là où sa sœur excellait.

Elle refoule en elle ses propres désirs en essayant de combler, ainsi, le manque affectif de ses parents.

Jusqu’au jour où le destin, des cochons divagants dans les rues de sa ville, l’amène dans une salle de boxe. C’est une véritable révélation ; voilà le sport qu’elle veut faire !

Mais comment le faire accepter à sa mère qui redoute le moindre choc, la moindre violence subie pour sa seule fille survivante.

« Mi-Mouche T 1 : Tu veux te battre ? » page 4.

Colette n’est pas seule. Si ces deux frères vivent leur vie de leur côté, son ami de collège Elias la comprend et la soutient et, surtout, depuis le décès de sa jumelle, une ombre plus grande qu’elle lui parle, la conseille et parfois l’enguirlande, pour rester poli, pour qu’elle assume enfin ses choix et arrête de s’effacer pour devancer les désirs réels ou supposés de sa maman.

Si cette conscience invisible aux autres semble la dévaloriser, c’est pour mieux chasser ses angoisses et pour qu’elle commence enfin à devenir elle-même, loin des rêves projetés sur sa jumelle.

La dessinatrice Carole Maurel a adoré l’idée de l’ombre, pour elle : « C’est la petite touche fantastique du récit qui permet de rendre tangibles les émotions ambivalentes de Colette. Selon l’humeur de Colette, sa forme va évoluer, elle sera plus ou moins oppressante, plus ou moins opaque, presque plus « vivante » et dynamique que Colette elle-même lorsqu’elle se détourne de la boxe, ce n’est pas juste une projection plus sombre, mais presque un personnage à part entière qui a sa propre personnalité. »

« Mi-Mouche T 1 : Tu veux te battre ? » page 10.

Vero Cazot, la scénariste, explique ainsi le caractère de Colette à 14 ans : « Quand elle a perdu sa sœur, le temps s’est arrêté pour Colette. Elle la voyait comme sa grande sœur modèle. Plus ou moins inconsciemment, Colette a refusé de grandir pour ne pas dépasser sa sœur. Sa manière de survivre à cette absence a été de prendre la place de sa sœur, d’adopter sa passion pour la danse, au risque de n’être plus que l’ombre d’elle-même. Dans la BD, j’ai voulu matérialiser cette ombre et la faire parler.

Elle représente la véritable personnalité de Colette, ses désirs et sa colère enfouis. Au bout de quatre ans, la vraie personnalité de Colette en a marre d’être reniée et veut récupérer sa place. C’est la découverte de la boxe qui va déclencher ce réveil. »

« Mi-Mouche » est bien plus qu’un récit d’émancipation, c’est une bande dessinée forte, poignante qui brasse de belle thématiques adaptées à la hauteur d’un jeune lectorat dès 10 ans.

Par-delà l’histoire bien racontée, avec ce qu’il faut de rebondissements, les autrices abordent le délicat travail de deuil, les relations mère-fille, la lutte contre les stéréotypes de genre ; notamment dans le sport, la résilience, le handicap et surtout l’accomplissement personnel d’une jeune fille introvertie qui se défait des angoisses liées à la culpabilité du survivant par une volonté farouche et un investissement dans une activité sportive qu’on lui refuse.

La découverte de la boxe par Colette...

Nous ne pouvons que remercier les deux autrices pour ce premier volume très réussi d’une série qui s’annonce passionnante, sorte de « Billy Elliot » inversé. Ici c’est une jeune fille qui délaisse la danse pour le boxe, alors que dans le film c’est un garçon qui abandonne le ring pour les pointes de danseur. Vero Cazot déjà remarquée pour son travail sur « Olive » ou « Le Jour du caillou » a construit un scénario riche et efficace pour la trait semi-réaliste et très expressif de Carole Maurel (« En Attendant Bojangles », « Bobigny 1972 », « Jeannot »…). Nous attendons la suite de l’émancipation de Colette avec impatience. Elle sera d’abord prépubliée dans le magazine Spirou, puis en album.

Laurent LESSOUS (L@bd)

« Mi-Mouche T 1 : Tu veux te battre ? » par Carole Maurel et Vero Cazot

Éditions Dupuis (13,50 €) — EAN : 9782808504348

Parution 23 mai 2025

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