Un premier voyage dans les Terres australes et antarctiques françaises — retranscrit dans le très bel ouvrage « Voyages aux îles de la Désolation » — n’a pas rassasié le dessinateur Emmanuel Lepage (1) : 12 ans après, en 2022, il embarque à nouveau pour les îles Kerguelen. N’ayant pas pu, lors de sa première excursion, vivre au plus près le quotidien de tous ceux qui travaillent sur cet archipel au relief montagneux d’origine volcanique, situé au sud de l’océan Indien, il y reste cette fois-ci deux mois et demi : s’attachant donc plus aux personnes qui partent avec lui, tout en montrant les changements déjà à l’œuvre sur la nature, en raison du réchauffement climatique. Du beau, écologique et humaniste, voire quasiment poétique, récit de voyage en BD !
Lire la suite...« Albert Kahn : l’archiviste de la planète » : voir le monde, singulier et pluriel…
Banquier et philanthrope, homme discret aimant parcourir le monde, Albert Kahn a intrigué ses contemporains. Son principal défi ? Rien moins qu’inventorier visuellement le globe, photographies et films devant nourrir ses nobles causes culturelles… Un one-shot de 96 pages dans lequel Didier Quella-Guyot, grand amoureux des voyages, documente avec Manu Cassier l’incroyable parcours de l’auteur des « Archives de la planète ». Une vie consciente du destin fragile des peuples, au tournant d’un siècle tragiquement rattrapé par les crises et les guerres…
C’est au cours de ses diverses recherches documentaires que Didier Quella-Guyot (animateur de la rubrique « BD voyages » de BDzoom.com) fut intrigué par les photos couleur du fonds des « Archives de la planète » : soit un projet, entrepris de 1908 à 1931, destiné à photographier les cultures humaines à travers le monde. 72 000 clichés, 170 km de films et 50 pays traversés au total ! Homme de son temps, doué d’un sens inné des affaires, Albert Kahn, Juif d’origine alsacienne (1860-1940), parfaitement conscient des bouleversements à l’œuvre, était essentiellement désireux d’immortaliser des mœurs, coutumes ou activités humaines en voie de disparition. Pour se faire, après être devenu à 38 ans l’une des plus grosses fortunes de France, il s’entoura peu à peu de nombreux collaborateurs (opérateurs, photographes, réalisateurs, peintres, etc.) susceptibles de traduire au mieux sa vision des choses : un inventaire à visée scientifique, rendu possible par l’autochrome (un procédé de photographie couleur produit industriellement, inventé en 1903 par les frères Lumière), mais excluant par principe tout aspect touristique ou publicitaire.
Homme du monde particulièrement discret, ayant longtemps refusé d’être lui-même pris en photo, Kahn, en éternel soucieux du dialogue entre les peuples et les cultures, partagea ses visions sous de multiples aspects : bourses de voyages pour de jeunes agrégé(e)s (les Albertines), mécénat à destination de l’enseignement supérieur et de la recherche, engagement pour la paix et développement des missions caritatives. À partir de 1892, son hôtel particulier de Boulogne-Billancourt se transforma peu à peu en un jardin extraordinaire, grâce au rachat de parcelles voisines et à l’aménagement des parterres, vergers, pavillons et forêts ornementales inspirées tant des versants vosgiens que de l’art des jardins français ou japonais. Un « jardin du monde » où se pressèrent des amis ou connaissances nommées Henri Bergson, Rodin, Colette, Thomas Mann, Anatole France, André Michelin, Marcel Dassault ou Adrienne Avril de Sainte-Croix.
Soucieux de traduire la curiosité et les impulsions enseignantes d’Albert Kahn, Didier Quella-Guyot était aussi désireux de rendre compte des aspects insaisissables de son protagoniste : un homme cherchant notamment à s’effacer de la mémoire visuelle. D’où la nécessité de romancer certains aspects de sa vie, tout en réunissant une large documentation destinée à rendre graphiquement les voyages et créations de l’idéaliste Kahn. Au dessin, d’un style semi-réaliste classique et immédiatement lisible, Manu Cassier évolue des années 1880 aux années 1940, dans une palette chromatique alternant les verts et les bruns. Un biopic didactique qui ravive l’esprit grand ouvert d’Albert Kahn, dont les collections des « Archives de la planète » viennent d’être inscrites en avril 2025 au Registre international mémoire du monde par l’Unesco.
Philippe TOMBLAINE
« Albert Kahn : l’archiviste de la planète » par Manu Cassier et Didier Quella-Guyot
Éditions Glénat (20,50 €) — EAN : 978-2344062326
Parution 18 juin 2025

















