Et si on pouvait communiquer avec celui que vous étiez dans le passé d’il y a sept ans ? Que lui demanderait-on de changer pour rectifier une trajectoire de vie, un remord, un regret ou même la disparition accidentelle d’un être cher ? C’est cet étrange pouvoir dont dispose les gardiennes et les tisseuses : des femmes qui peuvent envoyer des messages dans le même monde à la temporalité différente, sept plus tôt. Telle est la trame d’une bande dessinée étonnante et inventive : « Tisseuse ».
Lire la suite...Et s’il était possible de changer le passé avec l’aide d’une tisseuse de temps ? « Tisseuse » : une bande dessinée troublante et poétique…

Et si on pouvait communiquer avec celui que vous étiez dans le passé d’il y a sept ans ? Que lui demanderait-on de changer pour rectifier une trajectoire de vie, un remord, un regret ou même la disparition accidentelle d’un être cher ? C’est cet étrange pouvoir dont dispose les gardiennes et les tisseuses : des femmes qui peuvent envoyer des messages dans le même monde à la temporalité différente, sept plus tôt. Telle est la trame d’une bande dessinée étonnante et inventive : « Tisseuse ».
Dans un monde rural apaisé et inventé, dans une grande maison à l’écart du village, la jeune Ethel vit tranquillement avec sa grand-mère depuis le décès de ses parents lors d’un incendie. Leur vie est rythmée par la venue des habitants de la contrée qui viennent confier des lettres de souhaits à l’aïeule, car celle-ci est la gardienne d’un mystérieux puits. Elle met en forme ces vœux dans des lettres qui sont ensuite lancées au fond de la cavité.
L’explication de cette curieuse coutume trouve son origine dans l’arrivée par la cheminée de la famille d’une lettre qui évoquait un monde presque semblable au leur, mais évoluant sept ans plus tôt. De quoi aiguiser les volontés de changer le passé pour ceux qui veulent rectifier une trajectoire de vie : sauver la vie d’un être cher par exemple. Seulement, il n’y a aucune certitude quant au résultat, car l’autre côté du puits ne peut répondre.
Les règles pour transmettre un vœu sont très strictes de chaque coté du puits. Les Gardiennes n’ont pas droit d’écrire des vœux personnels et chaque vœu est unique : il ne peut être formulé une seconde fois. Ainsi, les rôles sont bien répartis dans chaque monde. Les gardiennes accueillent tous les vœux, mais les sélectionnent et les mettent en forme : elles s’assurent de la moralité du vœu, mettent de côté les souhaits non sincères ou les envies passagère et communiquent toutes les informations nécessaires pour les tisseuses.
De l’autre côté du puits, les tisseuses lisent les lettres et sélectionnent les vœux réalisables. Elles interviennent dans le secret, sans être vu et répertorient toutes les divergences entre les deux mondes séparés de sept ans. Ce mécanisme est bien huilé jusqu’à deux deuils successifs dans la vie d’Ethel.
Saule, le meilleur ami d’Ethel, meurt dans un accident de cerf-volant et, quelques années plus tard, sa grand-mère disparait à son tour. Bouleversée, la jeune gardienne enfreint les règles immuables de son ordre. Elle envoie d’abord une lettre personnelle aux tisseuses pour sauver Saule de l’autre côté du puits, puis elle décide de suivre le chemin des lettres pour retrouver son amour de jeunesse. Arrivée dans un passé de sept ans, elle découvre un monde qui diffère du sien, plus fortement qu’elle l’aurait cru. Si elle retrouve l’aller ego de sa grand-mère, elle réalise, petit à petit, qu’on ne peut pas changer le passé sans qu’il y ait des conséquences inattendues en cascade.
La première bande dessinée de Léna Canaud est un régal de subtilité poétique : un véritable conte initiatique porté par une réflexion sur le poids des souvenirs et d’un passé qui passe ou pas. C’est une œuvre à la fois nostalgique et positive : une véritable ode au libre arbitre pour se débarrasser de regrets délétères. Il est noté la qualité du travail des éditions Ankama pour cet ouvrage : dos toilé bleuté, tranchefile et signet dorés.
L’ouvrage le mérite, l’autrice a travaillé trois ans sur le sujet et sur son dessin tout en rondeur et douceur, en variant les couleurs selon l’univers : camaïeu sépia pour celui des tisseuses, camaïeu de bleu pour celui des gardiennes… Vous pouvez compléter utilement la lecture de la bande dessinée par un cahier bonus riche et bien fait, dans lequel, à partir de nombreux croquis, vous en apprendrez beaucoup sur la genèse du projet : de ses recherches graphiques à celle de la couverture et des couleurs. Pour vous immerger dans l’ambiance de « Tisseuse », un QR code en début d’ouvrage vous permet de découvrir le cocon sonore de l’album.
Un petit mot enfin sur une autre bande dessinée des éditions Ankama : « L’Île des cochons volants ». Un récit d’initiation gentiment foutraque, délirant, mais maitrisé autour du périple du jeune Léon. Avec sa brebis Chonchon, le jeune garçon, rêveur et courageux, doit raccompagner un bébé cochon volant égaré vers son groupe, avant leur migration annuelle. Il lui faut traverser la Grande Forêt peuplée de créatures terribles, comme les lapins roses armés jusqu’aux dents, mais aussi naviguer dans une mer dangereuse et escalader des rochers abrupts.
Inspirée de la littérature et des ouvrages scandinaves tel « Le Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède », la bande dessinée est un récit d’initiation bienveillant avec un humour omniprésent. L’illustratrice Marie Millotte réussit son entrée dans le monde du 9e art, avec un livre jeunesse à dévorer dès dix ans.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Tisseuse » par Léna Canaud
Éditions Ankama (24,90 €) — EAN : 9791033530396
Parution 12 septembre 2025
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« L’Île des cochons volants » par Marie Millotte
Éditions Ankama (19,95 €) — EAN : 9791033517887
Parution 29 août 2025