Par une opération surnaturelle, une trentenaire de nos jours se réveille dans le corps de la libraire new-yorkaise Tabatha Sands, au mois d’octobre… 1959 ! Après avoir repris ses esprits, elle décide de s’accommoder de cette curieuse situation et s’apprête à attaquer une nouvelle journée de jeune citadine, en compagnie de ses deux colocataires à la recherche d’emplois. Elle accompagne l’une d’elles à un casting et est choisie pour jouer la mascotte de Greenwich Village. Désormais affublée d’un costume de sorcière, elle va être confrontée au machisme de l’époque et se retrouver impliquée, puisque nous sommes en pleine guerre froide, dans une affaire d’espionnage : un jouissif récit rocambolesque réalisé volontairement sous contraintes feuilletonesques…
Lire la suite...Une sorcière pas comme les autres… à Green Witch Village !

Par une opération surnaturelle, une trentenaire de nos jours se réveille dans le corps de la libraire new-yorkaise Tabatha Sands, au mois d’octobre… 1959 ! Après avoir repris ses esprits, elle décide de s’accommoder de cette curieuse situation et s’apprête à attaquer une nouvelle journée de jeune citadine, en compagnie de ses deux colocataires à la recherche d’emplois. Elle accompagne l’une d’elles à un casting et est choisie pour jouer la mascotte de Greenwich Village. Désormais affublée d’un costume de sorcière, elle va être confrontée au machisme de l’époque et se retrouver impliquée, puisque nous sommes en pleine guerre froide, dans une affaire d’espionnage : un jouissif récit rocambolesque réalisé volontairement sous contraintes feuilletonesques…
En effet, même si ce réjouissant thriller paranormal de 94 pages — où se greffe une abracadabrante aventure avec des terroristes nazis et une bombe atomique qui menace de détruire la ville — a pris la forme d’un album classique franco-belge (avec, quand même six pages d’agréables bonus), il s’agit, d’abord, d’un hommage à l’énergie déployée par les artistes de l’âge d’or des strips quotidiens et des sunday pages, pendant les années cinquante/soixante.Â
Pour ce faire, le minutieux Frank Biancarelli (1) et l’imaginatif Lewis Trondheim (2) se sont mis dans les conditions de réalisation de cette période qui forçait les auteurs à prévoir au moins deux versions de leurs histoires, afin qu’elles soient possiblement ajustées en fonction de l’espace disponible imposé par la mise en page.
Ainsi (Trondheim étant friand de ce genre d’exercice, ne serait-ce qu’en tant que membre de l’OubaPo), ils ont veillé à ce que la première case de chaque planche soit toujours une grande image et que la dernière offre systématiquement une chute, tout en permettant à la page entière d’être lue de façon autonome et que sa publication puisse être adaptée en trois ou quatre strips.Â
Dans le dossier de presse, Lewis rappelle que si l’on peut aujourd’hui trouver ce carcan oppressif, ce n’est qu’un avant-goût des règles auxquelles les artistes de l’époque devaient se soumettre : « Il y avait des découpages encore plus complexes, des rajouts de petites images ou de textes qui ne servaient pas la narration et pouvaient être retirés au besoin, l’obligation de remettre en scène à chaque page le personnage principal par un gros plan… »  Toutefois, Frank Biancarelli en conclut que « cela reste une grande école de narration, portée par un dessin très élégant, et capable de résoudre bon nombre de défis graphiques ou techniques. »
Et, une fois accepté le postulat de départ — peut-être un peu déroutant pour un lectorat très (trop ?) traditionnel —, le résultat, tant narrativement que graphiquement, est à la hauteur de leurs ambitions.
Effectivement, cet hommage vintage est fort bien rythmé (avec de nombreux passages nerveux, voire presque saccadés, et même quelques touches d’humour) et le trait rétro de circonstance (aussi raffiné qu’harmonieux) est époustouflant : le tout rappelant non seulement les mythiques récits dessinés par les Alex Raymond, Noel Sickles, Milton Caniff, Harold Foster, Will Eisner, Frank Godwin, Ken Bald et autres Stan Drake, Leonard Starr ou Alex Kotzky (3) publiés dans les journaux américains, mais aussi l’efficacité et créativité des grands scénaristes feuilletonistes franco-belges comme Jean-Michel Charlier, René Goscinny, Michel Greg… que l’on retrouvait avec bonheur, chaque semaine, dans nos Spirou, Tintin, Pilote & Co.
(1)   Sur Frank Biancarelli, voir sur BDzoom.com : « Les Enfants cachés — Paroles d’étoiles 1939-1945 » : mémoires d’enfance et souvenirs de guerre…, Le grand retour du roman-feuilleton avec Franck Biancarelli et Gilles Verdiani !, L’imposant retour de Tintin…, Une nouvelle héroïne réaliste pour Lewis Trondheim !, Trondheim sur tous les fronts…, Le Livre des destins T2…
(2)   Sur Lewis Trondheim, voir sur BDzoom.com : Spirou et Fantasio dans « Le Trésor de San Inferno » : le retour aux fondamentaux !, Patty, ou la télépathie selon Lewis Trondheim…, Ce diable de marsupilami, au temps des conquistadors…, Un chassé-croisé tendre, amusé et innovant, sous la plume alerte de Lewis Trondheim…, Trondheim cuisine son « Lapinot » à la gauloise…, près le délirant atelier Mastodonte, la monstrueusement loufoque école Chihuahua…, « Castelmaure » : Alfred et Lewis Trondheim refont le conte !, Une nouvelle héroïne réaliste pour Lewis Trondheim !, Donjon, la série mythique de Sfar et Trondheim, revient… : et ça nous fait plaisir !, Un petit « Lapinot » entièrement muet…, L’Atelier Mastodonte ferme définitivement ses portes avec un 6e recueil de plus de 200 pages…, « Je vais rester » par Hubert Chevillard et Lewis Trondheim, « Density » T1 par Stan & Vince et Lewis Trondheim, Un Lapin(ot) à toutes les sauces…, « Infinity 8 T1 : Romance et Macchabées » par Dominique Bertail, Lewis Trondheim et Zep…
(3)   Il serait quasiment vital de faire découvrir, au plus vite, aux jeunes générations — et même aux nostalgiques de la BD d’autrefois — le « The Heart of Juliet Jones » (« Juliette de mon cœur ») du premier, le « On Stage » (« Mary Perkins ») du deuxième et le « Apartment 3-G » du troisième, lesquels ont très peu ou très mal traduits dans nos contrées ! Sur BDzoom.com, voir : French Soap (première partie : les bandes anglo-saxonnes).
« Green Witch Village » par Frank Biancarelli et Lewis TrondheimÂ
Éditions Le Lombard (21,95 €) — EAN : 9782808209885
Parution 26Â septembre 2025