En mettant en cases et en bulles le métier de sa compagne Françoise Roy, accompagnante pour les personnes atteintes d’Alzheimer et leurs proches au quotidien, Étienne Davodeau retrouve l’intensité émotionnelle de ses plus fameuses BD-reportages : à l’instar des « Mauvaises Gens » ou des « Ignorants » ! Grâce aux témoignages de celle qui est sa première lectrice, l’auteur, fasciné par sa fondamentale empathie, dépeint, avec pudeur et infinie tendresse, les relations, souvent intimes, qu’elle réussit (ou pas !) à nouer avec ses patients qui perdent la mémoire : quasiment 150 pages — en noir et blanc — aussi bouleversantes et sensibles que nécessaires pour mieux comprendre cette maladie pas comme les autres…
Lire la suite...« Kennedy[s] » : la dramatique saga de l’Amérique…

Les Kennedy ! Une famille et des leaders, devenus un mythe américain controversé ; dépassé par sa légende noire, hanté par la soif du pouvoir, les compromissions, les assassinats et les théories du complot… Sondant l’âme et le cœur de cette dynastie sur plus de six décennies, Philippe Pelaez et Bernard Khattou ont rassemblé, chez Glénat, une immense matière historique, à la manière de « La Bombe » (Rodier, Alcante et Bollée, 2020). Le résultat ? Un one-shot de 528 pages en noir et blanc, aussi imposant que saisissant, qui donne à comprendre en détails les causes des tourments politiques complexes de l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui…

Une séquence choc en ouverture : la lobotomie de Rosemary Kennedy en 1941 (planche 1 et 2 ; Glénat, 2025).
JFK (John Fitzgerald Kennedy, né le 29 mai 1917), devenu le 35e président des États-Unis (du 20 janvier 1961 à son retentissant assassinat à Dallas le 22 novembre 1963) n’avait naturellement pas échappé au 9e art. Citons « Rebelles T2 : John. F. Kennedy » (par Thierry Bouüaert, Maryse et Jean-François Charles ; Casterman, 2006), « Jour J T5 : Qui a tué le président ? » (Colin Wilson et Jean-Pierre Pécau ; Delcourt, 2011), « Les Dossiers Kennedy » (par Erik Varekamp et Mick Peet ; trois volumes publiés par Dargaud entre 2018 et 2022) ou « Ils ont fait l’Histoire T18 : Kennedy » (par Damour et Sylvain Runberg ; Glénat, 2016 ; réédition Glénat/Fayard/Le Monde en 2019). À l’instar de certains de ses prédécesseurs, et comme l’indique son titre et sa couverture (voir plus loin), « Kennedy(s) » ne se focalise pas uniquement sur une destinée présidentielle tragique, mais restitue plutôt toute l’architecture préalable de son ascension et de son accession à la fonction suprême.
À la base de toute dynastie trône souvent un patriarche, doté d’un caractère fort et d’une vision limpide de son futur et de celui des siens. Chez les Kennedy, il y eut Rose Fitzgerald (1863-1950) et surtout Joseph (surnommé Joe) Patrick Kennedy, tous deux descendants de familles catholiques irlandaises. Influent patriarche et sénateur démocrate sulfureux, homme d’affaires roué (millionnaire à 20 ans, il embrasse alternativement la construction navale, la banque, le cinéma (la RKO Pictures) et la bourse), nommé ambassadeur des USA en Grande Bretagne en 1938. Amplement discrédité pour ses accointances avec la mafia, sa vie dissolue et son admiration pour le nazisme, il conserve une ardeur politique et une influence certaine. Il reporte alors ses ambitions politiques sur ses fils, Joseph Patrick Kennedy Jr. (mort en août 1944 durant la guerre du Pacifique), puis John, deuxième d’une famille de neuf enfants…

Joe Kennedy avec le Président Roosevelt en 1938, lors de sa nomination comme ambassadeur au Royaume-Uni.
Comme nous l’explique longuement le scénariste Philippe Pelaez dans les chapitres suivants, la genèse et la préparation de cet album se produisirent sur un déclic :
« En juin 2021, je me suis décidé à lire « La Bombe », que j’avais offert à mon fils de 17 ans six mois auparavant. Il n’arrêtait pas de me tanner pour que je le lise, en me disant que c’était génial. Mais je n’arrivais jamais à trouver le temps pour le faire (j’étais encore enseignant, à ce moment, avec énormément d’heures supplémentaires et du boulot à n’en plus finir). Mais ce jour de juin (vers le 20, je crois), j’étais seul, je me suis assis sur le canapé, et j’ai attaqué « La Bombe », donc… Pour m’arrêter à la page 3, exactement. J’ai feuilleté la BD, j’ai fermé le livre, et je me suis dit : « Mais ce n’est pas la Bombe qu’il faut faire, c’est Kennedy !! » J’ai appelé tout de suite Franck Marguin, mon éditeur chez Glénat, en lui précisant que je venais de commencer le livre qu’il avait édité (il était tout fier, au passage), mais que j’avais arrêté ma lecture à la troisième page, en rajoutant : « Et si je te faisais la même chose sur les Kennedy ?
- L’assassinat ?
- Non, pas uniquement, c’est trop cliché ! L’ascension du père, Joe ; puis celle des fils ; et enfin une troisième partie qui naviguerait entre les moments-clés de la présidence et l’assassinat. Trois parties, une trinité ; pour des catholiques c’est parfait. Et je commencerais par une scène monstrueuse pour décontenancer le lecteur et lui donner une idée de l’ambiance.
- Banco ! Mais là, ça va être l’été, il y aura de nombreuses absences ; peux-tu me faire quelques pages de scénario et une note d’intention pour la rentrée de septembre ?
- Tu auras tout ça, promis… »
« Bref, en septembre, j’avais lu une vingtaine de livres, écrit une trentaine de pages, et rédigé une très longue note d’intention. J’ai proposé le projet à Bernard Khattou (qui voulait faire « Neuf », que j’ai réalisé chez Dargaud, mais on avait déjà choisi Guénaël Grabowski avec Ryun, mon éditrice). Je connaissais la capacité de travail de Bernard, ainsi que son évident talent. Il a dessiné trois pages de test, et tout a été validé chez Glénat, dans l’enthousiasme général. Ensuite, je me suis lancé à fond dans la lecture, la prise de note et l’écriture, pour terminer en juin 2024, trois ans après donc. J’ai lu exactement 376 livres (j’en ai enlevé quelques-uns dans la bibliographie en fin d’album), des centaines de lettres, de correspondances, des témoignages, des dépositions, etc. Puis j’ai visionné des films, des documentaires, et écouté des podcasts (en voiture, en me couchant, dès que je pouvais). Je ne dors pas beaucoup, ce qui fait que mes journées sont plus longues que celles des autres, je pense. Dans le même temps, j’ai eu d’autres livres publiés, écrit d’autres scénarios et continué mon métier d’enseignant. Ce qui a forcément posé problème à un moment, car je ne savais plus où donner de la tête. Comme aujourd’hui je peux vivre de mon métier de scénariste, maintenant je me suis mis en disponibilité de l’Éducation nationale depuis le 1er septembre 2024. »
« Le travail de Bernard a été remarquable, car il lui a quand même fallu réaliser environ 500 planches (497, je crois) en trois ans, ce qui correspond à environ huit albums BD classiques. Le choix du noir et blanc s’est imposé, bien sûr, car en couleurs, les délais auraient été doublés. Et le noir et blanc s’accorde très bien à cette période. Bernard a réussi à rendre cette histoire crédible ; je veux dire, elle est extrêmement réaliste et nous sommes plongés dans la saga dès le début, grâce à son dessin. »
« Cette dernière année (septembre 2024-août 2025) a surtout été une période de relecture, d’ajustement, d’écriture de la postface pour bien peser mes mots, de la rédaction du « who’s who », de l’arbre généalogique, etc. La relecture a été très, très longue, car après chaque passage, nous remarquions toujours, avec les correctrices et le studio graphique, des petites erreurs çà et là (une virgule mal placée, des italiques oubliées, des espaces ou interlignes incorrects). Bref, ça a été un très long travail, mais très enrichissant. Bernard a retouché quelques vignettes, arrangé quelques noirs, et a réussi à finir dans les temps. Il a réalisé un boulot titanesque. »
« Pour cet album, je dois dire que j’avais un petit avantage : j’ai étudié Kennedy avec mes élèves de lycée, et même ceux de classes préparatoires, vu que je suis professeur d’anglais (dans la biblio, il y environ 80 livres en français, et tous les autres en anglais). La difficulté a été de faire la synthèse de toutes mes lectures ; c’est à dire que chaque fois que je lisais un bouquin, je prenais des notes, surlignais les passages et les repérais avec des post-it annotés. Et quand j’écrivais une scène, je savais exactement où trouver mes sources et piocher mes informations. J’écrivais avec beaucoup de livres étalés sur une grande table, des pages de notes, mon iPad, mes carnets. »
« Je crois que la difficulté n’a pas été d’écrire « Kennedy(s) »… mais de ne pas l’écrire. Parfois, j’étais tellement plongé dans mon travail que c’était un déchirement d’arrêter l’écriture et d’aller en cours. Vraiment. Mes élèves savaient que je faisais de la BD et que j’écrivais parfois en classe, pendant qu’ils faisaient des exercices ou un contrôle. Et j’utilisais tout le temps que j’avais (interclasses, pause de midi) pour continuer. Heureusement, mes enfants étaient déjà assez grands. Mais bon, mon immersion dans l’écriture (car j’étais aussi sur d’autres projets) n’a pas été sans tensions familiales… Ma femme était un peu effrayée, j’étais comme possédé, un peu comme le Jack Nicholson de « Shining », sauf que je n’écrivais toujours la même phrase ! »
« Pour ma part, je trouve la couverture très réussie. Nous avons effectué plusieurs tests ; j’étais contre le premier souhait de Franck Marguin de représenter toute la famille Kennedy, car le livre concerne surtout le père, les deux fils ainés, Rosemary et la mère, Rose. Et Bernard et moi voulions une typo forte, puissante, carrée, quelque chose qui en impose. Les graphistes on fait, à partir des sublimes portraits de Bernard, un travail fantastique. Nous avons pas mal tâtonné, mais c’était un passage obligé vu les enjeux : taille du livre, pagination, sortie importante pour Glénat. Une fois que nous avions le bon découpage, Bernard a dessine les portraits au propre, et le reste s’est enchainé très vite. Je crois que ce sera un beau livre ; qu’il marche ou pas, nous sommes super contents de l’avoir fait. »
De la soif de réussite de Joe Kennedy à l’assassinat de JFK, de l’Irlande à la baie des Cochons et d’un président au suivant, « Kennedy[s] » brasse et embrasse très large, inspectant en détails tant le charisme que la part sombre des membres d’un clan qui défia le destin de l’Amérique. Traité graphiquement de manière réaliste, l’album – à la fois autobiographie historique et thriller historique – s’attarde également en détails sur le vendredi noir de novembre 1963, qui a tant fait couler de sang et d’encre (plus de 40 000 livres dédiés au sujet depuis la disparition de JFK) : dès lors, preuve après preuve, l’ombre de plusieurs tireurs diligentés par un complot ou une vengeance (mafia, consortium pétrolier, puissance étrangère, politiques US ?) ne fait plus guère de doute. Le tout cependant sans donner la clé d’une énigme insoluble avant la déclassification des documents et preuves existantes. Ce n’est pas la moindre force de l’album que de savoir se montrer convaincant par la force de sa documentation, mais surtout par son ambition historique exigeante. Un indispensable à lire, qui explique méticuleusement et par-delà le mythe Kennedy les troublantes arcanes de la politique américaine.
Philippe TOMBLAINE
« Kennedy[s] » par Bernard Khattou et Philippe Pelaez
Éditions Glénat (38 €) — EAN : 9782331089251
Parution 15 octobre 2025