Passionné par l’Histoire et ses faits méconnus, l’humaniste responsable de « La Vision de Bacchus », de « Florida » ou des « Illuminés » s’est acoquiné avec un très sérieux historien (Romain Bertrand, directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales), afin que l’on entende la parole des Nahuas du Mexique colonial. Pour ce faire, dans cette très réussie démarche expérimentale d’écriture à quatre mains, les deux auteurs nous racontent la vie, après l’invasion espagnole, d’un prêtre franciscain qui, aidé par un Indien converti, a consacré un demi-siècle à l’établissement du Codex de Florence : quasiment 2 500 pages — et autant de dessins — pour préserver la souvenance du peuple aztèque promise à l’anéantissement.
Lire la suite...Dans « Les Sentiers d’Anahuac », Jean Dytar joue graphiquement sur le choc de deux mondes…

Passionné par l’Histoire et ses faits méconnus, l’humaniste responsable de « La Vision de Bacchus », de « Florida » ou des « Illuminés » s’est acoquiné avec un très sérieux historien (Romain Bertrand, directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales), afin que l’on entende la parole des Nahuas du Mexique colonial. Pour ce faire, dans cette très réussie démarche expérimentale d’écriture à quatre mains, les deux auteurs nous racontent la vie, après l’invasion espagnole, d’un prêtre franciscain qui, aidé par un Indien converti, a consacré un demi-siècle à l’établissement du Codex de Florence : quasiment 2 500 pages — et autant de dessins — pour préserver la souvenance du peuple aztèque promise à l’anéantissement.
Venu au Mexique pour faire triompher la foi chrétienne en 1529, soit huit ans après la fin de la Conquête, le franciscain espagnol Bernardino de Sahagún constate et déplore la destruction systématique, par les conquistadores, de la culture précolombienne.
Il désire alors se lancer dans une gigantesque œuvre de sauvegarde de la mémoire indigène : la rédaction de ce qui serait une monumentale transcription de leur monde d’avant, avec leurs mœurs et leur histoire, et surtout leurs superstitions et autres « fausses » croyances locales. Le but premier de ce recueil encyclopédique, qu’il compte réaliser en se faisant aidé par une équipe de traducteurs autochtones, étant de tout savoir de ce peuple pour avoir les bons arguments et mieux pouvoir les convaincre, les éduquer, et les convertir au christianisme.
Dix ans plus tard, le jeune Antonio Valeriano — un Indien chichimèque lettré et catéchisé, n’ayant pas connu Anahuac (la civilisation disparue de ses ancêtres) — va croiser sa route et le seconder dans sa tâche. Tout au long de cette étonnante enquête qui durera quasiment 50 ans, ce garçon avide de connaissances, aussi curieux que brillant, découvre et analyse sa culture d’origine, laquelle s’oppose à celles des Occidentaux : c’est ainsi qu’il observe méticuleusement la percussion de ces deux mondes, tout en naviguant entre les deux.
Outre par son exceptionnelle rigueur scientifique et sa fluidité narrative, cet ouvrage qui met donc en lumière la préservation, sous l’impulsion d’un seul homme, d’un corpus florentin trop méconnu, épatera surtout le lecteur par sa finesse et son originalité graphique. En effet, Jean Dytar — qui change une nouvelle fois de style — (1) s’est amusé à jouer sur ce basculement des civilisations, entremêlant habilement les gravures européennes et les colorées illustrations méso-américaines présentes dans les codex mexicains : la fabrique des images étant un thème récurrent dans son œuvre. Ainsi, il propose de percutantes compositions hybrides, dont certaines nous font sortir de notre zone de confort, puisqu’elles nécessitent une lecture qui n’est pas toujours forcément linéaire…
Qu’importe, le résultat est là — original sur la forme comme sur le fond, comme pour la plupart des bandes dessinées de Dytar — et il devrait convaincre plus d’un amateur de ce 9e art que notre artiste contribue à faire évoluer…
Gilles RATIER
(1) Sur Jean Dytar, voir sur BDzoom.com : « Les Illuminés » : l’illumination d’un incontournable de l’année !, Et pour quelques albums sortis en 2021 de plus…, Mise en abyme jouissive pour les cinq sens dans un Louvre inhabituel…, « Florida » par Jean Dytar, « La Vision de Bacchus » exposée à Blois, Entretien avec Jean Dytar, auteur de « La Vision de Bacchus » et « Le Sourire des marionnettes », « La Vision de Bacchus » par Jean Dytar…
« Les Sentiers d’Anahuac » par Jean Dytar et Romain Bertrand
Éditions Delcourt/La Découverte (34,95 €) — EAN : 9782413082583
Parution 8 octobre 2025