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Aventures mouvementées de pirates, jeux de mot et expérimentations oubapesques : le cocktail détonant et ludique de « Forbans »…

16/11/2025
Par Laurent Lessous

Depuis « Détective Rollmops » en 2013, nous connaissons la qualité du travail du duo Renaud Farace/Olivier Philipponneau. Ils s’amusent à créer des univers décalés dans des bandes dessinées soumises à des contraintes ludiques, dans le droite ligne de celles inventées par les créateurs de l’OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle) et plus encore de l’OuBaPo (Ouvroir de bande dessinée potentielle). Leur dernier ouvrage, « Forbans », propose un récit de piraterie classique agrémenté de mots-valises, autour d’étranges petits personnages dessinés avec beaucoup de spontanéité.

Tout commence gaiement sur l’océan, à bord de la frégate Cocovin de sa majesté royale. On y célèbre un mariage d’amour entre la comtesse Eléonore du Nordest et le duc Éric du Sudouest. Quelle étrange idée de célébrer cette cérémonie ce jour-là, quand la probabilité d’attaque pirate est de 99,9 %. Ainsi, avant que les amoureux prononcent leurs vœux, de bavards boulets de canons sont projetés sur le navire. Ils annoncent l’arrivée du terrible capitaine Barbe-en-Tas qui veut faire de son fils un pirate comme lui. En effet, Éric est le fruit des amours cachées de la duchesse du Sudouest et de ce véritable forban. Les pirates prennent possession du bateau en retenant le malheureux Éric en otage.

Le jeune homme ne souhaite pas changer de vie et veut retrouver sa tendre Eléonore. Ses tentatives de fuite sont vouées à l’échec, jusqu’à l’attaque du Birdlandais volant du glacial capitaine O’ Polnorth. Barbe-en-Tas est fort marri de la grève de ses boulets de canon, lesquels ne veulent plus être privés de rhum. Le combat naval se termine par l’explosion des deux navires et le début d’une nouvelle quête pour tout ce petit monde : celle de la légendaire perle de la mystérieuse et dangereuse île Gekoko.

Au bout de 280 pages de péripéties incertaines, de rencontres avec des animaux vraiment fantastiques, de crises familiales et de beaucoup de fantaisie et d’humour, Éric retrouvent une Eléonore bien émancipée.

Nous vous déjà entretenu sur BDzoom.com du travail détonant du duo Olivier Philipponeau - Renaud Farace à propos de leur livre-enquête, prétexte à jeux et humour parfois nonsensique, « Détective Rollmops » aux éditions The Hoochie Coochie. Nous les retrouvons avec plaisir avec « Forbans » : un ouvrage hors-norme à la fabrication particulièrement soignée. En effet, sa reliure Suisse rigide permet une ouverture entièrement à plat pour une ouverture parfaite, car les pages reliées se tournent et se lisent à plat. Une impression 4 Pantones sur un papier offset 150 g ajoute à la qualité de l’ensemble.

Pour les auteurs, la forme est aussi importante que le fond ; chaque épisode a une couleur différente et une contrainte de forme qui a influencé l’écriture : ainsi, dans le chapitre 8, la couleur est le fond de l’intrigue.

Pour les deux auteurs, la contrainte a quelque chose de libérateur, car elle stimule la créativité et l’originalité. Elle leur permet donc de sortir de leur zone de confort. Ils s’en sont donnés deux sur ce projet : la bichromie et les mots-valises.

La couleur de référence change ainsi à chaque nouveau chapitre et les jeux de langage à base de mots-valises fusent sur tout le récit : du « requincaillerie » féroce aux « anguillemets » qui percent les phylactères comme des bulles de savon et du dangereux « calamalabar » au « steampunk » cétacé « cachaloco ». En fin d’ouvrage, un livre de recette permet à tout-à-chacun de créer ses propres mots-valises. Ainsi le lecteur devient acteur en s’immergeant dans le livre.

Vous l’aurez compris, l’ouvrage propose plusieurs niveaux de lecture. Le récit de piraterie classique qui bascule à mi-chemin vers le fantastique intéressera les plus jeunes, lesquels s’amuseront aussi des multiples jeux de langage tout comme du graphisme spontané, à partir de formes simples dessinées aux feutres et stylos (autre contrainte). Les lecteurs plus âgés se passionneront aussi pour ce récit de pirates inspirés des romans de Jules Verne, de Stevenson ou de Daniel Defoe, mais aussi de bandes dessinées : du bestiaire de « La Vallée des bannis » 41e aventure de Spirou et Fantasio, des Schtroumpfs pour le langage inventé du peuple KotKot, de « Barbe Rouge » (le héros se prénomme Éric) et même des aventures de Tintin : l’alcoolisme des boulets rappelle celui du capitaine Haddock. Cet imaginaire flamboyant est magnifié par un langage vivant et inventif. De quoi passer un excellent moment sur près de 300 pages.