La poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) est manifestement intrigante. Elle n’a été reconnue comme écrivaine qu’après sa mort, sa sœur découvrant alors 1 775 poèmes qu’elle avait écrits. Cette femme de bonne famille, solitaire, indépendante, insoumise et passionnée par les mots l’était aussi par les plantes et le monde sensible qui l’entourait, comme le montre joliment « Le Jardin d’Emily » de Lydia Corry.
Lire la suite...« 421 : l’Intégrale T1 » par Éric Maltaite et Stephen Desberg
Figurant parmi les intégrales Dupuis les plus attendues, « 421 » est certainement l’une des séries les plus mémorables des années 1980. Marqueur indéniable d’une période plus sombre et plus cynique, aux côtés de « XIII » (publié dans Spirou en 1984), de « Soda » (débuté en 1986) et de « Largo Winch » (1990), l’agent secret britannique Jimmy Plant déploie avec un plaisir évident la formule éprouvée du récit d’espionnage, la saga « James Bond » en ligne de mire. Entre Desberg (qui rendait par là un bel hommage au travail effectué en commun avec Will sur « Tif et Tondu ») et Maltaite (fils de Will et dessinateur des récents « Choc »), point de guerre froide ! 10 palpitants albums suivront donc, de 1983 à 1992, à commencer par « L’Épave et les millions », « Guerre froide » et « Bons baisers du 7ème ciel », premières missions présentées dans les 200 pages de ce bel ouvrage patrimonial, enrichi comme ils se doit de visuels inédits et d’un instructif dossier signé de notre confrère Didier Pasamonik (Actua BD).
Au début des années 1980, et suite au triomphes successifs de « L’Espion qui m’aimait » (Lewis Gilbert 1977 ; Oscars pour les décors et la musique) et « Moonraker » (Lewis Gilbert, 1979), la licence James Bond (alors incarné par Roger Moore depuis 1973) se porte au mieux. Elle redeviendra plus sobre et plus réaliste en 1981 avec « Rien que pour vos yeux », dirigé par John Glen. En bande dessinée, 007 avait principalement inspiré « Bruno Brazil » (Greg et Vance, 1969) et « Clifton » (Turk et De Groot, 1978 ; le visuel de couverture des intégrales de « Clifton » au Lombard et « 421 » pour Dupuis étant quasi-similaires !), avant que n’apparaisse en 1981 « Pharaon », concocté par André-Paul Duchâteau et Daniel Hulet chez Glénat, puis « XIII ». Dans « Tif et Tondu », Stephen Desberg (assistant de Tillieux en 1977 puis seul scénariste de la série en 1980) allait parfois appuyer la trame bondienne, cette dernière conduisant les personnages à affronter un grand méchant aussi mystérieux que mégalomane (voir « Choc 235 » en 1985 et « Dans les griffes de la main blanche » en 1986). Dans Spirou, outre cet autre enquêteur britannique qu’est « Mic Mac Adam » (dessiné par Benn dès 1978), Desberg a écrit pour Éric Maltaite le récit complet « Jules et Gil » (1978) ainsi que plusieurs aventures humoristiques mettant en scène le périple de la famille Hérodius à travers l’Histoire (inédits en albums).
À l’évidence influencé graphiquement par Jijé, Franquin, Tillieux, Delporte, Peyo, Walthéry ou Macherot, Maltaite se réapproprie le style Willien, ce qui lui vaudra à ses débuts quelques déboires. Lorsqu’il propose ses travaux à Thierry Martiens, rédacteur en chef de Spirou, il obtient pour toute réponse : « On a assez d’un Will dans le journal. » Maltaite débutera donc… dans Tintin ! Revenu à l’école de Marcinelle, Maltaite désire explorer le domaine du semi-réaliste, excluant le seul registre humoristique dans lequel Desberg n’est pas particulièrement à l’aise. 421 héritera en conséquence d’un esprit de charme et de choc ne négligeant pas le second degré cher à la période Roger Moore. En couverture de Spirou n°2177 du 3 janvier 1980, voici précisément apparaître « 421, agent de choc » : le slogan, plus ou moins inconscient, confirmait bel et bien le passage de relais entre Tif et Tondu et l’agent spécial Jimmy Plant, dont le nom est aussi un hommage au groupe Led Zeppelin (Desberg se destinait en premier lieu à faire carrière dans la musique). Les matricules OSS 117 et 007 étant déjà pris, ce dernier hérite du savoureux nom de code 421 : le fameux jeu de dés fait immédiatement songer tant au hasard aventureux qu’à un éventuel héros arpentant les prestigieux casinos ou les bars louches et enfumés. Ces décors seront par la suite illustrés en 1984 et 1985, en guise d’annonces des prépublications successives.
Initialement publié en avril 1983 comme 5ème tome de la collection Carte blanche de Dupuis, puis réintroduit en tant que tome 0 de la série, « L’Épave et les millions » réunit « La Silhouette » et sa suite (« L’Épave et les millions »), deux premiers actes datant de 1980 dans lesquels 421 tente de retrouver l’intrigant cerveau d’un bande de gangsters ayant dérobé 150 millions de livres sterling. Pour l’anecdote, afin de respecter les délais de parution de l’hebdomadaire Spirou, c’est Will qui réalisera à la place de son fils le dessin annonçant « L’Épave et les millions » en couverture du n°2214, le 18 septembre 1980. Après ce démarrage plutôt satirique, placé dans le droit fil des atmosphères propres à Tif et Tondu ou Indiana Jones (apparu sur les écrans français en septembre 1981), les auteurs allaient peu à peu complexifier la série, alors que Desberg arpente le monde et prend conscience des enjeux de son actualité. Alternant de manière originale entre trames policières, d’espionnage ou de science-fiction, ils allaient surtout faire de 421 un véritable homme de l’ombre, torturé entre les impératifs de sa mission, une morale souvent mise à mal, ses amours perturbées et les manigances politiques internationales. Ainsi de « Guerre froide » (T1 publié en octobre 1984), où l’organisation fascisante I.T. (digne du Spectre de Ian Fleming) fait planer une menace climatique sur le monde occidental (un remake du « SOS Météores » de Jacobs !), et de « Bons baisers du 7ème ciel » (T2 en janvier 1985 ; le titre étant un clin d’œil évident à « Bons baisers de Russie »), où 421 doit mener l’enquête après une tentative d’assassinat sur un ministre. Précisons que cet album est complété par « Le Visiteur du Crétacé » (récit en 5 planches paru dans Spirou n°2293 le 25 mars 1982), où le héros affronte rien moins qu’un tyrannosaure (mais est-il réel ?), huit ans avant que Michael Crichton ne le remette en scène dans son « Jurassic Park », mais aussi neuf ans après le film « Mondwest » (toujours de Crichton) et son parc d’attraction-piège. Dans « 421 », Desberg et Maltaite auront ainsi matière à déployer jusque au début des années 1990 les réalités et artefacts d’un monde post guerre froide devenu incertain, terrain de jeux (mortels) et d’enjeux géostratégiques dans lesquels le héros lui-même n’est précisément qu’un numéro (ou un nombre), un pion manipulable. Mais aussi un élément rusé et dangereux, susceptible de se rebeller en remontant la piste de ses sordides commanditaires (voir « Le Seuil de Karlov », ultime titre paru). Avec 421, le dé en est jeté…
Philippe TOMBLAINE
« 421 : l’Intégrale » T1 par Éric Maltaite et Stephen Desberg
Éditions Dupuis (20,50 €) – ISBN : 978-2800157641
Je croyais que vous aviez sous le coude un ultime numéro de 421? Amitiés
Je viens d’acheter CHOC quand j’ai vu que c’était vous le dessinateur, je dois être fan!