Après deux ans d’absence, Mathieu Lauffray conclut le cycle « Raven » avec ce copieux (84 pages) troisième volume. Dans la lignée de son « Long John Silver », scénarisé par Xavier Dorison, le dessinateur — qui sait si bien mettre en scène pirates, mer déchaînée, ambiances gothiques ou menaçantes — revient en soignant son final.
Lire la suite...« Le Spirou de… T11 : Le Maître des hosties noires : » par Olivier Schwartz et Yann
Spirou au Congo ! L’image, référentielle, symbolique et un rien parodique, vaut à elle seule le détour… Bouclant l’aventure débutée en 1946 dans « La Femme-léopard » (paru en mai 2014), Yann et Schwartz content avec un plaisir évident les tribulations de nos héros. Voici donc Spirou, Spip et Fantasio partis accompagner la belle Aniota jusque dans l’ex-colonie belge pour y rapporter un précieux fétiche. Sur leur route se dressent un dictateur africain entouré de savants pas tout à fait dénazifiés et désireux d’atomiser Bruxelles, ainsi que le bon père Lebouc, un missionnaire aux méthodes parfois peu catholiques ! Ampli de nostalgie et d’humour, ce récit (de 64 pages très denses) n’oublie pas d’évoquer avec gravité le racisme ou l’exploitation contrainte du continent noir…
Sur 11 albums de la collection « Spirou vu par… », trois ont déjà été réalisés par le duo Yann et Schwartz : après « Le Groom vert-de-gris » (août 2011) et « La Femme-léopard » en 2014, les auteurs étirent leur maillage narratif vers des cieux envisagés à vrai dire depuis les origines, tant la guerre, l’exotisme aventureux et les références tintinesques irriguent l’entièreté de la série (voir par exemple « Le Dictateur et le Champignon » par Franquin ou « La Frousse aux trousses » de Tome et Janry). Parmi les nouveaux truculents personnages introduits dans cette aventure, on pourra distinguer de prime abord dans le bon père Lebouc une silhouette assez proche de celle d’Odilon Verjus, un héros peu banal créé par Laurent Verron et Yann en 1996. Pourtant, le fictif Lebouc doit tout à un authentique féru de cinéma : en l’occurrence le Père Albert Van Haelst, un passionné qui recruta ses acteurs sur place et construisit une remarquable série burlesque – « Matamata et Pilipili » – inspirée de « Laurel et Hardy ». Avec l’actuel album, Yann reprend également une partie du scénario imaginé jadis par Yves Chaland dans « CÅ“ur d’acier » et sa suite inachevée (1986). On retrouvera donc ici – ou plutôt sur les terres d’Urugondolo – d’étranges robots-gorilles mêlés aux thèmes conjoints de la menace atomique et de la sorcellerie africaine. Entre mauvais esprit et progrès dévastateur, on aura tôt fait de s’apercevoir que la brutalité sanguinaire n’a malheureusement pas de couleur de peau…
En couverture de l’édition Dupuis classique, nous retrouvons la confrontation suggérée par le titre : Spirou (porteur de la lumière) et Fantasio (armé d’une caméra de cinéma invitant à la captation de l’imagerie documentaire) font face au « Satan africain », un redoutable féticheur serviteur d’Urupfu, le pire démon des ténèbres locales (sic). Toujours aussi productif, Olivier Schwartz aura également réalisé une poignée de visuels alternatifs, à commencer par une scène christique amusée en couverture du Spirou double de Noël 2016 (n°4104-4105 du 7 décembre) lors du lancement de la prépublication. Pour la version bruxelloise (« Spirou au Kongo Belche »), les lecteurs admireront un sympathique parallèle au célèbre visuel conçu par Hergé pour « Tintin au Congo » (1931 ; la Ford T noire n’est visible qu’à partir des rééditions de 1937 et 1942). Signalons également les deux couvertures des versions luxe (Dupuis et La Parenthèse/Brüsel), montrant alternativement nos héros bien malmenés par le potentat local (prenant le globe terrestre pour un ballon, tel Chaplin-Hynkel parodiant Hitler dans « Le Dictateur », 1940) ou partis en quête de sombres vérités. Trônant sur un tas de fétiches et de crânes, le « Maître » (dont le masque cache l’identité ou les racines profondes…) nous interroge in fine sur les aveuglements séculaires – foi, science et croyance, culture, apprentissage et ignorance – rattachés à la colonisation et à la négritude. On se souviendra dès lors du titre du recueil de poèmes (« Hosties noires ») publié par Léopold Sédar Senghor en 1948, dans lequel le grand homme de lettres (d’origines sénégalaises) retraçait son expérience douloureuse de la guerre et des camps de travail, épreuves marquées au fer rouge du mépris pour l’homme noir. N’oublions pas qu’en janvier 1944, la conférence de Brazzaville (la capitale du Congo « français » fait face à Léopoldville, capitale du Congo « belge »), qui sonnait pourtant comme une promesse d’amorce libératoire, se transformer en remarquable faux départ de la décolonisation, toujours jugée impensable aussi bien par le gouvernement français que par les exploitants belges de la « 10ème province ». En bref, hosties soient qui mal y pense (sic) ! Seules la débrouillardise et l’amitié proverbiales de nos compères triompheront contre toutes les vicissitudes : « du mal sortira le bien », comme l’énoncera un Spirou volontiers proverbial et moralisateur dans les dernières planches. Les heurts du « bon vieux temps » enfin oublié, le héros – tel l’Europe des années 1950 – pourra recommencer à vivre…
Pince-sans-rire perpétuel, Yann nous fait le plaisir de répondre à quelques questions :
Commençons par le début, le choix du titre : chez Dupuis, n’a-t-on pas tiqué en voyant le mot « hosties » ? Et que dire du référentiel « Spirou au Kongo » ?!
Yann : « Plus précisément : « Spirou au Kongo Belche », ce qui permet d’opérer une ironique distanciation avec l’opus de George Remi… Que nenni ! Les dignes éditions Dupuis nous ont laissé toute latitude, nous accordant toute leur confiance et comptant sur une saine autocensure, digne d’auteurs matures et responsables… Quelle naïveté ; c’en est presque attendrissant ! Tiens, pour un peu, j’en aurais presque des scrupules… mais ayant déjà des hémorroïdes, la place est déjà prise ! »
Précisément, comment échapper visuellement aux références utilisées ou popularisées par Hergé ?
Yann : « Mais pourquoi vouloir y échapper ? Quelle idée saugrenue… Au contraire, les BD humoristiques, tout comme les comédies au cinéma, trouvent une partie de leur substance dans le recyclage réactualisé des grands archétypes et des codes du genre parodié, dans la dérision et le dézingage tous azimuts de tout ce qui, avec le recul du temps, de la réflexion, est devenu obsolète, ringard, paternaliste, bondieusard, nauséabond, ou tout simplement ridicule… »
Cette histoire avait été initiée dans les années 1980 avec Yves Chaland : quelles sont les différences fondamentales de cet album désormais achevé ?
Yann : « Il ne s’agissait en aucun cas pour nous « d’achever » l’épisode entamé avec Yves Chaland ! Rien que la formulation (« Achever un album »…), ça sonne comme une exécution sommaire ! Non, mis à part le contexte africain, le thème des femmes-léopards et les deux personnages du groom écarlate et de son acolyte au système capillaire extravagants, il s’agit ici d’un récit entièrement différent (sic), troussé sur mesure pour Olivier Schwartz et s’inscrivant dans la suite logique de l’épisode précédent, « La Femme-léopard ». J’ai juste conservé le nom de la région où se déroule l’action, l’Urugondolo, afin de faire un petit clin d’œil à Yves… »
Entre fétichisme et modernité, l’histoire progresse au fil de pistes fort dangereuses : cette réalité africaine est-elle encore d’actualité ?
Yann : « Hélas, le fétichisme, à l’instar de la sorcellerie résiduelle qui prospère encore dans certaines régions reculées du centre de la France profonde, reste malheureusement d’actualité en Afrique centrale ; les ONG alertent régulièrement les autorités compétentes sur les tragiques disparitions d’enfants albinos, dont on retrouve trop souvent les corps mutilés, après que leurs organes aient été prélevés et revendus à des féticheurs qui confectionnent avec ces pitoyables restes des amulettes censées bénéficier de supposés pouvoirs magiques de ces malheureux enfants à la peau blanche… »
Déjà trois Spirou réalisés avec Olivier : avez-vous d’autres projets en commun, sur cette série ou d’autres, comme par exemple une reprise de Gil Jourdan ?
Yann : « Raaah ! La reprise de Gil Jourdan ! Le bonheur extatique ! Le rêve de gosse ! Bien sûr qu’Olivier et moi en crevons d’envie ! Je me damnerais volontiers, et je serais même prêt à damner Olivier, pour parvenir à atteindre ce plaisir suprême ! Rarement en BD une petite galerie de personnages m’aura autant séduit, enfant… Ils me sont si familiers que j’ai l’impression qu’ils font partie de ma propre famille ; une branche très proche, beaucoup plus proche même, que la plupart de ses autres ramifications… Dans l’immédiat, Olivier et moi bâtissons notre première collaboration 100 % originale (« Gringos Locos » étant un biopic) et j’avoue que c’est très excitant ! »
Philippe TOMBLAINE
« Le Spirou de… T11 : Le Maître des hosties noires : » par Olivier Schwartz et Yann
Éditions Dupuis – Version classique de 64 p. (14,50 €) – ISBN : 978-2-800164021
« Le Spirou de… T11 : Le Maître des hosties noires : » par Olivier Schwartz et Yann
Éditions Dupuis – Version luxe de 160 p. (149,00 €) – ISBN : 978-2800169682
« Le Spirou de… Le Maître des hosties noires : » par Olivier Schwartz et Yann
Éditions Dupuis – Version bruxelloise de 72 p. (30,00 €) – ISBN : 978-2800169675
« Le Spirou de… Le Maître des hosties noires : » par Olivier Schwartz et Yann
Éditions Dupuis – Version La Parenthèse/Brüsel de 64 p. (14,50 €) – ISBN : 978-2800170947
Ah non !
Ne touchez pas à Gil Jourdan !
Non et non !
(d’ailleurs, il me semble que les héritiers ne le désirent pas)
Pourtant, leur galop d’essai est une réussite …
Bonjour
Vous vouliez sans doute parler des quelques planches publiées dans le journal de Spirou n°4093 du 21/09/2016 ?
Mouais… Il faudra rappeler aux auteurs qu’un « Victor Hugo » n’était pas le billet de cinquante francs comme indiqué, mais plutôt le billet de 500 (anciens) francs, puis du 5 NF (nouveaux francs) !
Quel excellent dessinateur !