La maison d’édition belge Kalopsia entreprend de rééditer les deux premiers volumes d’une série publiée en 2014 et 2016, puis abandonnée par Glénat : « Ennemis de sang ». Kalopsia en profite pour publier un tome 3 inédit, avant de clore la série par un tome 4. Francis Carin et David Caryn signent dessins et couleurs sur un scénario de Francis : l’occasion, donc, de redécouvrir cette saga familiale et voyageuse…
Lire la suite...L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : cinquième partie
Cinquième partie d’un imposant dossier de Michel Denni sur le magazine L’Épatant publié, à l’origine (sans les illustrations et sans la mise à jour), dans la revue spécialisée Le Collectionneur de bandes dessinées, du n° 101 daté du printemps 2004 au n° 104 daté du printemps 2005. On y parle de Louis Forton, Gaston Callaud, Pablo Roig, Rolno, Jo Valle, Boutel, André Charpentier, Lucien Haye, Guy Péron, Aristide Perré, Jean Kolb… Des auteurs bien oubliés aujourd’hui…
Nous avons laissé, dans notre précédente étude (1), les Pieds nickelés à Paris à la tête d’un institut de beauté au n° 1117 du 26 décembre 1929.
Ils organisent le concours du plus beau gosse de France que Ribouldingue gagne haut la main après « rectifications des bulletins de vote » (n° 1120).
Puis, le trio monte une école de cinéma avec, comme exercice pratique, le tournage d’un western qui se termine par l’attaque réelle d’un fourgon de la Banque de France (couverture du n° 1124).
Devenus coureurs à pied à la faveur d’une fuite, ils participent aux Jeux olympiques en truquant le lancé de poids (n° 1129), les cordes du trapèze volant (n° 1130), les gants de boxe, la piscine pour les épreuves de natation, la perche (munie d’un ressort), etc.
Louis Forton, déchaîné, accumule des gags sportifs du plus haut comique sur plusieurs numéros, jusqu’à la course éperdue de notre trio poursuivi par la police, Filochard déclarant en bulle : « Cette fois, c’est pas du chiqué » (n° 1134).
Les Pieds nickelés, de la forêt de Fontainebleau à la traversée de l’Atlantique
Puis c’est l’épisode de la forêt de Fontainebleau : un des sommets de l’humour fortonien, avec Croquignol en ermite, tronc d’arbre passé au goudron, tonneau à double fond, faux ours, paysage en trompe-l’œil pour abuser les chasseurs, etc.
Les Pieds nickelés iront jusqu’à capturer, sans le savoir, le chef de la sûreté pour lequel ils exigeront une rançon. Mais, victime d’un faussaire américain, Croquignol est arrêté par la police. Celle-ci lui fait alors subir une séance de torture à l’électricité (n° 1153) dans « la fameuse chambre des aveux spontanés » (sic), où il désigne le refuge de ses complices, lesquels sont aussitôt emprisonnés.
Après une évasion en jouant sur la confusion entre inculpés et témoins dans le cabinet du juge d’instruction, Louis Forton invente les gags les plus désopilants : le guignol mondain (couverture du n° 1159), les boutons de culotte à la place de louis d’or (n° 1160), le vol à l’auto cab (n° 1161), la séance de spiritisme (n° 1164), etc.
Le clou est atteint avec la fausse traversée de l’Atlantique à bord du Point d’exclamation, Filochard s’envolant de Normandie et Croquignol (déguisé en Filochard) atterrissant près de New York 5 heures 56 minutes plus tard avec un avion identique, en donnant ainsi l’impression de pulvériser le record de 37 heures 18 minutes de Coste et Bellonte, réalisé les 2 et 3 septembre 1930 à bord du Breguet Point d’interrogation.
Ses deux acolytes ayant rejoint Croquignol en bateau, le trio va évoluer pour la troisième fois de leur histoire aux États-Unis (2).
Ils sont tour à tour trafiquants d’alcool à travers le pays en se déplaçant à bord du Point d’exclamation, puis d’un ballon dirigeable ; tueurs au service du gangster Jim le Borgne ; condamnés à la chaise électrique, mais s’évadant en truquant l’installation, etc. Ils retournent en bateau vers la France en se faisant passer pour de faux émigrants polonais refoulés (n° 1187), mais à peine débarqués au Havre, sont arrêtés par la police. Après une évasion mouvementée à bord d’un train, Filochard travesti en groom de voiture-restaurant (couverture du n° 1194), les Pieds nickelés se retrouvent à Paris porte Dorée où débute l’Exposition coloniale de 1931. Ils transforment un clochard en homme de Bornéo (n° 1200) pour un cachet de 25 francs par jour, exhibent des pygmées imaginaires « si petits qu’ils sont devenus invisibles », montent un manège truqué pour subtiliser les portefeuilles (n° 1205), dirigent un faux restaurant chinois, organisent une chasse au lion dans le zoo de Vincennes, lancent un pousse-pousse avec son passager sur le Scenic-Railway (n° 1209), etc.
Puis, trouvant plus prudent de changer d’arrondissement parisien, ils agressent un encaisseur de la Compagnie du gaz avec des œufs pour lui voler sa sacoche, mais se retrouvent en prison (n° 1212), après s’être endormis dans un lit exposé dans une vitrine de marchand de meubles. Ils s’évadent alors déguisés en bourreaux, non sans avoir auparavant sauvé un condamné à mort innocent en faisant guillotiner un mannequin à sa place. Ce dernier, dissimulé une malle en osier, sera ensuite l’objet de différents vols prétexte à de nombreux gags courant sur plusieurs numéros.
Les Pieds nickelés, des champs de courses à l’Opéra
Puis les Pieds nickelés se lancent dans les courses hippiques (n° 1219), milieu que Louis Forton connaissait parfaitement depuis son enfance. Ils trafiquent sur les paris, pratiquent le dopage (n° 1221), posent des ressorts aux sabots d’un cheval pour mieux lui faire sauter les haies, etc. Tout se termine par la fuite des trois lascars (n° 1225) qui, heureusement, rencontrent alors le député Durafût, lequel les pistonne pour diriger l’Opéra de Paris. Ribouldingue devient directeur, Croquignol régisseur et Filochard metteur en scène.
À la place des vestiaires, ils mettent des portemanteaux cachés sous une trappe se trouvant devant chaque fauteuil, afin de mieux vider les portefeuilles ou remplacer les habits des spectateurs par de vieilles nippes achetées en brocante. Les dames du vestiaire sont recasées dans le corps de ballet, tandis que dans une loge une fausse famille royale constituée de mannequins en cire assiste au spectacle. Mais tous se mettent à fondre sous l’effet de la chaleur (couverture du n° 1228). Le clou du spectacle est un « pot-pourri revue » (sic) où la Marguerite de Faust danse avec l’Hamlet de Shakespeare au son d’un saxophone.
Une émeute de spectateurs en colère chasse ensuite les Pieds nickelés de l’Opéra et ils fondent un cabinet de police privée : L’Œil de bœuf, où ils livrent des cambrioleurs à la police tout en subtilisant leur butin, ce qui relativise quelque peu l’esprit libertaire de Louis Forton.
Avec Gaston Callaud de Paris-Baltimore à Dédé Pasdebile détective
Entre-temps, Gaston Callaud, toujours fort méconnu des encyclopédies de bandes dessinées, mais déjà évoqué dans une précédente partie de notre étude, a démarré « Paris-Baltimore » en février 1930 (3). Aristide Plumet, un jeune écrivain fauché, découvre qu’il possède un oncle d’Amérique : le richissime James, Arthur Finneserb. Celui-ci donne six mois à son neveu pour venir le rejoindre par ses propres moyens à Baltimore en faisant preuve de débrouillardise. Sinon, toute sa fortune ira à l’agence policière Grim-and-Gram, laquelle va multiplier les embûches pour faire échouer le malheureux Plumet.
Gaston Callaud, qui imposera plus tard les phylactères aux Offenstadt avec « Bibi Fricotin » dans Le Petit Illustré, est encore prisonnier d’un texte sous l’image, heureusement peu fourni. Le graphisme semi-réaliste avec des personnages aux contours volontairement mal définis munis de têtes, torses et jambes disproportionnés, reste fort original en France, pour l’époque, et le scénario aux rebondissements bien amenés emporte le lecteur avec humour jusqu’à la rencontre finale de l’oncle et du neveu.
« Dédé Pasdebille », que Callaud commence en décembre 1932, met en scène un vagabond à la tête démesurée par rapport au torse qui résout de petites enquêtes avec une chute comique souvent en une planche en dernière page (en couleurs).
La série permute avec « Les Pieds nickelés » et passe en double page centrale, mais en noir et blanc, au n° 1302 du 13 juillet 1933 : la lisibilité du dessin devenant, par là même, plus aérée.
Après moult gags décrits dans un texte fourni en dessous des cases, Dédé Pasdebille terminera chevalier de la Légion d’honneur et commissaire de police à Marseille tout en gagnant le gros lot de la Loterie nationale (n° 1341).
Autre bande à l’affiche de L’Épatant : « Les Masques noirs », à partir d’avril 1930. Il s’agit des méfaits de malfaiteurs qui terrorisent Paris à l’époque de Louis VI le Gros.
Son auteur, Pablo Roig, évoqué dans une précédente partie de notre étude, est un dessinateur d’origine espagnole spécialisé dans les bandes historiques.
Il a travaillé dans Frou-Frou dès 1902 avec le spécial « Les Femmes de Paris » et collaboré à La Vie en culotte rouge de 1904 à 1912.
Il réalise, dans L’Épatant, « Le Chevalier de Montalbert » (1925-1926), « Le Chevalier Sans-Souci » (1927-1928) et « La Disparition du grand Tangarung » (1937) où son graphisme fin et précis fait merveille.
Il signera aussi, dans Fillette, La Fauvette de Mantou (1939).« Lequel des neuf ? », qui débute en février 1931, appartient au genre policier.
Il est écrit par Hector Saintillac et dessiné par Rolno, lequel s’est d’abord fait connaître comme illustrateur à l’humour polisson, en 1912, dans La Vie en culotte rouge et dans Le Régiment. Mais il est aussi à l’aise dans les bandes dessinées fantastiques ou exotiques très modern style qu’il réalise dans Fillette : « Les Aventures de la Princesse Olga » et « Nadia la Paysanne » (1912), « Fleur d’automne » (1913), « La Harpe qui pleure » (1915), « La Belle Légende de l’oiseau phénix » (1917), etc.
Après la Grande Guerre, il est présent dans Parisiana (1925) et Le Pêle-Mêle (1927). Il restera fidèle aux Offenstadt au moins jusqu’en 1936, puisqu’on le retrouve cette année-là dans L’Almanach du Petit Illustré.D’Oscar Laguigne au Ministère du Père Lampion.
« Les Déboires d’Oscar Laguigne » débutent en mars 1931. Il s’agit d’un monsieur poursuivi par la déveine, dont les mésaventures sont relatées par un texte fourni de Jo Valle ; Boutel se contentant de dessiner de façon très figée sans recherches particulières pour déclencher le rire. De ce fait, la bande qui se veut humoristique paraît plutôt sinistre.
Boutel s’est fait connaître au Pêle-Mêle en 1916. Il travaille ensuite à La Marmite (1917), au Rire (1917-1918), à L’Almanach national (1925-1936), Parisiana (1930-1934), Midinette (1930-1935), Marius (1930-1938). On perd sa trace après sa collaboration à L’Almanach d’Olive en 1940. Il conçoit aussi dans L’Épatant, début 1932, « Lui… et l’autre » : amusante bande humoristique cette fois, qu’il ne signe pas, mais où l’on reconnaît aisément son style.
Le texte est d’André Charpentier (1884-1966), auteur prolifique de romans policiers, parfois parodiques comme « Le Disciple de Loufoque Holmès » en feuilleton dans Le Pêle-Mêle en 1926 (4). Il prépubliera dans L’Épatant, en 1934-1935, son chef-d’œuvre : « L’Énigme de la forêt bleue » sur un tueur en série qui, bien que décapité et enterré, poursuit ses forfaits (5). Il signera également « L’Énigme de trois heures du matin », en 1936-1937.
En octobre 1931, commence « Le Prince Kama » par Lucien Haye (1876-1939). Il s’agit des aventures humoristiques dans le grand monde de Célestin Dupont, poète en disponibilité et passablement fauché. Un texte fourni de Guy Péron décrit l’action, mais contrairement à Boutel cité plus haut, Haye, grâce à un dessin aéré, vif et enjoué ou prédominent des têtes imposantes et plaisantes, fait de ce prince Kama une bande pleine de charme. Quel dommage qu’en ce début des années 1930, les Offenstadt s’obstinent toujours à proscrire les phylactères, hormis pour Louis Forton qui les impose, mais à doses homéopathiques !
Lucien Haye, dix années plus tôt, a réalisé une bande policière dans L’Épatant : « L’Homme aux cent visages ». Débutant dans L’Illustré national en 1899, il a travaillé entre autres dans Le Frou-Frou (1901), Le Bon Vivant (1903), Polichinelle (1905), American Illustré (1907), Le Sans Souci (1909), etc.
Il collabore aussi, toujours dans L’Épatant, de 1921 à 1937, à de nombreuses couvertures en couleurs annonçant souvent de courtes bandes humoristiques : « Vite et bien » (n° 1240), « Le Piège à rats » (n° 1260), « Coincé » (n° 1378), « Part à deux » (n° 1431), « Les Affaires reprennent » (n° 1443), etc.
Aristide Perré (1888-1958) dessine « Le Ministère du Père Lampion » à partir de mai 1931 en dernière page (en couleurs). Nous avons déjà évoqué cet auteur dans une précédente partie de notre étude, lorsqu’en août 1925, il a sorti sa première bande dans L’Épatant : « Badigeon, Laburette et Cie ».
Créateur, à partir de 1933, dans Midinette, de la série « Poucette Trottin », c’est lui qui reprendra « Les Pieds nickelés » le 1ernovembre 1934, après le décès de Louis Forton.
Pour lors, le Père Lampion, ainsi nommé pour la couleur de son nez due à ses habitudes d’intempérance, se réveille dans le lit du président du Conseil des ministres, dont il est le sosie. Une organisation politique ayant réalisé la substitution pour des raisons gardées secrètes, les gags jouent sur le quiproquo. Là encore, on regrette que des phylactères ne remplacent pas de temps en temps le texte pléthorique de Jean Kolb, heureusement rehaussé par le graphisme de Perré très à l’aise dans le montage et la mise en perspective des personnages.
Les Pieds nickelés en Afrique
Nous avions laissé les Pieds nickelés à la tête d’une agence de police privée. Ils dévalisent le château soi-disant hanté de leur premier client le comte Lefrein de la Bagnole, se déguisent en clochards infirmes pour traquer un escroc international, Croquignol se transformant même en chien pour voler un banquier. Finalement, ils acceptent de travailler pour la police officielle en faisant de la protection rapprochée de personnalités. Remplaçant le ministre des Beaux-Arts lors d’une visite au château de Versailles, Ribouldingue montre au prince d’Éthiopie Radadouh deux crânes dans une vitrine. Le premier, annonce-t-il, est celui de Louis XIV lorsqu’il est mort, le second, plus petit, c’est encore lui, mais quand il était jeune (n° 1242). Devant un groupe de statues : « Vous venez de voir Louis XVI montant à l’échafaud, le voici plus loin en descendant. Car c’est un monsieur qui ne perdait pas la tête facilement… Il s’est dit comme ça : filons ! N’ayant plus de tête, je ne crains pas qu’on me reconnaisse. »Â
Ainsi va l’humour de Louis Forton qui propulse ensuite son trio en Tunisie, puis en Abyssinie, Ribouldingue ayant pris la place, avec son accord, du ministre des Colonies resté à faire la fête sur la Côte d’Azur. Partant vers l’Oubangui à bord d’une autochenille, les Pieds nickelés assistent à une fausse chasse aux éléphants dressés à faire le mort, puis, reçus par le gouverneur, observent des négresses à plateau utilisant leurs lèvres en forme de « tambour basque » (sic) pour servir des rafraîchissements (couverture du n° 1249).
Exploitant la naïveté des noirs, le faux ministre Ribouldingue organise des élections législatives où tous les candidats sont élus en bloc pour ne pas faire de jaloux, crée une milice où chaque soldat porte fièrement un anneau dans le nez, etc.
Les Pieds nickelés fondent, par ailleurs, le Grand Comptoir colonial où ils vendent de la quincaillerie de bazar pour des bijoux, des trousseaux de clés en guise de boucles d’oreilles, etc. Ils organisent un match de football avec une noix de coco comme ballon, construisent un train en bois et à pédales, créent un pari mutuel sur un champ de courses d’autruches et des séances de cinéma où les spectateurs s’enfuient épouvantés devant la charge virtuelle d’un éléphant. Après une dernière escroquerie, des jouets livrés à la place des automobiles commandées, ils s’éclipsent à bord de leur autochenille, promettant de revenir tout arranger dans les trois jours (n° 1262).
Les Pieds nickelés en Méditerranée
Parvenus dans le Golfe de Guinée, les Pieds nickelés réalisent différentes escroqueries navales avant de revêtir des vêtements arabes et de se maquiller le visage à l’ocre. Débarquant à Marseille, Croquignol se fait alors passer pour le sultan du Maroc accompagné de sa suite.
Pratiquant un chantage sur le ministre des Colonies, ils montent en train à Paris où ils sont reçus triomphalement par le Président de la République. En visite au Louvre, Croquignol subtilise sous les yeux du ministre des Beaux-Arts, le diamant Le Régent.
Après expertise, celui-ci se révèle n’être qu’un vulgaire bouchon de carafe et Filochard de conclure : « Depuis longtemps, il n’y a plus rien à voler dans les musées nationaux. Y’a belle lurette que les gouvernements ont vendu l’authentique pour boucler le budget… Quant au gogo d’public, on lui dit que c’est du vrai et il le croit. »
De retour à Marseille, après diverses escroqueries à l’héritage et à l’assurance-vie, les Pieds nickelés, montent une maison de santé (n° 1287). Les gags les plus hilarants vont alors se succéder.
On apprend à un patient qui possède des pieds plats à marcher sur les mains à l’aide d’un treuil (couverture du n° 1289), on guérit le possesseur d’un ver solitaire en lui en faisant avaler un second afin qu’il ne soit plus seul (n° 1292), une dame à la vue basse à droit a un ticket pour la tour Eiffel pour voir plus haut, un ivrogne se plaignant de son nez rouge se voit conseiller de boire plus afin qu’il devienne violet, le summum étant atteint lorsqu’un client possédant une jambe plus courte que l’autre doit faire des barres parallèles en frottant le pied le plus long sur un tapis de papier de verre (n° 1294).
Finalement, la police s’apprêtant à intervenir, le trio quitte la clinique et achète un bateau dans le port de Marseille. Ils se livrent un temps à la contrebande, puis, dérobant un yacht, voguent vers Barcelone où ils abandonnent l’équipage qui réclame sa solde.
Au n° 1302 (13-07-1933), « Les Pieds nickelés », jusque-là en noir et blanc sur double page centrale, se retrouvent en sur une seule planche en fin de numéro, mais en couleurs, permutant avec « Dédé Pasdebile détective » de Callaud.
Fatigue de Louis Forton, dont la santé commence chanceler et à qui il ne reste qu’une année à vivre ? Quoi qu’il en soit, le trio va continuer à voguer sur la Méditerranée, poursuivi par le propriétaire du yacht volé accompagné d’un inspecteur de police d’une rare bêtise nommé Cassoulet.
Arraisonnés, après une défense héroïque à coup de jets d’eau, nos trois lascars s’enfuient à bord d’un canoë à moteur bâché. On les retrouve pêcheurs dans l’île de San-Pietro avant un dernier affrontement avec Cassoulet. Puis, longeant les côtes de Sardaigne, ils remontent vers la Corse et jettent l’ancre près d’Ajaccio. Ils montent aussitôt une fausse recette de perception des impôts, un pari mutuel bidon, des excursions surprises où, déguisés en bandits corses d’opérettes, ils dévalisent les touristes.
L’un des derniers gags de Louis Forton, et l’un des meilleurs sera celui où, ayant pris la place des juges lors d’un procès (couverture du n° 1333), les Pieds nickelés font libérer les accusés et condamner les deux gendarmes qui les gardaient à six mois de prison pour arrestation arbitraire.
Ils passent ensuite dans le maquis, échappant de souterrains en cavernes à la gendarmerie à cheval.
Revenus à Ajaccio, ils capturent le responsable des prêts sur gages du Crédit municipal, un certain Torticoli, sosie de Croquignol que celui-ci remplace aussitôt à la caisse.
S’inspirant de l’Affaire Stavisky où des détournements de fonds avaient eu lieu au crédit municipal de Bayonne, nos trois malfrats réalisent de nombreuses escroqueries (6). Démasqués, ils s’enfuient à bord d’une voiture « allant vers de nouvelles aventures que nous espérons vous conter bientôt », annonce Forton. Il s’agit, malheureusement, de la dernière équipée du trio dessinée par lui. Doute prémonitoire sur l’issue fatale de l’opération chirurgicale qu’il subit le 27 mars1934 et dont il ne se réveillera pas ? Peut-être, car comme le fait remarquer Jean-Paul Tibéri : « On ne trouve jamais, à la fin des épisodes précédents, l’espoir de pouvoir poursuivre le récit » (7).
Quoi qu’il en soit, « Les Pieds nickelés » vont s’interrompre le 5 juillet 1934 et ne reprendre que quatre mois plus tard, le 1er novembre, sous le crayon, cette fois, d’Aristide Perré.
Michel DENNI
Mise en pages et mise à jour du texte : Gilles Ratier
Merci aux sites http://www.bd-nostalgie.org et https://www.lambiek.net où nous avons trouvé quelques couvertures ou illustrations de L’Épatant qui nous ont permis d’illustrer dignement certains passages de cet article. Sur cette période, voir aussi Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, deuxième chapitre. Avant l’avènement des bulles : les récits pour les enfants, Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, troisième chapitre. Vous avez dit phylactères ? : humour à la page et feuilletons de longue haleine…
(1) Pour consulter les premières parties, cliquez ici : L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : première partie, ici L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : deuxième partie, ici L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : troisième partie et ici L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : quatrième partie.
(2) Rappelons que le premier séjour des Pieds nickelés en Amérique se situe de mai 1921 à janvier 1924 sur scénario de Pierre Desclaux, la seconde en 1927 (voir les précédentes parties de notre étude, op. cit.).
(3) Les seules encyclopédies qui évoquent Gaston Callaud sont le « BD guide 2005 » aux éditions Omnibus (paru en 2004), avec la fiche, forcément incomplète, que nous lui avons consacrée et « Le Dictionnaire encyclopédique des héros et auteurs » T2 par Henri Filippini, avec une erreur de taille : la reprise de Bibi Fricotin dans L’Épatant (au lieu du Petit Illustré) en 1934.
(4) Voir la bibliographie d’André Charpentier, in « Dictionnaire des littératures policières » T1, p. 346 et 347, par Claude Mesplède, aux éditions Joseph K., en 2003.
(5) Parution en roman sous le titre « Les Nuits de la forêt bleue », collection À ne pas lire la nuit n° 54, aux Éditions de France, en 1934.
(6) Fondateur et directeur du Crédit municipal de Bayonne, Stavisky détourna plusieurs dizaines de millions de francs gagés sur des bijoux faux ou volés tout en impliquant différentes personnalités politiques. Démasqué fin 1933, il fut retrouvé tué d’une balle de revolver à Chamonix. Les ligues d’extrêmes droites accusèrent le gouvernement de l’avoir fait disparaître et organisèrent la manifestation du 6 février 1934 qui tourna à l’émeute.
(7) Voir « Les Pieds nickelés » par Jean-Paul Tibéri, éditions S.E.D.L.I., 1984, p. 25.