Après deux ans d’absence, Mathieu Lauffray conclut le cycle « Raven » avec ce copieux (84 pages) troisième volume. Dans la lignée de son « Long John Silver », scénarisé par Xavier Dorison, le dessinateur — qui sait si bien mettre en scène pirates, mer déchaînée, ambiances gothiques ou menaçantes — revient en soignant son final.
Lire la suite...« En attendant l’Apocalypse : travaux choisis 1974-2014 » par Paul Kirchner
Claude Amauger et les éditions Tanibis qu’il dirige sont déjà connus des lecteurs de BDzoom.com. La qualité de leur travail est une fois encore remarquée, à l’occasion de la publication du superbe recueil de travaux inédits en France de l’étonnant Paul Kirchner, auteur américain précédemment chroniqué ici pour sa série « Le Bus ».
Les éditions Tanibis sont devenus tranquillement, depuis 2005, un incontournable de la scène indépendante et alternative nationale. Celles-ci possèdent, en effet, un catalogue aujourd’hui fourni d’une douzaine de titres, reflétant une identité très marquée, oscillant entre amour du graphisme « pas comme les autres », Å“uvres étrangères légèrement décalées (voire expérimentales) ou un peu folles et travaux de quelques auteurs hexagonaux engagés. Des expériences inédites en tous cas, souvent réalisées avec patience et opiniâtreté, comme à l’occasion de ce nouveau travail.
Paul Kirchner, né en 1952 dans l’état du Connecticut, a toujours aimé dessiner. Fan de comics, et amateur de contre culture, ayant vécu son adolescence dans l’émulation des années soixante, il rêve de suivre les traces de Jack Kerouac. A 17 ans, il participe au festival de Woodstock, puis s’embarque pour les ÃŽles Vierges, où il campe durant trois semaines dans le parc national. Après le lycée, il traverse les États-Unis en stop. Il renouvellera cette expérience, deux ans plus tard, avant de comprendre qu’il ferait peut-être mieux de se mettre à sa table à dessin s’il veut manger.
Lui, qui s’était entendu dire à Woodstock par un hippie : « Tu dessines déjà les trucs que j’espère voir en prenant des drogues », va se décider à intégrer le milieu professionnel. Encouragé par sa future femme, Sandy Rabinowitz, aînée d’une fratrie issue du voisinage et ayant déjà suivi les cours des Beaux Arts Cooper Union à New York, Paul Kirchner va aussi l’envisager. C’est ainsi qu’il gagne la « Grande Pomme » et s’immerge totalement dans la culture underground des comics et de la musique, jusqu’à trouver un petit job dans un comic shop. C’est là qu’il se lie d’amitié avec un des employés de la boutique : Tom Conroy, chargé d’un service de location de photos pour les magazines. Héroïnomane invétéré, ce dernier qui va lui inspirer son personnage de Dope Rider, le squelette baroudeur dopé, à qui il attribue la réplique : « Le mieux quand on plane, c’est le paysage ». C’est également lui qui fournira un tas d’images de films, qui serviront pour des scènes de cette série fameuse.
« Dope Rider » est un bon exemple du travail de l’artiste dans ces années 1970 « fumantes » : de deux à quatre pages en couleur pour chaque épisode, majestueusement dessinées, dans un style jouant de la mise en page typique du way of life psychédélique d’alors. Kirchner vivait à deux pas du Fillmore East, club où se produisaient les plus grands groupes musicaux du moment. On reconnait aisément le genre poster des grands illustrateurs du genre, dans sa mise en page : Rick Griffin, mais aussi Crumb, ou Greg Irons, etc. C’est ce qui caractérise le ton Kirchner, surtout au niveau graphique. Car si l’on peut parler d’un style Kirchner, il est intimement lié au systématisme de planches sans réelle motivation explicative, en tous cas sur « Dope Rider ». Les autres travaux proposant davantage des parcours narratifs étranges, oniriques, souvent proches de la science-fiction. Si le premier épisode de « Dope Rider », qui été publié dans la (nouvelle) revue humoristique Harpoon en 1974, est autant basé sur le thème de la drogue, c’est surtout parce que c’est une commande spécifique de Dennis Lopez, son directeur artistique. La série a ensuite paru dans la revue High Times.
Au delà de ces opportunités, l’auteur s’est surtout fait une place au sein de la scène comics new-yorkaise, avec des voisins comme Neal Adams ou Wally Wood, qui ont été des mentors à l’occasion : il a d’ailleurs travaillé pour Wood un moment, et on remarquera un style assez ressemblant du maître sur une planche comme « lls venaient d’Uranus ». Dessinant pour des fanzines, des revues, dont Heavy Metal, ou Epic (Marvel), mais aussi pour les éditeurs DC ou Charlton, il a aussi réalisé de nombreuses couvertures pour la revue pornographique Screw, dès 1975, que l’on retrouve dans le recueil. Ces autres histoires un peu plus « classiques » mais aussi assez typiques des magazines de l’époque, et dont on a pu observer un genre similaire dans Métal hurlant en France, via d’autres auteurs certainement inspirés, font partie de cette belle sélection, qui déroule des petits récits parus en parallèle de l’aventure du « Bus », débutée à la fin des années 1970.
Contacté par Claude Amaurer, qui a tenu à proposer ici une sélection de qualité et des planches nettoyées, Paul Kirchner, honoré, s’est beaucoup investi dans ce dernier projet. Il nous fait l’honneur de délivrer, en bonus, des travaux plus récents, dont un « Dope Rider » nouvelle version. En effet, après 30 années passées loin du médium, comme directeur d’une agence de publicité new-yorkaise, il est revenu en 2012 afin de produire, entre autre, de nouveaux épisodes du « Bus », suite au succès de la réédition du recueil en France. (Voir la chronique du « Bus » sur notre site).
La longue postface de 24 pages, en fin d’album, donne l’occasion à l’artiste de nous dévoiler un pan important de sa biographie, nous permettant de bien saisir toute l’étendu de son talent, en le replaçant dans son contexte historique et culturel. Un texte riche en enseignements, sur un artiste jusqu’alors peu (re)connu en France, et semble t-il, une personnalité très humaine.
Coup de chapeau aux éditions Tanibis pour ce travail patrimonial remarquable, accompli de main de maître, tant au niveau propos éditorial, recomposition technique, que découverte graphique.
Franck GUIGUE
NB : Tanibis a aussi édité une version anglophone de cet album : « Awaiting the Collapse », (ISBN : 978-2-84841-044-9),faisant de ces éditions consacrées à Paul Kirchner, avec les deux éditions des deux volumes du « Bus » (française et anglaise) : LA référence de l’auteur au niveau international.
« En attendant l’Apocalypse : travaux choisis 1974-2014 » par Paul Kirchner
Éditions Tanibis (24 €) – ISBN : 978-2-84841-043-2
En effet que de planches et de dessins magnifiques ! Je ne connaissais pas cet auteur et votre article donne envie de le découvrir, merci.
J’en suis très heureux, et c’est à quoi doivent servir ces chroniques normalement. Merci de votre commentaire, et bonne découverte, donc !