C’est avec exigence qu’Emmanuel Moynot construit, depuis une quarantaine d’années, une riche carrière où se côtoient des albums classiques (sa reprise de « Nestor Burma », par exemple) et des one-shots aux motivations plus ambitieuses, tel le présent album. Un polar noir et cynique où il établit avec force détails le parallélisme entre le quotidien des babouins africains et le comportement parfois violent de certains individus de notre monde contemporain.
Lire la suite...Hodges le magicien disparaît…
« Disparition de James Hodges », le 3 février dernier, serait-on tenté de titrer. Mais il y aurait ambiguïté. Féru d’illusionnisme, le dessinateur aurait pu disparaître d’un côté d’une scène pour réapparaître de l’autre. Disparition sans trucage, faudrait-il préciser.
À plus de 90 ans, Hodges illustrait encore des explications de tours de magie, la passion de sa vie et le domaine dans lequel il était devenu depuis longtemps la signature de référence. Mais ses quelque soixante-dix ans de carrière dans le dessin populaire l’avaient amené à travailler pour bien d’autres publics : couvertures de romans, pochettes de disques, boîtes de jeux, pin-up, bandes dessinées érotiques… Les éditeurs de revues sexy et de romans de gare ne commandaient pas une illustration à James Hodges, mais cinquante, cent, à réaliser sans attendre. Et pourtant, la vitesse d’exécution ne mettait jamais à mal l’aisance avec laquelle il abattait ces travaux alimentaires. Il n’existe pas un dessin de Hodges raté, même le plus torchonné. Tous attestent de la souplesse de sa main qui traduisait sur le papier son amour pour la danse, et son style est reconnaissable sans coup férir, quand bien même il varia les techniques, du réaliste à l’humoristique.
Pour lui rendre hommage, voici une interview que j’avais réalisée en compagnie de Jean-Pierre Bouyxou pour Le Collectionneur de bandes dessinées n° 68, à l’automne 1991, que j’ai complétée de précisions en légendes.
James Hodges, c’est votre vrai nom ?
Oui. Je suis né en France, en 1928, mais le gros de ma famille est d’origine anglaise. Ça m’a d’ailleurs valu d’être arrêté pendant l’Occupation. Et j’ai perdu une partie de ma famille dans les camps. J’ai toujours vécu en milieu artistique. Mon père faisait un peu de magie en amateur et je me suis passionné tout jeune pour l’illusionnisme et la ventriloquie. Il était tapissier décorateur et ma mère avait aussi travaillé dans la décoration. Quand on a été libérés, ma mère et moi, il a fallu gagner notre croûte. C’était encore l’Occupation, elle n’avait pas le droit de travailler. J’avais treize ans. Il y a des artistes qu’on connaissait qui ont dit : « Tu pourrais aller faire des séances au noir dans des salons. » Et j’ai commencé la magie et la ventriloquie dès treize ans pour qu’on survive. Mais, en fait, j’ai toujours voulu être danseur. Je le regrette encore aujourd’hui. J’ai travaillé longtemps dans ce milieu. J’ai illustré des livres sur la danse, j’ai suivi des tournées.
À la Libération, j’ai continué des études d’une façon un peu bâtarde. J’ai fait quelques mois d’atelier chez Paul Colin pour travailler le décor de théâtre. J’avais été élevé chez les frères, à Levallois, et quand on annonçait les prix de fin d’année c’était toujours pareil : les math, c’était pas moi, l’histoire non plus, mais le premier prix de dessin, si. Je dessinais sans arrêt. Je l’ai toujours fait. Mais aussi étrange que ça puisse paraître, je ne me considère pas du tout comme un dessinateur. Pour moi le dessin c’est avant tout une façon de noter les idées, pour noter la mise en scène d’un spectacle, une chorégraphie, tout ce qui est mouvement. Comme j’adore le mouvement, la danse, j’ai fait énormément de dessins de ballets, de cirques…
C’est effectivement une constance remarquable dans vos dessins. Ils ne sont jamais statiques.
Plus ça bouge, plus j’ai envie de dessiner. Je dessinais tout le temps mais pour moi ça restait un hobby. Quand je suis sorti du camp j’étais tuberculeux et, à la Libération, je suis resté deux années en sanatorium, sans pouvoir faire autre chose que dessiner. J’avais seize, dix-sept ans. J’y donnais des cours de dessin. J’avais perdu mon père pendant la guerre. Géo Sandry, le régisseur du Cirque d’hiver, qui était comme un second père pour moi, m’a dit : « Quand tu vas sortir du sanatorium, tu ne pourras pas reprendre les spectacles immédiatement. Puisque tu dessines, tu vas essayer d’en vivre. » Je n’y avais pas pensé. Et me voilà arrivant chez Ventillard, avec un carton à dessin. Je montre à monsieur Ventillard des dessins humoristiques qui étaient tous des animaux. C’était à cause de mes origines anglaises, ça, les monstres, les fées, les animaux qui parlent, ça me semblait logique. Mais en France, non. Il m’a dit : « Vous avez déjà vu des animaux qui parlent, vous ? » Tout timide, j’ai quand même pensé à réagir. Je lui ai dit : « Il y a un précédent, c’est La Fontaine. » Mais ça ne lui plaisait pas. Et puis il a fouillé dans mon carton. Il y avait mes dessins de mouvements, d’anatomie et des nus. Il m’a dit : « Voilà ce qu’il nous faut ! Vous ne voulez pas nous faire des pin-ups ? » Et me voilà à dessiner des pin-ups dans la Vie parisienne, dans Paris Flirt qui est venu après, et chez d’autres éditeurs, au Rire, à Oxygène.
À l’époque vous signiez Jim Fou.
C’est parce que Paul Colin, quand j’étais à son atelier, m’appelait toujours « tout fou », un peu touche-à-tout si vous voulez. Colin a été le premier à me dire : « Toi tu ne feras jamais rien de bien, tu seras toujours un touche-à-tout. » Et j’avais surtout l’envie de ne pas me spécialiser, c’était ma plus grande terreur. Je faisais du dessin de presse, j’ai rencontré ma femme, on s’est mariés, il fallait que je gagne de quoi vivre, mais je continuais à suivre des cours de danse, Serge Lifar, tout ça, et je faisais des expositions sur la danse et je vendais mes dessins. Il y a eu une période où j’ai eu un nom dans le milieu de la danse, j’illustrais des revues spécialisées, la Danse, Musica. J’avais donc deux styles de travail : la presse, où je noircissais du papier pour gagner ma croûte, et la danse, où je prenais mon pied en dessinant des croquis, des toiles. J’ai eu deux aventures de peinture dans ma jeunesse. D’abord quand je fréquentais les Jeunesses Musicales de France. J’y faisais le portrait des copains et des copines jusqu’au jour où j’ai reçu un coup de téléphone d’un père qui avait vu le portrait de sa fille et qui voulait que je fasse le sien. Quand j’ai senti que ça allait devenir un travail professionnel, j’ai fait une croix dessus. Je préférais réaliser à toute pompe mes petits dessins dans la presse que de la peinture commerciale. J’ai fait des dessins de danse classique pendant près de quatre ans. Et puis j’ai découvert la danse africaine, indonésienne, indienne… Et les galeries, comme celle de Mme Gournand qui est spécialisée dans la danse, m’ont reproché de ne plus faire de danseuses classiques, que des danseuses orientales ou expressionnistes pour lesquelles il n’y avait pas de clientèle en France.
Et là, pareil, ras-le-bol, si je dois me forcer à faire des tutus, je ne peux pas, je vais craquer. Donc j’ai aussi fait une croix dessus, je me suis mis à vivre uniquement de la presse. Mais j’ai commencé à noter des idées chorégraphiques, des arguments de ballets, et j’ai fait des expos présentant ces projets. Des chorégraphes ont acheté de ces projets, dont un pour l’Opéra de Marseille, et un ou deux ans après, vers 1960, ça s’est monté. César avait fait les décors pour un des ballets qui se passait dans une fonderie d’acier. Mais les machinistes de l’Opéra de Marseille refusaient de déplacer ses décors qui étaient trop lourds. On m’a demandé de venir les dépanner. Et ça a été mon premier décor de ballet. Là, j’ai pris mon pied. Et puis le directeur de l’Opéra de Marseille m’a proposé de faire les décors de Carmen. J’ai horreur de Carmen. J’ai refusé. J’étais décorateur quand j’en avais envie.
Dans les années 50 vous faisiez déjà des couvertures de livres ?
Oui. Mais pas encore de boîtes de jeux. Ni de bandes dessinées. La BD, ça a été un accident de parcours. Avec six enfants, j’avais besoin de pognon. J’ai eu notamment une commande d’une dizaine de pockets érotiques à la fois, Alors je suis parti en Vendée avec un assistant, Christophe Pellegrin, qui est un très bon dessinateur hyperréaliste. On faisait deux histoires en quinze jours. Ça a dû durer dix mois. Parallèlement, j’ai continué la ventriloquie et j’ai monté une compagnie de marionnettes. On m’a demandé de monter des numéros de marionnettes au cabaret À la tomate qui était devenu une boîte à strip-tease. Les marionnettes déshabillaient les filles.
Le cinéma ?
Peu. Ça a commencé du temps de Colin. Et puis, après, je connaissais un imprimeur qui me faisait faire des affiches en lithographie. Je dessinais directement sur la pierre.
Vous aviez fait l’affiche d’un film naturiste de Claude Sendron, Eve et les bonnes pommes.
Ah, oui ! J’ai même participé au tournage. Il fallait que je tire à l’arc dans une pomme qui était sur les genoux d’une jeune femme. Mais on ne me voit pas à l’écran.
Et l’affiche du Nouveau Grand-Guignol, en 1974, pour le Théâtre de l’Européen.
Oui, parce que j’avais fait les décors, les costumes et les trucages. Mais je n’ai pas fait beaucoup d’affiches. Je trouve ça très pénible, on est trop tributaire du commanditaire. Je ne supporte pas.
Beaucoup de vos travaux ne sont pas signés.
Il est très rare que j’aie envie de signer.
Vous avez signé « Jim » aussi.
C’est exact, et également « James » et « Moi ».
Il y a des éditeurs pour lesquels vous avez beaucoup travaillé comme André Guerber…
Je travaille toujours pour lui. Je viens de lui finir dix bouquins pour enfants. Je l’ai connu par la danse. Il avait une revue qui s’appelait Toute la danse dont j’ai fait l’illustration pendant des années. Je lui ai fait beaucoup de couvertures de romans, des polars sexy, une centaine peut-être, mais j’ai très rarement lu les bouquins. Et aussi des classiques qu’il rééditait, les Mémoires de Casanova, Dracula… Parallèlement, j’ai fait beaucoup de cartes à jouer. France Cartes m’avait appelé pour faire un jeu de cartes de pin-up. À la suite de ça, j’ai dû faire 250 à 300 jeux pour eux dans les quinze années qui ont suivi. Et pour la Miro Company j’ai dessiné beaucoup de boîtes de jeux de société, comme la Bonne paye, cinq ou six par an. J’ai créé aussi quelques boîtes de jonglages et de prestidigitation.
Vous avez un intérêt évident pour le fantastique
Absolument. Les quelques bouquins d’enfants que j’ai écrits sont des bouquins fantastiques. J’ai été élevé là-dedans.
Vous avez une curieuse attitude vis-à-vis de votre travail de dessinateur.
Il y a des gens qui sont admiratifs devant mes dessins, mais moi je ne les aime pas. C’était vraiment pour manger, pas autre chose. Je n’y attachais aucune importance. Il fallait juste que ça soit le plus vite fait possible pour me laisser du temps. Voilà pourquoi il m’est presque impossible de vous donner des titres, ça ne s’est pas fixé dans ma mémoire, c’était vraiment sans intérêt. Quand ce n’est pas autour du spectacle, je n’éprouve aucun plaisir à dessiner. Mais je ne suis pas malheureux, c’est mieux que d’être rond-de-cuir ou mineur.
Et vous ne gardez ni les originaux, ni les publications ?
Ah non ! Sauf tout ce que je fais pour les magiciens. Ça me sert de documentation, j’ai illustré des milliers de techniques, de manipulation de boules par exemple, et je peux avoir besoin de mes dessins pour m’en souvenir.
Dans votre revue Mad magic, dont vous étiez le seul dessinateur, vous étiez obligé de varier les styles pour illustrer toutes les pages…
Mad magic c’était pour jouer, ça ne m’a rien rapporté. Je prenais mon temps. Habituellement, pour la presse, je ne prends pas mon temps, je fais le plus vite possible.
Vous crayonnez avant ?
Oui, quoique pas systématiquement. Je fais un « squelette », mais de toute façon je passe à côté à l’encrage.
Pour gagner du temps, vous pourriez le faire au crayon bleu.
J’ai essayé, mais ça ne m’a pas plu du tout.
Vous écriviez les scénarios de vos BD ?
Oui. Je faisais un petit découpage avant pour retomber sur mes pattes. J’aime bien la BD mais pour rien au monde je n’aurais voulu faire ça toute ma vie. Il y a quand même une histoire que j’ai aimé faire, une des rares que j’ai gardées, c’était une histoire de hippies.
Pourquoi ?
J’ai beaucoup aimé la période 68. J’ai toujours eu les cheveux longs et j’ai regretté de ne pas avoir vingt ans à ce moment-là. J’ai aimé… tout. Tout ce qui a bougé, le comportement, la façon de s’habiller.
Quoi d’autre en BD ?
J’en ai fait pas mal chez Ventillard, dans le Hérisson, Marius… Et des espèces de BD sans bulles qui reprenaient des textes érotiques : le Roi Pausole, Gamiani… J’ai beaucoup travaillé dans l’érotisme parce que, la pin-up, je fais ça presque les yeux fermés, ça va très vite.
Pas de photos, pas de modèles ?
Non. Des fois des photos pour varier un peu les visages, parce qu’on a tendance à se répéter. Mais c’est le seul effort que je fais.
Aujourd’hui ?
Je travaille beaucoup pour Quel avenir madame…
Et toujours le Hérisson ?
Oui, pour garder le contact. Je leur fais des animaux fantastiques, des séries de trois quatre dessins avec un petit texte. Je ne fais plus que rarement des dessins humoristiques. Maintenant que mes enfants sont grands, j’ai moins la nécessité de dessiner, je peux me consacrer davantage au spectacle. J’ai toujours un numéro de ventriloquie.
C’est volontairement que vous avez toujours travaillé pour des supports, heu…
… Nuls ! Oui-oui, je suis d’accord !
Non, pas nuls, disons assez peu prestigieux.
C’est par paresse. Je ne fais aucune démarche. Je n’ai pas envie de me bagarrer dans cet univers. Au départ j’ai dû frapper aux portes, après je n’ai vécu que de ce que l’on me proposait. Et, encore une fois, parce que j’ai toujours pensé que le dessin c’était pas mon job.
Vous avez travaillé pour Jacquet et ses éditions des Jarres d’or.
Oui, pour le passage Jouffroy. J’ai travaillé pour Denoël. J’ai fait des pochettes de disques pour Decca, des disques de ballets et de jazz.
Vous avez fait des dessins assez hard parfois.
Oui. Dans Elle et lui notamment. Ou pour illustrer la Cuisine érotique chez Guerber, que d’ailleurs, pour une fois, je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas bâclé.
Vous faisiez les couvertures des Aventures de Dracula aux éditions Bel-Air.
Je m’en souviens vaguement, ça fait une paye.
On voit souvent aussi vos dessins sur des emballages de farces-et-attrapes.
Ah bon ? Ça doit être du piratage. Ils doivent prendre des illustrations que j’ai faites pour des catalogues comme ceux de Mayette et Hatte, des fabricants de matériel de magie.
Vous avez beaucoup travaillé pour André Mayette et Michel Hatte, son successeur.
Mayette m’avait demandé de faire les illustrations de la revue le Magicien après la mort du dessinateur Robert Veno.
Il y avait pourtant déjà Marcel Jacquinot.
Oui, mais Jacquinot ne s’occupait que des grandes illusions, il ne faisait pas les manipulations.
Et Jean Boullet ?
C’était avant, je ne l’ai jamais connu. J’ai travaillé sur les derniers numéros du Magicien et sur Flash, la petite revue parallèle. Mais, déjà, c’était Mad magic qui me trottait dans la tête. Et après, tout a suivi, les bouquins, etc.
Vous travaillez sur quoi qui vous fasse plaisir en ce moment ?
Je conçois les costumes, les trucages et les décors du Frégoli que monte Jérôme Savary. Et je dessine un recueil d’anamorphoses que va éditer Georges Proust.
Propos recueillis en 1991 par Jean-Pierre Bouyxou et Bernard Joubert.
Il avait une page sur le web qui recense ses travaux
http://jameshodges.free.fr/
Un bien bel hommage pour ce génie créatif : merci et bravo.
Bonjour.
Je suis journaliste et passionné de magie. Je découvre avec bonheur (bien que ce soit dans une triste circonstance… paradoxe…) votre bel hommage au magicien James Hodges, un géant de l’illusion ! Je me suis permis d’en donner le lien sur ma page FB https://www.facebook.com/jeanyves.loes en grande partie dédiée à la magie et magiciens. Encore chapeau et merci à vous deux Jean-Pierre Bouyxou et Bernard Joubert.
Merci pour ce superbe article, hommage, avec plein d’illustrations ! Mr Hodges était un grand artiste !
Bonjour,
J’ ai aimé le travail de James, tant sur scène , que pour son travail d’illustrateur.
Sur mon blog, j’ ai également fais un petit hommage à l’artiste.
Mais à ce jour, dans ma petite collection, me manque la version du puzzle de Sam Loyd, celui de deux cavaliers et de leur monture, dessinée par James Hodges de façon très érotique.
Une nouvelle copie de l’objet ressourcerait pleinement mes souvenirs.
Peut être qu’ici, un amoureux du trait jovial pourrait m’aider ?
Merci d’avance !
Alain Veinord (ou Roskoff selon l’habit)