Après deux ans d’absence, Mathieu Lauffray conclut le cycle « Raven » avec ce copieux (84 pages) troisième volume. Dans la lignée de son « Long John Silver », scénarisé par Xavier Dorison, le dessinateur — qui sait si bien mettre en scène pirates, mer déchaînée, ambiances gothiques ou menaçantes — revient en soignant son final.
Lire la suite...L’homme est un loup pour… Rochette
Un grand loup, un berger acariâtre et un Massif (celui des Écrins). Avec Jean-Marc Rochette, le récit va souvent droit à l’essentiel, confrontant les points de vue antagonistes comme les deux versants d’un même sommet. Entre la préservation des troupeaux face aux prédateurs et la sauvegarde des espèces en danger, comment concilier la beauté et la violence de la nature ? Si « Le Loup » fournit des réponses, il nous apprend surtout à dépasser le stade de la fable symbolique pour rejoindre le réel : en invitant au respect et en soulignant notre réciprocité avec le vivant, Rochette interroge de fait sur ce que devrait devenir notre écosystème au XXIe siècle…
One-shot de 102 pages, « Le Loup », intrigue d’abord par sa couverture, façonnée dans le droit fil de l’album précédent, « Ailefroide, altitude 3 954 ». Là , une paroi rocheuse, ici une pente enneigée ; et dans les deux cas, un homme seul en pleine ascension, sous un ciel d’un bleu limpide… mais glacé. Car, indéniablement, ce terrain d’aventure extrême est inquiétant, hostile, voire mortifère. En tant qu’alpiniste chevronné, Rochette en sait quelque chose, lui qui passa très près du drame à 18 ans, après avoir manqué de dévisser à 3 500 mètres d’altitude. Au-delà de la chute dans un précipice ou des effets des basses températures, c’est l’homme lui-même qui se met en danger, semblant porter jusque aux cimes son combat ancestral et inégal avec les forces de la nature. Si l’on rajoute un loup à l’équation, c’est tout un pan de nos mythologies, folklores et fables qui resurgit ; ce sans compter ces articles plus récents évoquant la réapparition du prédateur (en 1992, dans le parc national du Mercantour), la décimation des troupeaux et la menace des abattages brandie par des milieux agricoles passablement excédés. Si Gaspard (le héros, représenté en couverture, possède les traits de l’auteur) porte un fusil, on l’assimilera donc au chasseur ayant déjà blessé une bête invisible, mais dont le sang frais souligne ses traces dans la neige. Cette absence-présence du chasseur-prédateur est constitutive d’un récit qui, telle « La Bête » de Chabouté (Vents d’Ouest, 2002) versera potentiellement dans le fantastique et le survival horrifique. Au final, l’humain et l’animal arriveront-ils à se comprendre (voir notre article sur « Tintin au Tibet ») ou devront-ils se détruire l’un l’autre ?
Comme le souligne l’actuelle exposition temporaire organisée dans le Musée de l’Ancien-Évêché de Grenoble (du 08 mai au 22 septembre 2019), Jean-Marc Rochette est un « artiste au sommet » hanté par la neige, la montagne et son amour des sommets de l’Oisans, mais également préoccupé par la manière dont tourne le monde . Du « Transperceneige » (1984 à 2019, coréalisé avec les scénaristes Lob, Legrand, Bocquet et Matz, ce dernier venant de livrer « Transperceneige Extinctions T1 ») jusqu’à l’actuel « Le Loup » en passant par « À tes souhaits » (1985), « Requiem blanc » (1987), « Le Tribut » (1995) ou « Himalaya Vaudou » (2009), tous ces angles (pics ou arêtes !) sont abordés dans une Å“uvre qui prend sens jusque dans la peinture. Né d’une rencontre avec un berger isérois de l’Oisans, lequel avait retrouvé son troupeau (une cinquantaine de brebis) décimé, l’album s’ancre dès ses premières pages dans la rivalité. L’évocation d’une perte chère suffira à faire comprendre le caractère d’un protagoniste qui vient par ailleurs de perdre sa deuxième famille en raison de la domestication. Entre colère, frustration et incompréhension, l’homme est décidément un loup pour l’homme (selon la célèbre locution latine de Plaute) dans la mesure où les conditions de sa survie sont mises à rude épreuve. L’album devra donc aussi – et c’est l’une de ses forces – nous raconter comment l’homme occidental arrive à se libérer d’un carcan belliqueux (la civilisation contre le monde sauvage), au sein d’un récit initiatique érigé entre le blanc et le noir, couleurs identitaires de Gaspard, de son chien… et du loup.
Comme l’avoue Jean-Marc Rochette, le loup demeure un « sujet explosif », notamment en Isère, où trois loups ont été signalés début mai pour avoir attaqué et dévoré en partie un cerf… au beau milieu d’un village (Corrençon-en-Vercors) ! En 2018, tout en signalant les zones de présences du prédateur, la Préfecture de l’Isère préconisait la mise en place effective des mesures de protection autour des troupeaux. Elle rappelait également les expérimentations et observations effectuées avec ses partenaires, les Parcs naturels régionaux (Vercors et Chartreuse), l’Espace Belledonne, le Parc national des Écrins, la Louveterie de l’Isère, la Fédération des alpages et la Fédération départementale des chasseurs. Si les « tirs de défense » sont autorisés depuis 2012, rappelons que le loup est une espèce protégée au niveau international par la Convention de Berne depuis 1979, transcrite dans le droit Français en 1989, puis confirmée en 2007. Pour sa part, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage a récemment rappelé qu’il fallait atteindre le nombre de 500 loups en France pour viabiliser l’espèce : un seuil non encore atteint à ce jour, 430 animaux ayant été dénombrés en 2017 – 2018, le « plan loup » fixant l’abattage autorisé à une quarantaine d’individus. Un raison suffisante pour ne pas encore hurler « au loup ! »… sauf s’il s’agit de demander (sagement) le dernier album de Rochette chez votre libraire.
Philippe TOMBLAINE
« Le Loup » par Jean-Marc Rochette
Éditions Casterman (18,00 €) – ISBN : 978-2-203-19677-3
Excellent article – chronique, cher confrère, qui me laisse bêlant