Après deux ans d’absence, Mathieu Lauffray conclut le cycle « Raven » avec ce copieux (84 pages) troisième volume. Dans la lignée de son « Long John Silver », scénarisé par Xavier Dorison, le dessinateur — qui sait si bien mettre en scène pirates, mer déchaînée, ambiances gothiques ou menaçantes — revient en soignant son final.
Lire la suite...Vous ne connaissez pas Raowl ? Pour le bisou d’une princesse, il peut vous travailler en férocité …
Je ne sais pas si pour le nom de son héros, le fantasque Tebo pensait au personnage de Raoul, interprété par Bernard Blier dans les « Tontons flingueurs », en tout cas le dialogue auquel je fais référence colle bien au caractère de cet affreux. Raowl charcute tous ceux qui se mettent entre lui et une charmante princesse. Il est invincible ou presque et son talon d’Achille est pour le moins singulier.
Dans une tour isolée, une princesse se meurt d’ennui. Une meute de méchants de tous poils s’affrontent pour pouvoir entrer dans sa chambre et s’emparer de la belle.
La coquète ne s’émeut guère de la situation ! Elle attend, placide que son prince charmant vienne la délivrer. Elle souhaite qu’il soit : « Blond, avec des muscles et, si possible, sans moustache… ça file des boutons quand on s’embrasse. »
Quand de nulle part surgit la bête. Rugissante, elle découpe, littéralement tous les sicaires qui assiègent le donjon de la belle. Elle court, vole et enlève une princesse qui n’était pas vraiment aux abois. Celle-ci lui refuse donc le bisou qu’il estimait mériter.
Peu rancunière la bête conduit la belle à la Cité des princes charmants pour qu’elle puisse trouver celui qui la charmera pour toute la vie et pour qui : « Elle pondra des enfants par paquets de douze. » La quête est difficile, non pas à cause du féroce dragon qui défend la ville fortifiée mais parce que les princes charmants ne pensent qu’à soigner leur joli teint, friser leur moustache et se mouvoir avec grâce dans leur jolie demeure.
Cela porte évidemment sur les nerfs de la belle et de la bête qui s’apprêtent à quitter la ville quand apparaît dans les airs une princesse charmante sur une licorne.
Elle a tôt fait de séduire la belle laissant dépitée une bête qui a attrapé froid. Elle éternue et se transforme derechef en prince charmant tout mignon et inoffensif.
Voilà le secret de la bête, son talon d’Achille.
Par la suite la bête sauvera une autre princesse, toute aussi délurée que la première mais dont le caractère est plus proche du sien. Mais, peu après leur rencontre, elle sera enlevée vers un château peuplé par une famille dégénérée, cannibale et monstrueuse. Si la bête peut vaincre tous ses ennemis, la fatalité l’empêche toujours de trouver l’amour d’une princesse.
Tebo excelle dans les détournements, les parodies d’univers bien codés. Nous avons signalé ici toutes les qualités de « La Jeunesse de Mickey » : « Raconter la jeunesse de Mickey, c’est pour l’auteur l’occasion de visiter un siècle d’histoire des États-Unis. Il le représente, donc, lors des moments charnières du pays : la conquête de l’Ouest, puis les problèmes du racisme et de l’esclavage évoqués subtilement à partir de l’antagonisme chat/souris, la guerre des tranchées, la Prohibition des années 1920 et, enfin, la dernière frontière, la conquête de l’espace.  A l’origine, Mickey se bagarrait souvent, râlait, et n’était pas toujours gentil ! Exactement comme dans les cinq histoires inventées par Tébo. Son Mickey est reconnaissable au premier regard, son caractère bien trempé lui fait surmonter tous les obstacles qu’il rencontre : des méchants très costauds à des araignées géantes affamées. »
Dans « Raowl », Tebo détourne avec gourmandise les codes de contes de fées, détruisant les mythes de la princesse fragile et romantique et du prince charmant beau et courageux. Ses princes sont efféminés et veules et ses princesses volontaires sont loin d’être innocentes.
Sa plus belle trouvaille est son héros éponyme, Raowl ; docteur Jekyll et Mr Hyde d’un monde qui hésite entre le conte et l’heroïc-fantasy. Jekyll ; il est un prince charmant bien inodore, Hyde ; c’est la bête, virile, brute mais pas dénuée de finesse et de tendresse.
.
Cette farce truculente, fougueuse et enjouée, est rythmée par des dialogues contemporains, vifs, – le jeu de mot n’est jamais loin, et un découpage moderne qui alterne dessin pleine planche et gaufrier plus classique.
Le style de l’irrévérencieux Tebo s’y épanoui, rond, mais dynamique, toujours en mouvement comme son héros, le virevoltant Raowl.
Nous retrouverons Raowl, des princesses et toute une galerie de personnages joyeusement décalés dans la suite de ses aventures que nous souhaitons au moins aussi loufoques et drôles que dans ce livre premier.
.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Raowl T1 : La Belle et l’Affreux » » par Tebo
Éditions Dupuis (12,50 €) – ISBN : 979-1-0347-3038-4