Yannick Corboz (1), déjà remarqué pour ses « Célestin Gobe-la-Lune » et « L’Assassin qu’elle mérite » avec Wilfrid Lupano, sa version BD des polars à succès de Pierre Lemaître (« Brigade Verhoeven ») avec Pascal Berho ou son diptyque « Les Rivières du passé » avec Stephen Desberg, s’est attaqué à la mise en cases du roman sombre, fantasque, historique et romantique du célèbre avocat Richard Malka : « Le Voleur d’amour », sorte de retranscription du mythe de Dracula et de la jeunesse éternelle, publié chez Grasset en 2021. Le résultat, qui privilégie le narratif sur le plan des textes, est graphiquement lumineux et éblouissant…
Lire la suite...Le retour de Blueberry : antihéros amer(icain) selon Sfar et Blain…
31 octobre 1963 : dans Pilote, Jean-Michel Charlier et Jean Giraud (sous le diminutif de Gir) lancent un nouvel antihéros westernien adoptant le profil de Jean-Paul Belmondo avec « Fort Navajo ». 29 albums cultes plus tard, la série est entrée au panthéon du genre western… et du 9e art tout entier. Un film (en 2004, par Jan Kounen) et diverses séries dérivées (« La Jeunesse de Blueberry », relancée en 1985 ; « Marshall Blueberry » en 1991) n’y feront cependant rien : qu’ils soient frileux ou impatients, de nombreux lecteurs espéraient voir un jour une reprise digne de ce nom pouvoir rivaliser avec le talent du duo Charlier/Giraud. Surprise depuis quelques mois, voici que Dargaud offre un chemin détourné dans la sierra avec ce premier tome surtitré comme jadis : « Une aventure du Lieutenant Blueberry ». Dans le style qui est le leur, Joann Sfar et Christophe Blain (interviewé en fin d’article) associent leurs savoir-faire pour rendre hommage au héros mythique via une histoire qui sera à suivre sur deux tomes. Le récit, crépusculaire à souhait, est à la hauteur des ambitions : 64 pages à découvrir en couleurs le 6 décembre… et en noir et blanc dès le 22 novembre !
Tête brûlée volontiers cynique, mal rasé, taiseux ou charmeur, Blueberry (qui tire son nom d’une indication lue dans National Geographic !) n’est pas exactement le modèle d’officier frais émoulu de West Point dont rêvait l’armée américaine en cette fin de 19e siècle (voir notre dossier sur les débuts de Blueberry). Et pourtant : qu’il s’agisse de guerres indiennes, de construction du chemin de fer ou de la fusillade d’O.K. Corral, Mike S. Donovan, lieutenant de cavalerie (ou pas !), arrive toujours à s’en sortir tant bien que mal, risquant sa vie sans sourciller (mais en prenant des coups) pour défendre les nobles causes et conserver un semblant de paix entre colons et Amérindiens. Principalement mue par l’incroyable capacité scénaristique de Jean-Michel Charlier a inventer toutes les formes de rebondissements possibles (en utilisant à bon escient les véritables événements ou personnages historiques), la série s’orientera vers plus de noirceur physique et morale avec « Marshall Blueberry » (3 tomes dessinés par William Vance et Michel Rouge de 1991 à 2000 ; voir notre dossier) et plus de traîtrise ou d’amertume, déjà, avec « La Jeunesse de Blueberry » (21 tomes entre 1975 et 2015, scénario de François Corteggiani dès le tome 6 en 1990 et dessin de Michel Blanc-Dumont à partir du tome 10 en 1998), soit des approches psychologiques discernables au gré des titres proposés (« Le Prix du sang » en 1994, « La Piste des maudits » en 2000, « Le Sentier des larmes » en 2008 ou « Rédemption » en 2010).
Le 10 janvier 2018, une annonce de Dargaud provoquait à la fois la stupeur et la consternation chez les fans : Joann Sfar (« Le Chat du Rabbin » mais aussi « Petit Vampire », adapté au cinéma en 2020) et Christophe Blain (« Isaac le pirate », « Quai d’Orsay » ou « Gus », série westernienne de 4 tomes publiés entre 2007 et 2017) sont adoubés pour une reprise… qui n’en est pas vraiment une ! À savoir que les auteurs, loin de s’aligner sur le style méticuleux de Giraud, conservaient leur charte graphique (volonté prouvée avec les premières cases et planche dévoilées ), au risque d’être farouchement taxés de « traîtrise » sur les réseaux sociaux… À moins qu’ils ne soient renvoyés à cette « profaçon » définie dès 2015 sur le site du9.org. Qu’on se le dise : entre ceux qui n’apprécient pas que l’on touche à « Astérix », « Blake et Mortimer », « Corto Maltese », « Tif et Tondu » et ceux qui détestent les séries dérivées (de « Thorgal » à « XIII Mystery » en passant par « Spirou » pour ne citer que ces exemples), la sphère bédéphile en oublierait presque qu’un héros – à l’instar de Tarzan, Zorro, Sherlock Holmes ou James Bond à l’écran comme dans les cases – doit vivre des aventures pour survivre à l’oubli et au désintérêt. Ce tout en gardant si possible à l’esprit le respect de l’œuvre initiale. « Les noms disparaissent mais les personnages durent », comme l’affirmait lui-même Hugo Pratt, qui ne s’opposait pas à la reprise de sa propre création. Alors, que penser ici de cet « Amertume Apache » : ce hors-série est-il une sorte de « Blueberry vu par… », bien qu’il soit intitulé comme aux origines de la série, la référence à « Fort Navajo » en moins (« Une aventure du Lieutenant Blueberry ») ? Pas vraiment, mais l’idée sera conservée qu’il puisse s’agir d’une forme d’hommage au mythe. Une reprise sans copie de la version originale.
Dès janvier 2018, Sfar répondra ainsi que l’idée de cet album n’était en vérité pas nouvelle : « Nous n’avons jamais eu la chance de rencontrer Charlier autrement que par ses œuvres, mais notre relation avec Jean Giraud [mort en 2012] était ancienne est a été déterminante dans la construction de l’album sur lequel nous travaillons. Jean avait écrit une préface pour « Le Chat du Rabbin ». Puis nous nous étions revus pour réfléchir à ce qu’on pourrait faire ensemble, sans décider vraiment si ça prendrait la forme de films, d’animation ou de livres. Par la suite il nous a invités dans son atelier, Christophe et moi, pour nous montrer des pages d’un « Blueberry » en cours. Puis il a proposé qu’on fasse du « Blueberry ». Il souhaitait écrire pour Christophe. Ils sont partis sur de grandes rêveries sur la façon dont Blueberry pourrait vieillir, sur comment le confronter au XXe siècle. Moi je les regardais. J’avais dans la même pièce mes deux dessinateurs favoris, Jean Giraud et Christophe Blain, et je rêvais de ce que pourrait être leur création. Bien entendu c’était Jean le maître et Christophe l’élève, mais il y avait une fascination réciproque et sans cesse revivifiée pendant de longues années. Puis à chaque fois qu’on se revoyait on parlait de faire des choses ensemble mais ça restait du rêve. Cette envie a conduit Christophe à faire sa série de bandes dessinées « Gus » qui est toute entière une lettre d’amour au western en général et à « Blueberry » en particulier. Puis Casterman nous a engagés pour écrire et dessiner un « Corto Maltese ». Nous avons écrit et dessiné des pages. On nous a dit que notre travail était « trop personnel » et que de toute façon les ayant-droits s’étaient déjà engagés avec une autre équipe. Et Christophe et moi sommes restés avec notre envie de faire une bande dessinée d’aventure ensemble, moins comique que nos autres livres. Nous avons envie de nous mesurer à un récit intense, au premier degré, avec au centre un grand mythe. Quelqu’un chez Dargaud a dû se rappeler de tout ça et nous a proposé de travailler sur « Blueberry ». Nous avons dit oui à condition de ne jamais copier Charlier ou Giraud et de travailler librement. Voilà. Ce projet était dans l’air depuis longtemps et ni Christophe ni moi ne croyions qu’il deviendrait vrai. Pour nous c’est un rêve, c’est aussi une immense responsabilité car nous sommes lecteurs avant tout. Et nous allons faire de notre mieux, avec au cœur l’admiration pour Charlier et Giraud, et aussi l’envie de rendre heureux les lecteurs qui aiment ces personnages. Personne n’est jamais à la hauteur de rien, on ne se permettrait jamais de se comparer à Charlier ou Giraud, mais nous ne sommes pas là pour les copier. Nous souhaitons faire des albums vivants et pertinents, avec nos moyens. »
Entre tempêtes et explications, un premier pitch était donné en parallèle par l’éditeur Dargaud : « Comment un forain d’origine allemande à moitié fou, bonimenteur, incontrôlable, propriétaire d’un étrange automate capable de jouer aux échecs, mettra à lui seul en péril une paix fragile entre les Indiens et l’armée américaine ». Au final, cette histoire ne sera pas celle suivie, bien que le personnage du bonimenteur soit conservé dans « Amertume Apache ». Ici, donc, et au fil de planches redessinées depuis plus d’un an, Blueberry – quelque part entre son rôle dans « Le Cycle des premières guerres indiennes » et celui du « Premier complot contre Grant » (cycle dont fait partie l’album « Angel Face » (T17, 1975), dont Blain s’était déjà rapproché graphiquement pour « Gus ») – assiste désemparé au meurtre sauvage de deux femmes apaches (femme et fille d’un guerrier nommé Amertume) par trois jeunes Blancs. Plus qu’il n’en faut pour mettre toute une région à feu et à sang… Quelques têtes référentielles figurent au casting de ce sombre western de papier (le soldat noir Jenkins emprunte par exemple les traits de Woody Strude), où la tension ne fera qu’aller crescendo, en chargeant véritablement cet album d’un intérêt indéniable… et donnant envie de lire la suite annoncée, « Les Hommes de non-justice ». En couverture, Blueberry apparaît de manière canonique, serpentant dans les gorges abruptes d’un canyon (version noir et blanc) ou apparaissant – apparemment impuissant malgré son arme – au sommet d’un rocher. Canonique dans le sens où elle en rappelle d’autres : voir ainsi les premiers plats de « L’Odeur des garçons affamés » en 2016 ou de « Bouncer : intégrale » T5 en 2018). Conjuguant pour sa part fraîcheur bleutée et chaleur orangée, le visuel éthéré de la version colorisée se rapproche des influences du peintre américain Maxfield Parrish (1870 – 1966), découvertes par Giraud/Moebius (via Philippe Dionnet) dès les années 1970 et remises notamment en œuvre au profit de la couverture de « Blueberry T15 : Ballade pour un cercueil » en 1975. Représenté comme désespérément seul, Blueberry devra une nouvelle fois s’en sortir par lui-même. Au jeu des saveurs, on avouera que l’odyssée de Mike est parfois plus salée et épicée qu’amère ! Incontestable réussite, « Amertume Apache » se découvre donc avec un grand plaisir, sans qu’il soit nécessaire de le juger à l’ombre du monument graphique nommé Giraud.
Actualité oblige, la 21e édition de « La BD à l’Épau » (du nom de l’abbaye royale de la Sarthe) se consacrera – du 24 novembre 2019 au 22 mars 2020 – à l’univers « Blueberry », en exposant des planches originales s’étalant des débuts de la série jusqu’à « Amertume Apache ». Une très belle occasion de se repencher non seulement sur les grands cycles de l’œuvre « Blueberry », mais aussi de redécouvrir les sources et influences artistiques de Giraud : études d’arts appliqués, passion pour le cinéma western, voyage au Mexique, apprentissage avec Jijé, etc.
Achevons cet article en laissant la parole à Christophe Blain, lequel complète ici l’interview donnée par Joann Sfar sur le site « Ligne Claire » (cf. https://www.ligneclaire.info/blueberry-amertume-apache-92588.html) :
Comment a débuté de votre côté l’aventure de ce nouvel album ?
Christophe Blain (C. B.) : « Il y a près de 15 ans, Jean Giraud et moi-même nous étions rencontrés lors d’une interview commune, à un moment où un ancien et un jeune auteur échangeaient autour de la bande dessinée. Jean, qui cherchait alors des auteurs potentiels pour son « Blueberry 1900 » m’avait demandé quelques pages d’essais… qui n’ont jamais été réalisées, car j’attendais une validation plus officielle. Giraud en parlera aussi à d’autres comme Boucq (qui dessinera finalement son propre « Bouncer »). Pour moi qui étais littéralement hypnotisé par la série depuis mon adolescence (j’ai relu chaque album des dizaines de fois), l’espoir fou de dessiner ce héros mythique était toutefois déjà là. Par la suite, il y a donc eu pour Joann et moi ce projet de reprise de « Corto Maltese », qui n’a pas abouti car Patricia Zanotti avait déjà décidé de faire réaliser un nouvel album par le duo actuel, Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero. Or, il n’était pas question de venir télescoper leur travail. Nous n’aurions honnêtement jamais montré nos planches de « Corto » pour ne pas leur faire un quelconque ombrage, mais un collectionneur en a parlé sur Internet, et tout le monde a pu voir ce que nous avions fait. Finalement, Dargaud et Philippe Oestermann nous ont donc de nouveau proposé de réaliser un tome de « Blueberry »… »
Ce chantier n’a pas été simple à réaliser : vous avez même redessiné une partie de l’album depuis 2018 !
C. B. : « Effectivement : nous devions alors montrer, dévoiler, nos planches pour montrer le chemin emprunté. Ce qui n’est jamais facile car elles ne sont pas forcément représentatives ni du scénario ni de l’ambiance générale de notre album. Comme je voulais revenir à un « Blueberry » plus classique, le canevas initial de Joann – qui était plus théâtral – ne me convenait pas : j’ai redessiné une bonne vingtaine de planches que j’avais déjà encré. Chose que je ne regrette pas car les premiers essais m’ont grandement servi pour mûrir le style recherché, le défi étant de ne pas copier Giraud (c’est impossible) mais de mimer en quelque sorte son univers. Giraud a un style bien à lui pour cadrer ses scènes, faire bouger Mike ou McClure, sans compter l’évolution graphique du personnage principal ou de ses planches d’un cycle à l’autre. Je montrerai peut-être mes premiers essais en les commentant, ultérieurement. J’avance pour l’heure sur le deuxième volet de ce diptyque, dont le découpage avance bien. Il n’y a pour l’heure aucune date de sortie encore définie, car la pression a été énorme sur le premier album, et je ne désire pas renouveler l’expérience ! »
Parlons du titre, « Amertume Apache » : qui en a eu l’idée ?
C. B. : « C’est moi, mais le scénario initial de Joann contenait déjà le nom curieux de cet Apache, Amertume donc. Pour moi, qui suis très féru depuis longtemps de Westerns, c’est une référence aux films secs de Robert Aldrich tels « Bronco Apache » (1954),qui est l’un des premiers films hollywoodiens à prendre fait et cause pour les Indiens, quatre ans après « La Flèche brisée », ou encore « Fureur Apache » en 1972, film dans lequel un guerrier est poursuivi par tout un peloton de cavalerie. Curieusement, dans ce film, le chef Apache parle très peu, et est rarement montré. C’est tout l’intérêt du cinéma d’Aldrich, qui est aussi cruel et névrosé que son époque malmenée par la guerre du Vietnam. Dans « Fureur Apache », on va du reste à contre-courant des westerns pro-indiens et bien pensant de l’époque : tout le monde n’y lutte que pour sa survie. »
Quid de l’élaboration de la couverture de la version classique, voyant Blueberry monter sur un rocher ?
C.B. : « Ce visuel est venu assez rapidement et je n’ai pas fait d’autres recherches de couvertures. L’idée était de faire simple, en montrant une silhouette immédiatement reconnaissable. Le visuel devait aussi donner l’idée d’une certaine renaissance du personnage, tel un fantôme revenu du passé… Pour la couverture de la version noir et blanc, l’idée m’est aussi très vite venue : je l’ai réalisée après avoir fini l’album, à l’heure de la création des visuels plus promotionnels. »
Aviez-vous des albums de références ? Par exemple « Nez cassé » (T18, 1980), où Blueberry est justement juché sur un rocher ?
C.B. : « Pas vraiment, car j’évitais de trop ouvrir les albums pour ne pas risquer d’être influencé. Sur la couverture évoquée, il est assez drôle de voir que Mike (habillé en Indien) est justement à peine reconnaissable. Rappelons pour l’anecdote que Giraud s’était à l’époque servi d’une photo issue d’un quelconque tournage digne d’une série BD italienne, où l’acteur avait dû poser sur le parking des studios, bien loin des grandioses décors américains ! De manière plus générale, les couvertures de la série sont très souvent à valeur générique, interchangeables sauf lorsqu’elles représentent des personnages précis, comme « Chihuahua Pearl » (T13, 1973). »
Avec un tel titre, puis en lisant votre album, on s’attend au pire pour les personnages : peut-on pour autant qualifier cet album de western crépusculaire ?
C.B. : « Oui et non : le western a finalement toujours été crépusculaire dans le sens où le genre est extrêmement mélancolique ; et ce depuis John Ford. Revoyez ainsi la série « Au nom de la loi » avec Steve McQueen (1958 – 1961) et constatez sa tonalité : il y avait cependant des fulgurances dans certains épisodes ! Dans les séries ou films plus récents (l’on peut citer les excellents « Godless » ou « Hostiles » en 2017, ou encore « Les Frères Sisters » en 2018), on assiste essentiellement à un plus grand réalisme : des acteurs à l’apparence moins costumée, et reflétant un peu moins leur époque au profit d’un contexte historique plus appuyé. Toutefois, l’on ne demande pas au Western d’être forcément historique, et pas plus finalement qu’au film de cape et d’épée pourtant intrinsèquement ancré dans le genre. Dans cet album, je voulais surtout étudier et illustrer les rapports entre les personnages, qui sont tous à la recherche les uns des autres. Professionnels des armes, ils n’en sont pas moins nerveux et sous tension, ne sachant jamais vraiment où sont passés ceux qu’ils traquent. Il y a probablement dans les planches des choses que j’ai vraiment voulu mettre et des choses qui m’ont échappé, qui relèvent de l’inconscient ou de l’analyse à faire, en rapport avec la connaissance profonde que j’ai du genre western et de ma manière de traduire ce « Blueberry » que je porte depuis mon adolescence. »
Avant cet album, où figurent quelques têtes d’acteurs que les lecteurs devront reconnaître, il y avait déjà semblables tentatives avec « Gus » : pourquoi cette volonté ?
C.B. : « C’est ma manière de rendre hommage à d’excellents acteurs qui m’ont marqué mais n’ont souvent été que des seconds rôles : par exemple Woody Strode ou Lee J. Cobb. Quant à Charles Denner, il collait bien au rôle que Joann et moi voulions lui donner. Denner m’avait beaucoup marqué dans ce film de Louis Malle, « Le Voleur » (1967), où joue aussi Belmondo dans un de ses seuls emplois graves. De manière plus générale, j’évoque aussi le fait que la France est très cinéphile : c’est ici, et grâce aux critiques des années 1960 – 1970 (Truffaut, Tavernier, Godard, etc.) que les grands réalisateurs ont pu être découverts et célébrés. Ceux liés aux Westerns en particulier, comme Aldrich évoqué tout à l’heure. Dans le cas de Sergio Leone, tout a été dit : lui non plus, qui a tout réinventé, ne pouvait rester cantonné aux films italiens de bas étage… »
Imaginez-vous déjà « l’après Blueberry », avec d’autres sujets ou de nouveaux albums ?
C.B. : « Non car je préfère toujours vivre au présent, sans plus penser à ce que je ferai dans 2 ou 3 ans. La vie est tellement inattendue que je pense devoir me laisser toutes les possibilités, sans me projeter inutilement. »
Merci pour cette interview.
Philippe TOMBLAINE
« Une aventure du Lieutenant Blueberry T1 : Amertume Apache » par Christophe Blain et Joann Sfar
Éditions Dargaud – tirage limité noir et blanc (19,99 €) – ISBN : 978-2205083798
Éditions Dargaud – édition classique (14,99 €) – ISBN : 978-2205077988
Ayant eu la chance de pouvoir lire, en avant-première, cet album qui ne sort que le 6 décembre en librairies (dans sa version classique, en couleurs), je profite de la rubrique, toujours aussi bien documentée, de l’ami Philippe Tomblaine pour exprimer tout le plaisir que j’ai eu à parcourir les 62 pages du premier tome de cette « Aventure du lieutenant Blueberry ».
Dès la divulgation des premières cases sur internet, les commentaires sont allés bon train dans les forums et les gardiens du temple ne se sont pas gênés pour condamner d’emblée l’initiative.
Alors, oui, le traitement graphique de Blain est surprenant pour les amateurs de classicisme, mais il est hautement maîtrisé… Alors, oui, Sfar n’écrit pas comme Charlier, mais il sait parfaitement mener une intrigue et connaît, lui aussi, toutes les recettes de la narration graphique…
Comme le disait un autre grand scénariste (Pierre Christin), « l’essentiel est que cela fonctionne ! » : et, là, justement, ça fonctionne, et même très bien !
J’avais pourtant eu moi-même, au départ, beaucoup d’appréhensions, considérant les scénarios de Charlier et les dessins de Giraud inégalables sur cette série : tout le monde sur ce site connait d’ailleurs ma dévotion envers Charlier, lui ayant même consacré une imposante biographie parue au Castor astral.
Et pourtant, malgré cela, Sfar et Blain m’ont complètement bluffé avec cette « reprise » !
Encore bravo messieurs… J’attends donc avec impatience la fin de ce diptyque très prometteur et j’espère que votre ouvrage rencontrera tout le succès qu’il mérite !
Gilles Ratier
Merci pour cet article et cette interview intéressants.
Ce n’est pas plutôt Jean-Pierre Dionnet ?
Sinon, il y a un truc qui cloche dans les cases présentées (malgré un splendide graphisme), c’est le sens de la profondeur. Ça ne fonctionne pas du tout. C’est évident dans l’ex-libris de Blueb sur son cheval dans le désert.
Pourtant presque tous les éléments « giresques » y sont : l’horizon plat, les nuages et le fond du ciel stylisés, les montagnes posées sur la ligne d’horizon (une constante chez Gir) et pourtant Blueb et son canasson paraissent plaqués sur un décor de théâtre. C’est curieux.
Il manque le petit nuage de poussière soulevé par les sabots du cheval. L’ombre portée de la monture est mal définie, on peut faire le même constat sur la couverture de la version noir et blanc. Or, Gir était passé maître dans la découpe des ombres portées, même les plus complexes. Par ailleurs, pour accentuer l’immensité, il dessinait en général sur ce type d’image des montagnes minuscules, reculant ainsi l’horizon.
De même, le rassemblement des troufions en cercle dans le fort en vue plongeante est lui aussi tout plat, il paraît étriqué. Pour un même plan, Gir aurait probablement encore plus joué sur la profondeur de champ. Là, Blain paraît bien timide et opte pour une vision à mi-chemin qui donne un résultat plaqué. Bref, il semble avoir un problème avec les grands espaces et la gestion de la profondeur. C’est flagrant sur les planches montrées en début d’article.
Ce n’est pas une question de dessin, mais plutôt de mise en scène et d’échelle des éléments de composition entre eux. Dans les planches présentées, on retrouve d’ailleurs des plans que Gir utilisait volontiers (les profils superposés par exemple).
Il ne s’agissait pas pour Blain, et c’est heureux, de « faire du Gir », mais j’ai tout de même le sentiment que sa mise en scène manque du coup de souffle. Bouncer offre un sens de l’espace bien plus convaincant.
Eh oui, c’est dur de passer après un maître.
J’achèterai tout de même l’album.
J’ai pu également pu lire l’album en noir et blanc. Très très bonne surprise.
Plus le dessin est sali plus ça te plaît
ho ouiiii ! plus c’est sale plus c’est bon continu comme ça Pady j’adore.
De plus Blain a pas mal copié le Maître, dans certaines vignettes, dans le découpage – voire pour la couverture ! Alors pourquoi dégoiser des méchancetés sur les suiveurs de Jean Giraud qui ne seraient que de vils copieurs (dans l’entretien publié chez Casemate) ?
Un docu sur l’expo que j’ai également vu le 24 novembre
https://vialmtv.tv/exposition-blueberry-abbaye-de-lepau-27112019-partie-2/
Un dossier de presse à télécharger. A la page 5 deux autre lieux avec des planches de Giraud.
Une bonne occasion de retourner dans la Sarthe.
https://epau.sarthe.fr/blueberry-sur-la-piste-de-lepau
Le dessinateur aurait dû soigner les phylactères et le lettrage. On peut expliquer que ceci-cela, ça fait bâclé !
je ne comprends pas l’intérêt qu’a l’éditeur de se saborder tout seul avec cette reprise mal positionnée, qui devrait plutôt être considérée comme étant un « Blueberry vu par … » ; mais pourquoi ne pas avoir fait une vraie reprise, avec un vrai jeune dessinateur classique comme Gastine ou C. Rouge ? Pourquoi renoncer à la relance classique de ce héros mythique, qui aurait assuré de bons volumes de vente pluriannuels ?
Y a un truc qui s’appelle art qui apparement ne comprenez absolument pas.
Dans le cas présent, cela a plus à voir avec le marketing qu’avec l’art. Je vous laisse apprécier en quelles proportions.
Bien sur qu’il y a un coté marketing. Vous avez vu ça où le fait qu’un editeur relance une série sans vouloir que ça se vende surtout en cette période de l’année ?
Ensuite que l’on aime ou pas, cet album rentre dans l’histoire du 9eme art puisqu’il est inclus dans cette série phare.
Quand on veut vraiment faire de l’art, il vaut mieux créer soi-même ses personnages AMHA!
Ha bon ? donc tout ce qui est descente de croix, vierge marie et cie ce n’est pas de l’art.
Aprés tout si vous le dites.
Vous avez bien raison, et ce ne sont pas ces pseudo-artistes de Franquin, Jijé, Will, Pellos ou Paape qui vous démentiront. Je vous rejoins, leurs reprises ne valent pas tripette…
Drôle de comparaison, damacis! Ils étaient en début de carrière, et vers 1945 et après, la BD n’était pas considérée comme un art, c’était juste du divertissement pour gamins.
Blain et Sfar ont en 2019 chacun de vingt à trente ans de carrière, ils sont hyper-médiatisés et vendent bien leurs albums (Chat du rabbin et quai d’orsay, surtout…). Fréquemment nominés au FIBD ou ailleurs…
Rien à voir entre l’art religieux et la BD de divertissement. A moins que vous n’incluiez dans le terme générique « art » les bananes scotchées au mur à 120 000 euro!
Justement l’art sert aussi à vous faire réagir.
La BD n’est pas un art novateur, mais un art codifié (même les BD estampillées OuBaPo). L’art contemporain, en effet, fait réagir – et il est sorti du carcan toile/pinceaux. Alors que la BD restera toujours à base de papier d’encre et de couleurs (même sur tablette). Une petite preuve du conformisme des dessinateurs de BD est apportée par les « œuvres » de peinture commises par les dessinateurs de BD, extrêmement conventionnelles et décevantes ?
C’est dommage Messieurs, de lire autant d’anneries et de fausses polémiques (kasdedi pour Patty) sur la BD, vous allez bientôt rejoindre le niveau des forums BDGEST. Vraiment dommage car BDZOOM était je pense, le seul site sérieux et compétent. Donc reprenons a la base, partager les infos, les coups de de coeurs, les anecdotes, les rencontres, le vécu, les découvertes et pas celui qui a la plus longue.
Et cela n’empêche pas d’avoir son avis, bien au contraire, je n’aime pas Sfar et Blain, mais je ne vais pas faire 6000 commentaires pour expliquer ce qu’est l’art, contemporain ou pas
Bref vous aimez la BD…
Dans toute discussion un peu vive entre passionnés, il débarque toujours un censeur pour venir recadrer la conversation au nom de ce que doit être, selon lui, un échange.
Et ce genre de message finit toujours par une reconnaissance du droit à s’exprimer. Mais seulement dans le cadre que le censeur a pris soin de définir au préalable. Parce que, après tout, n’est-ce pas, on reste en démocratie.
Merci à Serial d’être passer nous dire ce qu’il faut penser.
Après les cours sur l’art, l’art du cliché!
Ne t’inquiète pas Kérosène… vouloir te faire « penser » est une tentative totalement vaine.
Comme il s’agit de votre première intervention, je redis que Bdzoom est un site d’échange sur la BD. Tout commentaire de ce type sera supprimé. Donc, pas la peine de jouer les Trolls, entrainez vous ailleurs. LT
Si caramel nous dit que Blain c’est de l’art, c’est qu’il considère que ce dessinateur est « novateur » et non « copieur » ; bon, je ne suis pas d’accord, évidemment. Un exemple page 37 de l’album (page dessinée 35) . Case 1 plan face immobile; case 2 plan face immobile; case 3 plan face immobile; case 4 plan face immobile ; case 5 plan face immobile sans personnage ; case 6 plan face immobile; case 7 plan face immobile ; case 8 plan face immobile; case 9 plan face immobile ; case 10 ah ! plan d’ensemble en plongée oulala dur travail ici ; case 11 plan face immobile; case 12 plan face immobile …. C’est ça de l’art ?
Rien que d’imaginer votre tête en lisant cette page est un vrai plaisir
Carton jaune, Caramel !
Une réaction tardive sur le controversé « Amertume apache » de Blain-Sfar.
Au risque d’entrer en contradiction avec certains bons contributeurs réguliers ici, mais comme d’autres qu’on entend moins, je trouve l’album faible et inutile.
C’est mon droit, comme celui d’autres de l’apprécier positivement.
Au-delà du dessin très éloigné bien sûr, et du scénario aussi éloigné – tellement que l’intrigue ayant lieu en période des tout premiers albums, fait apparaitre Mac Clure comme par magie), c’est le projet, dans son principe qui me parait contestable. Car présenté comme « Une aventure de Blueberry », donc normale, s’inscrivant dans la série classique. Pourtant, ce ne peut pas être le cas, mais essentiellement un « vu par … », un « hors série », un « hors collection » qu’on souhaite exceptionnel. Ce qu’était le « Valérian vu par Larcenet », pourtant scénarisé par Christin avec Mézières.
Je reste volontairement modéré, pouvant aller plus loin dans les adjectifs. Qui a dit « snob » ? Pas moi.
Bien sûr, Blain n’est pas mauvais, sauf lorsqu’il essaie de copier certains détails de Giraud (c’est dur, hein ?), et mon opinion est qu’il y a beaucoup de vide. Mais surtout cet aspect « nouvelle BD » et « phénomène parisien », vu de province, convient peu à la série si on s’inscrit dans sa lignée directe. Pris individuellement, les auteurs sont évidemment compétents, intéressants, y compris Sfar à la TV, au discours très pertinent et passionnant. Ils ont voulu se payer un Blueberry ; bon, ça c’est fait. Du coup, c’est la ligne de l’éditeur qui est la moins lisible. Il aurait pu faire faire des « vu par », et aussi organiser une vraie reprise avec un dessinateur réaliste (oui, il en existe encore) et prometteur, qui aurait vraiment relancé la série dans un nouveau cycle.
Blain a les honneurs des Cahiers de la BD n° 10, et de faire en couverture une copie de celle de « Mister Blueberry ». Mais ironie de la publication, en page suivante de l’édito « Bon comme du bon Blain », une annonce presque pleine page avec la couverture du nouveau Duke d’Hermann, solide, contemplative et lumineuse, d’un vrai maître du western en BD (qui ne réussit pourtant pas à chaque fois). Cruel, vraiment cruel ….
Quand la critique est argumentée (et c’est le cas ici), elle est toujours intéressante à lire ou entendre.
Je me contenterai juste de rappeler la légitimité de Blain (adoubé par Giraud sur un potentiel « Blueberry 1900″ de son vivant), son incroyable connaissance du Western, ainsi que que le fait – fort probable – que Dargaud annonce prochainement la reprise officielle de la série… avec d’autres auteurs (ce ne sera dans tous les cas pas Blain). Rappelons surtout qu’un héros est fait pour aller d’aventure en aventure, de reprise en hommage, de relecture en pastiche. Et quand c’est « bien fait »…
Giraud adoubait tout le monde, même à moi, en 1983, il m’a dit que ce serait sympa que je fasse un Blueberry… c’est peu dire ! Blain n’avait que sa prétention pour légitimité (il faut savoir rester humble de temps en temps). D’ailleurs après l’avoir proposé à Blanc-Dumont et à Boucq, c’était à lui même qu’il destinait « Blueberry 1900″ et à personnes d’autres. Et un héros n’est pas forcément fait pour être repris, a part du point de vu de l’éditeur, pour des raisons qui ne sont pas forcément les plus honorables.
Bonjour Jean-Michel !
Tout le monde a le droit de donner son opinion sur ce site et je te remercie de donner ton avis, mais merci de rester « zen » et de ne pas insulter les auteurs, quoiqu’on pense de leur travail.
Il y a d’autres sites pour ça !
Pas de problème pour discuter et confronter les points de vue, tant que, comme l’a déjà dit Philippe Tomblaine, « la critique est argumentée » !
D’ailleurs, ta première phrase est en elle-même intéressante et apporte, en effet, de l’eau au moulin. Je confirme d’ailleurs tes dires : Jean Giraud était toujours bienveillant pour ses jeunes collègues (trop peut-être ?, aux dires de certains).
En revanche, je trouve que le début de ta phrase suivante est déplacé, du moins sur ce site, et, en tant que rédacteur en chef (de retour depuis le 1er janvier, pour ceux qui ne le savent pas encore !), je ne souhaite pas que ce forum soit l’occasion de telles dérives de langage.
Avis, d’ailleurs, à la population habituée du forum de BDzoom.com : je ne laisserais plus passer certains excès !
Merci donc à toi de faire un peu plus attention à certaines de tes expressions dans tes propos la prochaine fois que tu interviendras ici : je t’invite d’ailleurs de continuer à intervenir, mais en respectant certaines règles de déontologie !
D’autant plus que tu peux dire la même chose sans qualifier untel ou untel de « prétentieux », par exemple… (rires !)
Sans rancune et merci de ta compréhension !
La bise et l’amitié
Gilles
Concernant la reprise de héros célèbre en général, je citerai un article du Parisien datant de 2016 :
« Mais, au-delà de cette affaire de gros sous, qu’en est-il de l’intérêt artistique de ces reprises ? Parfois discutable, certes, mais ni plus ni moins que pour un autre album. La fidélité à l’esprit de l’auteur ou de la série reste une attente du public, mais ne doit pas non plus s’ériger en dogme. La reprise est un art subtil qui doit savoir doser respect et innovation. « En France, nous avons une vision enfantine de l’art, déformée par la politique d’auteur. On ne touche pas à la création d’un mort, par principe. Les reprises sincères ne sont pourtant que des hommages autour de figures existantes », assure Benoît Mouchart, chez Dupuis. »
Sans reprises, un héros se meurt ou végète : Tarzan, Zorro, James Bond ou Sherlock Holmes n’auraient jamais connu de superbes adaptations (films ou BD, entre autres…). Sans parler du fait pour une oeuvre de « tomber » un jour ou l’autre dans le domaine public. Une affaire qui touche certes à l’ego du créateur et à celui – en miroir – du repreneur : mais quel auteur n’a pas d’ego ?
Benoit Mouchart est chez Dupuis? Je croyais qu’il était chez Casterman!
Je pense que Patricia Zanotti (pour Corto), Madame Giraud et le le fils Charlier sont contents de toucher des royalties sur ces reprises qui relanceront peut-être les ventes des séries d’origine.
On attend votre reprise de Tintin avec impatience cher monsieur. Ou bien allez-vous publier la suite de Guernica d’abord… La sincérité n’exclut pas la prétention, ni l’avarice.