Outre le remarquable « Planète Arédit » de Benoît Bonte, coédité avec Néofélis, que nous avons déjà mis en avant sur notre site (1), les éditions P.L.G — petite structure portée par l’infatigable passionné qu’est Philippe Morin — ont sorti deux autres essais sur le 9e art dans leur collection Mémoire vive. Et ils méritent votre attention, d’autant plus que leurs sujets sont pour le moins originaux et qu’ils sont concoctés par des spécialistes du genre : il s’agit d’une part d’une histoire de la bande dessinée au Luxembourg, et d’autre part des métamorphoses médiatiques de la BD et des jeux vidéo. Incontournables, improbables et donc indispensables !
Lire la suite...Une belle et émouvante adaptation de « Miss Charity » : le roman jeunesse culte de Marie-Aude Murail…
Il n’est vraiment pas très amusant d’être une petite fille dans une famille bourgeoise du Londres de l’époque Victorienne. Charity s’ennuie profondément jusqu’aux jours où elle découvre la faune de son jardin puis le plaisir de peindre à l’aquarelle. Elle ne le sait pas encore, mais elle se forge dès lors les moyens de son émancipation à l’âge adulte. Le premier volume d’une trilogie tendre et poétique tout en étant féministe.
Londres, 1875, Charity a cinq ans. C’est la fille unique du couple Tiddler sans autre choix que d’être solitaire. Son père, très distant, ne mange avec elle que le jour de son anniversaire quant à sa mère, elle ne lui fait la lecture, uniquement de la bible, que le dimanche avant de se rendre à l’office obligatoire. Le reste du temps, elle ne la sort de la nursery que pour s’assoir gentiment sur une chaise, sans pouvoir prendre la parole, quand elle reçoit des amies de la bonne société. Fort heureusement pour la jeune fille, elle peut discuter avec les domestiques de la maison : Tabitha, la bonne écossaise qui connait moult histoires effrayantes de fantômes des Highlands, Mary, la cuisinière et la nouvelle venue mademoiselle Blanche Legros, la gouvernante française.
Pour tromper son ennui et sa solitude, l’observatrice Charity ne dispose que du jardin familial. Elle y découvre une vaste faune qu’elle se fait fort d’apprivoiser dans sa propre chambre. Elle élève ainsi escargots, souris, hérissons, grenouilles et crapauds, grives et petits oisillons qu’elle essayent maladroitement de soigner. Quand mademoiselle Legros lui apprend la technique de l’aquarelle, Charity se plait à peindre ses petits amis, avec un talent certain.
De repas d’anniversaire où sont réunis pour la seule fois de l’année les trois membres de la famille, en repas d’anniversaire, Nous voyons grandir Charity jusqu’à ses 15 ans. Elle est devenue une jeune fille ouverte car détachée des exigences de ses parents. Elle s’apprête à entrer dans le monde des adultes avec de solides arguments pour assumer son indépendance.
En 2008, « Miss Charity », le roman de Marie-Aude Murail devient un des best-sellers des éditions L’École des loisirs. Énorme succès pour ce gros roman destiné aux jeunes de plus de 13 ans. Succès mérité pour cette fausse autobiographie de Beatrix Potter, naturaliste et écrivaine anglaise en qui la romancière française s’est reconnue un double artistique. Elle a voulu dans ce livre rendre hommage aux créatrices du XIXe siècle, à celles qui ont su se frayer un chemin dans un monde régenté par les hommes.
Nous vous avons déjà entretenu dans cette rubrique de l’excellence du travail de scénariste pour la jeunesse de Loïc Clément pour « Chroniques de l’île perdue », « Chaque jour Dracula », « Le Voleur de souhaits » ou « Chaussette » par exemples. Il adapte ici avec une grâce certaine le récit de Marie-Aude Murail. Il en conserve le rythme, l’ambiance de l’Angleterre victorienne et la volonté de mettre en avant les germes de l’émancipation féminine, de ses personnages secondaires féminins à la volontaire Charity.
Les aquarelles d’Anne Montel sont en parfaite adéquation avec le sujet de la trilogie, Charity excelle elle-même avec ses pinceaux.
Ses cases sans contour et son dessin précis, des animaux aux décors victoriens, apportent douceur et poésie à ce récit initiatique qui sait prendre son temps pour détailler la découverte progressive du monde par une petite fille.
Charity apprend de ses expériences et on la voit s’ouvrir aux autres d’année en année jusqu’au moment où elle pourra s’échapper du carcan machiste de la société de l’époque.
Ce livre subtil, d’une grande délicatesse, nous touche par sa simplicité, sa grande humanité, et un humour distancié, typiquement britannique. Nul doute que les deux volumes suivants seront de la même qualité. N’hésitez pas à rejoindre la curieuse et moderne Miss Charity dès le premier volume de ses aventures en bande dessinée, vous ne le regretterez pas.
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Laurent LESSOUS (l@bd)
« Miss Charity T1 : L’Enfance de l’art » par Anne Montel et Loïc Clément, d’après le roman de Marie-Aude Murail
Éditions Rue de Sèvres (16,00 €) – ISBN : 978-2-36981-684-3