C’est avec exigence qu’Emmanuel Moynot construit, depuis une quarantaine d’années, une riche carrière où se côtoient des albums classiques (sa reprise de « Nestor Burma », par exemple) et des one-shots aux motivations plus ambitieuses, tel le présent album. Un polar noir et cynique où il établit avec force détails le parallélisme entre le quotidien des babouins africains et le comportement parfois violent de certains individus de notre monde contemporain.
Lire la suite...Carnaval et lynchages à Rio…
Direction Rio de Janeiro, où Johan se rend en vacances pour oublier une rupture amoureuse douloureuse. Il a choisi le moment du carnaval où la ville s’affole, où les Brésiliens se défoulent, délirent. Lui-même se laisse aller, boit plus qu’il ne faut pour échapper à son passé et se déconnecter comme il dit… Mais au Brésil, il y a manifestement des mouvements de foule qui ne sont pas que festifs…
Johann découvre en effet quelque chose de plutôt inédit en Europe : le lynchage, à savoir que des individus se donnent le droit de faire la justice eux-mêmes. Bien qu’il y ait ici et là dans ces règlements de compte des groupes paramilitaires illégaux, ce sont plutôt des groupes organisés, des groupes de hasard qui s’excitent les uns les autres pour faire payer à quelqu’un ce qu’il a fait ou ce qu’ils pensent qu’il a fait ? Autant dire que, dans de telles circonstances des innocents payent cette vengeance populaire subite et déraisonnée.
Johann va précisément observer un tel lynchage parce que d’aucuns croient qu’un Carioca volait le touriste qu’il est. Les vacances démarrent plutôt mal et le pays dont il vient découvrir les beautés commence par lui offrir sa face perverse, loin des fêtes de rue dont il savourait peu avant l’excentricité. D’un instant à l’autre, tout bascule ! Pourquoi ? Parce que la confiance envers la police ou la justice n’existent plus, alors pensent-ils, il faut faire la justice soi-même sinon il ne se passera rien.
L’altercation permet à Yohann de rencontrer une femme qui lutte contre ces lynchages de foule qui veulent punir, jusqu’à tuer (plutôt des Noirs, d’ailleurs, que des Blancs). Elle lui ouvre les yeux, lui raconte d’autres scènes extrêmement violentes qui se sont passées à Rio. Elle le pousse à témoigner mais Yohann a dans son for intérieur un secret qui lui pèse et qui le met très mal à l’aise par rapport à ce qu’il est en train de vivre. Sur ce sujet difficile, Héloïse Chochois et Victoria Denys déploient un graphisme très original, caricatural et simplifié qui a du style, s’offrant ici et là des double pages souvent métaphoriques ou cauchemardesques très réussies. Les aplats de couleur sont également très fonctionnels, très efficaces. En fin d’album, des recherches graphiques de personnages sont accompagnées de précisions sur les personnages.
C’est l’occasion de rappeler la parution d’un récit sur le même thème, publié en septembre dernier aux éditions Delcourt. Dans « Mangez-le si vous voulez », Gelli adaptait le récit de Jean Teulé racontant l’horrible fait divers survenu en 1870. Un jeune noble périgourdin fut en effet torturé, brulé vif et mangé lors d’une hystérie collective, un exorcisme populaire sanguinaire et sauvage qui fait froid dans le dos comme tout lynchage bafouant le droit à se défendre, le droit au procès et, surtout, le droit à l’innocence ! Voir la chronique de Philippe Tomblaine : « Mangez-le si vous voulez » : un fait divers découpé en tranches par Dominique Gelli et Jean Teulé !.
Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Lynchages ordinaires » par Héloïse Chochois et Victoria Denys, Léa Ducré, Benjamin Hoguet et Morgann Jesequel
Éditions Boite à Bulles (22 €) – EAN : 9782849533802