Trimestriel initié par les éditions du Tiroir et animé par Alain De Kuyssche, L’Aventure était à l’origine un luxueux magazine renouant avec la bande dessinée traditionnelle franco-belge. Son créateur disparu en janvier dernier, ses compagnons de route — André Taymans, Christian Lallemand et Alain de Grauw — « continuent l’aventure », poursuivant la collection de hors-séries cartonnés, mais aussi lançant le trimestriel L’Aventure Preview. Sans oublier des collections d’albums et d’artbooks publiés sous le label des éditions du Tiroir avec le concours de la plateforme Ulule.
Lire la suite...Dans la chambre des merveilles, on apprend à vivre et même à revivre…
On oublie souvent la fragilité de la vie et de sa propre existence. Il faut parfois un accident dramatique pour que l’on soit ramené à l’essentiel : aux petits plaisirs du quotidien, aux rêves anciens que l’on réalise et, surtout, à l’amour des siens. Son fils dans un coma peut-être irréversible, Thelma est prête à tout pour le ramener à la vie. Elle commence par faire de sa chambre d’hôpital une véritable chambre des merveilles. On se sent bien après avoir lu « La Chambre des merveilles » : une vraie bande dessinée jeunesse feel-good.
Louis a 12 ans, bientôt 13, il grandit dans un milieu aisé parisien. L’adolescent intelligent a tout pour être heureux, il regrette simplement que sa mère ne fasse pas davantage attention à lui, obsédée qu’elle est par sa réussite professionnelle. Un beau matin, collée à son portable, Thelma le laisse glisser sur son skate-board sur les trottoirs de la capitale et ne le voit pas quand il est renversé par un camion, alors qu’il traversait un carrefour. Peu après l’accident, elle le tient éplorée dans ses bras en attendant les secours. Louis n’est pas mort, mais il est tombé dans un coma profond. À l’hôpital, peu de médecins croient à ses chances de réveil.
Thelma et sa mère Odette sont désespérées : leur fils et petit-fils est dans l’antichambre d’une mort cérébrale certaine. Si son corps n’émet aucun signe de vie avant un mois, l’équipe médicale débranchera les appareils qui le maintiennent vivant. Que faire ? Thelma s’est emportée contre son patron injuste et misogyne.
Si elle a été licenciée, l’ancienne cadre dynamique a récupéré un joli pactole. Elle sait très vite comment l’utiliser, car en rangeant la chambre de Louis, elle a trouvé une sorte du journal intime où son garçon notait les expériences qu’il aimerait vivre au moins une fois. Elle décide de réaliser les rêves de son fils par procuration, puis de les lui raconter en espérant qu’il entende ses propos. Elle espère ainsi créer un choc, l’aider à revenir à la vie ou tout du moins lui faire vivre ses rêves par son intermédiaire, avant sa mort prématurée.
Ainsi Thelma, très vite rejointe par la madrée Odette, part pour le Japon. Les deux femmes suivent le programme que s’était concocté pour lui-même Louis : admirer les lumières de Tokyo depuis le sommet d’un gratte-ciel, participer à un karaoké à Shibuya, se laisser porter par la foule du Shibuya Crossing les yeux fermés et assister à un mariage traditionnel.
De retour à Paris, elles narrent leurs aventures à Louis, en montrant ce qu’elles ont filmé. Leur récit attire le personnel en nombre et même certains patients ; tous s’esclaffent, rient et partagent un moment finalement heureux. Une infirmière baptise ainsi de chambre des merveilles cette pièce de l’hôpital Robert-Debré.
C’est le début d’aller-retours entre la chambre des merveilles et des destinations plus ou moins lointaines : du collège à la Color Run de Budapest. Si le récit vivant de ces défis apporte de la joie à l’hôpital ils permettent aussi à Thelma de se recentrer sur sa propre vie, ce qui aurait toujours dû lui procurer du bonheur : des liens forts avec les membres de sa famille, l’ouverture aux autres, bref un sens à son existence.
Paru en 2018, le roman de Julien Sandrel « La Chambre des merveilles » a connu un succès public rapide : plus de 300 000 exemplaires vendus et des traductions en 26 langues.
Devant cet engouement, plusieurs adaptations sont en cours : une pièce de théâtre a été jouée en Avignon l’été dernier, un film mis en scène par Lisa Azuelos avec Alexandra Lamy et Muriel Robin est attendu pour le début 2023… Pour patienter, nous avons d’ores et déjà cette bande dessinée destinée à un vaste lectorat, dès l’âge de 12 ans.
Philippe Pelaez a construit un scénario qui va à l’essentiel : de l’accident initial à la rédemption finale pour le dessin semi-réaliste et coloré de l’Argentin Patricio Delpeche. C’est l’accidenté Louis qui commente en voix-off tout le récit, ce qui permet au lecteur d’avoir le recul nécessaire devant l’évolution psychologique de sa mère : de la froideur de la femme d’affaires à sa touchante et progressive ouverture aux autres.
Si « La Chambre des merveilles » tire parfois sur des grosses ficelle narratives pour arracher larmes et sourires, le récit est efficace. Les bons sentiments sont de mise dans cette romance mélodramatique contemporaine. On ne peut en tenir rigueur aux auteurs qui nous renvoie ainsi au principe épicurien qu’il faut profiter de chaque instant de notre vie éphémère. De quoi méditer une nouvelle fois sur les vers de Ronsard : « Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie. »
Laurent LESSOUS (l@bd)
« La Chambre des merveilles » par Patricio Delpeche et Philippe Pelaez, d’après Julien Sandrel
Éditions Grand Angle (16,90 €) – EAN : 978-2-8189-8694-3
Parution 28 septembre 2022