Saviez-vous qu’en 1916, à Unicoi (comté de l’État du Tennessee, aux États-Unis), une éléphante prénommée Mary a été condamnée à mort et pendue à une grue pour avoir écrasé la tête du dresseur qui la battait ? Eh oui, en Amérique, à cette époque-là, on ne rigolait pas avec la loi, même en ce qui concernait les animaux à qui ont accordait, suivant la croyance populaire, une conscience morale. La plupart d’entre eux devant alors être exécutés, il y aurait eu, d’après l’excellent narrateur et dessinateur David Ratte (1), des bourreaux assermentés qui devaient parcourir tout le pays pour appliquer la sentence suprême à ces bestioles assassines, à la suite de décisions issues des procédures fédérales. C’était d’ailleurs le métier du jeune Jack Gilet : un type un peu paumé qui aimait tellement les animaux qu’il ne voulait pas qu’on les abatte comme des bêtes…
Lire la suite...Fantômes d’Écosse ou… signes ?
Kathy Austin est une agente secrète du MI6, connue depuis « Kenya », puis « Namibia » et enfin « Amazonie ». Elle a entamé une quatrième saison avec « Scotland », signée des mêmes auteurs (1). En revenant en vacances dans l’Écosse de son enfance — elle y a hérité un château de sa grand-mère —, la voilà aux prises avec des événements étranges. Une forme géométrique métallique, une inconnue découverte inconsciente sur le rivage, et bien d’autres phénomènes inexpliqués attirent et excitent les services secrets russes et britanniques. On a, là, tous les ingrédients d’une intrigue prenante, en pleine guerre froide, avec une touche de fantastique. Les personnages, y compris Kathy, progressent dans une pénombre où règne l’inconnu. Des ambiances étranges et saisissantes s’offrent au lecteur, au milieu de cette tranquille petite ville côtière : les promesses du premier épisode ont été tenues !
Ledit premier tome avait laissé Kathy sur la lande, perdue non loin d’un mystérieux château et menacée par un être mi-homme mi-zombie s’avançant vers elle… Dans ce château, d’étranges visiteurs — en provenance de « puissances ennemies » — examinent la forme métallique en question (un grand polyèdre), incrustée dans la pierre.
Au début de ce deuxième tome, après un flashback à Moscou autour de la découverte d’un premier polyèdre, Kathy se remet de sa commotion. Sur demande de son chef — régulièrement informé —, elle commence à enquêter, à côté de la police locale, dont le constable Bradley. L’inconnue précédemment découverte sur le rivage est bientôt enlevée par un autre « inconnu », et tous deux, qui semblent venir « d’ailleurs », sont en fuite. Les services secrets britanniques s’intéressent de près au polyèdre russe et apprennent qu’un autre objet — identique — se trouve en Écosse.
Dans ce petit port écossais, Kathy, souvent accompagné d’Oscar Denton — retraité spécialiste des phénomènes dits paranormaux —, fait la connaissance de personnages qui vont faire progresser (un peu…) son enquête. De jour comme de nuit (mais souvent de nuit !), bien des événements attendent Kathy, et tous les autres.
Décidément, après « Le Village » (trois tomes parus chez Bamboo) et les saisons de « Kathy Austin » mentionnées plus haut avec Leo et Rodolphe, Bertrand Marchal confirme une nouvelle fois ses grandes qualités graphiques.
Ses atmosphères de l’immédiat après-guerre, qu’il s’agisse des extérieurs — la côte sauvage écossaise, le petit port… — ou des bureaux de la police et des voitures : tout est magnifiquement rendu. Sans négliger le moindre détail, mais tout restant lisible, sa mise en scène maîtrisée, sans esbroufe et suggestive nous plonge dans une belle ambiance, entre ombres et lumières.
Les attitudes, les choix de mise en scène, variés et évocateurs (parfois même… gourmands), les costumes et les décors : tout « tombe » parfaitement.
Et les couleurs de Sébastien Bouët, déjà complice de l’équipe depuis « Le Village » et « Namibia », et coloriste de bien d’autres séries, n’y sont pas pour rien, prenant le contrepied d’une colorisation classique ou plan-plan.
Bertrand Marchal, contrairement à beaucoup de ses confrères, ose même les hachures : on les pensait « interdites » depuis la disparition ou la raréfaction d’une génération d’auteurs « réalistes » (sauf des exceptions notables comme Boucq ou Meyer), au profit d’une ligne claire, d’un style d’après photos, ou en couleurs directes.
Leo et Rodolphe signent un scénario prenant, comme pour le premier épisode, mais qui ménage d’autres pistes et développements : le récit donne tout simplement envie de lire le tome suivant ! Au-delà des deux scénaristes vétérans, retenons donc le nom de Bertrand Marchal, qui ne peut que compter en BD européenne, dans la lignée des Astier, Aymond, Bonhomme, TaDuc, Xavier (et d’autres)… Bienvenue dans ce club de l’excellence, Marchal !
Patrick BOUSTER
(1) Voir « Scotland » : des vacances insolites pour Kathy Austin !.
« Les Missions fantastiques de Kathy Austin — Scotland » T2 par Bertrand Marchal, Leo et Rodolphe
Éditions Dargaud (12,50 €) — EAN : 978-2-2052-0451-3
Parution 3 février 2023