Quand Sergio Toppi était chez Bonelli…

En 1995, le grand dessinateur italien Sergio Toppi (1) travaille à nouveau pour l’éditeur populaire transalpin Sergio Bonelli, pour lequel il avait déjà illustré trois titres de la collection Un uomo un’avventura à la fin des années soixante-dix. Il renouvelle d’abord cette collaboration sur trois courts westerns dans le magazine Ken Parker, puis surtout sur deux épisodes de la série « Nick Raider » (en 1997 et 2001) et un de « Julia » (en 1999). Ce sont ces trois polars plus ou moins « noirs » que les éditions Fordis vont publier dans leur collection Tourments, au format traditionnel franco-belge, à commencer par « Traces de sang » : une passionnante enquête de l’inspecteur new-yorkais Nick Raider, scénarisée par Gino D’Antonio (un autre géant des fumetti) !

« Nick Raider » est une série policière en noir et blanc, dans l’esprit classique de celles proposées par Bonelli, et dont le premier opus a été réalisé par le scénariste Claudio Nizzi et le dessinateur Gustavo Trigo (bien d’autres artistes prendront ensuite le relais). Toutefois, le véritable créateur graphique est l’auteur des illustrations des couvertures du mensuel italien : Giampiero Casertano. 

Si la série est éditée en Italie de juin 1988 à janvier 2005, le temps de 200 épisodes, seuls quatre épais ouvrages compilant plusieurs aventures ont été traduits en France.

D’abord chez Glénat en 1993 et 1994 (scénarios de Nizzi et dessins de Bruno Ramella), puis un dernier chez Clair de lune en 2009 avec des scénarios de Nizzi ou de Gianfranco Manfredi et des dessins du talentueux Corrado Mastantuono (2).

À noter que ce dernier avait aussi assuré l’illustration de la couverture de « Tracce di sangue » : l’édition italienne de l’histoire proposée aujourd’hui par Fordis et qui avait été publié à l’origine en mai 2001, dans le n° 9 de l’annuel Almanacco del giallo.

Nick Raider est un Italiano-Américain de troisième génération qui a eu une jeunesse un peu turbulente, mais qui est devenu l’un des détectives de la brigade des homicides à New York. Alors qu’il est de garde la nuit, au district central de l’application des lois de Manhattan, et qu’il s’est mis à rédiger un rapport sur une précédente affaire criminelle, notre héros reçoit la visite de Jacky Duvall : une jeune femme qui a peur d’être assassinée. Venue des marais de Louisiane jusqu’à la Grosse Pomme, elle n’a pas eu une vie facile, mais ce qui l’attend semble encore bien pire. Elle cherche refuge à New York, car elle fuit le brutal proxénète de sa sœur tuée récemment, ainsi que ses acolytes : de plus, la maison où elle vivait avec sa parente défunte a été incendiée.

Nick contacte alors son amie Sarah Himmelman — une privée indépendante du style garçon manqué coriace et combatif qui l’a déjà souvent aidé par le passé — pour qu’elle héberge momentanément sa protégée. Il pourra compter sur cette partenaire, ainsi que sur ses coéquipiers habituels du District Central, pour résoudre cette tragique et remuante enquête qui va le mener jusque sur les terres inhospitalières des Cajuns…

Malgré́ les contraintes et codes du genre, Sergio Toppi passe allégrement des décors urbains new-yorkais aux marécageux bayous louisianais, tout en multipliant les actions mouvementées. Il a su imposer son style reconnaissable au premier coup d’œil, tout en s’adaptant respectueusement aux limites requises. Ne disait-il pas lui-même : « Travailler dans un cadre défini permet de rechercher et trouver d’autres lignes créatrices, et cela ne me gêne pas, au contraire… ».

            Pour information, les deux prochains polars de Toppi paraîtront en 2026 :

— en mars, ce sera « Sans respiration», toujours sur scénario de Gino D’Antonio et avec Nick Raider (publié sous le titre « Senza respiro » dans le n° 114 du mensuel Nick Raider italien en novembre 1997),

— et en septembre, on aura droit à l’enquête de Julia écrite par Giancarlo Berardi « L’Éternel Repos » (« L’Eterno Riposo », proposé dans le n° 11 du mensuel Julia en Italie, en août 1999).

Gilles RATIER

(1)   Voir sur BDzoom.com : Sergio Toppi : géant de la bande dessinée italienne… et Sergio Toppi : le coin du patrimoine BD.

(2)   Voir sur BDzoom.com : Corrado Mastantuono.

« Traces de sang : une enquête de Nick Raider » par Sergio Toppi et Gino D’Antonio

Éditions Fordis (22 €) — EAN : 9791095720744

Parution 24 septembre 2025

Galerie

8 réponses à Quand Sergio Toppi était chez Bonelli…

  1. Zaza dit :

    Toppi c’est top ! Au pluriel évidemment :-) )).

  2. Julien dit :

    Bonjour monsieur Ratier,
    Qu’en est-il finalement des « retouches »,parfois par d’autres dessins même, signalées par Sergio Toppi dans la remarquable monographie (Michel Jans,Mosquito) dans ses trois collaborations-sublimes par ailleurs,quelle patte,là encore, et qu’elle joie manifeste du dessin,d’une forme de lâcher prise-,peut être davantage sur Julia (?)
    Reste probablement un livre terriblement alléchant, en aucun cas indigne des grâces du maître italien…
    Et,qui sait, si,Fordis nous donnera d’autres pépites dont La flèche noire adaptée par Battaglia, le « grand frère « trop tôt disparu. .

    • Gilles Ratier dit :

      Bonjour Julien !
      Personnellement, dans cette aventure de Nick Raider, je n’ai pas pu retrouver les « retouches » signalées par Sergio Toppi dans l’excellente monographie que lui ont consacré les éditions Mosquito en 2007, et à laquelle j’ai modestement contribué.
      Pour nos amis internautes intéressé par ce sujet, Toppi s’exprime ainsi dans la monographie : « Mon ami d’Antonio m’avait proposé de faire chez Bonelli deux épisodes de « Nick Raider », je les ai faits, cela a fonctionné plutôt bien. Puis, la série a été abandonnée… Plus tard, j’ai réalisé un « Julia », mais c’est une expérience que je ne souhaite pas reprendre : je me suis rendu compte après coup que certaines vignettes avaient été traficotés et cela ne m’a pas plu… Il y a un cahier des charges très strict pour le dessin des personnages qui sont repris par des dessinateurs différents et ils auront jugé que je ne m’y étais pas assez tenu. C’est sans doute un enfantillage de prendre cela à cœur, mais je l’ai mal vécu… »
      On n’en saura pas plus…
      Bien cordialement
      Gilles Ratier

      • Julien dit :

        Une fois encore, grand merci pour votre constante réactivité pleine de sympathie…
        Planches sublimes de Toppi quoiqu’il en soit, jubilation évidente du maître italien …
        Aussi, peut-être faut-il voir dans ces paroles un brin de complexes, de honte (?!)de s’être « compromis « !..
        Et surtout et encore beaucoup de modestie et d’une sincère humilité.
        Merci pour cette richesse éclectique sur Bdzoom.
        Julien

  3. Zaza dit :

    Pardon, mais « de s’être compromis » de gagner sa vie ?

    Bonelli a sauvé la mise de beaucoup de maîtres de la BD latine en leurs offrant du travail sur ses séries ou projets éditoriaux. En payant assez bien d’ailleurs.
    On devrait plutôt dire « merci Bonelli », c’est le minimum je crois.

    • Julien dit :

      Je faisais là de l’antiphrase,croyant me glisser dans une pensée furtive,et pas tout à fait sincère de Sergio Toppi.
      Presque une excuse d’y avoir pris visiblement un franc plaisir qui du reste saute aux yeux ;
      C’est digne de « blues » ou 1492…et que dire des planches du Collectionneur…
      J’abonde dans votre sens au sujet de Bonelli où bien des auteurs ont caressé un autre monde,Marcello autant que Joe Kubert !..
      Le très regretté Louis Cance n’aeu De cesse que de mettre en avant ce rescapé de la bande dessinée populaire qui trouvait sans doute ses sources dans les petits formats.

  4. Daniel BLONSKI dit :

    Compromission. Voila un mot qui ne me plaît guère, Q’est ce que la compromission dans le domaine de l’édition? Est-ce se compromettre de vouloir vivre de son travail (et de son talent) de dessinateur et accepter les commandes d’où qu’elles viennent? Je ne pense pas que Sergio Toppi se soit compromis dans quoi que ce soit. Il a dessiné durant toute sa vie, pour de nombreux éditeurs dont le dernier et le plus fidèle: Mosquito, avec lequel une amitié sincère s’est créée au point de lui confier de grandes responsabilités dans la gestion de son patrimoine culturel. Pour ma part, connaissant assez bien toute l’oeuvre de Toppi, je ne trouve pas que ces trois BDs de chez Fordis soient les meilleures. Je ne reconnais pas le dessin de Toppi dans les personnages, ni même dans les décors ou les perspectives ne sont pas bonnes, les voitures ne sont pas à l’échelle et d’autres détails qui font la patte de ce talentueux dessinateur. Comparez le dessin de Blues et celui de Traces de sang et vous comprendrez tout de suite ce que je veux dire. Alors je me pose la question de savoir pourquoi Sergio Toppi a livré un travail qui ne correspond pas du tout au reste de son oeuvre? Est-ce la pression de son éditeur, le manque de motivation sur des scénarii qu’il n’aimait pas? Je n’ai pas la réponse, et je doute que nous l’ayons un jour. En tous cas je suis content que ces trois volumes ne fassent pas partie de la collection Mosquito qui regorge de titres de Toppi plus talentueux les uns que les autres.

    • Julien dit :

      Il me semble que Toppi lui même abordait le douloureux sujet, à savoir publier une histoire exigeante, sans de personnage récurrent, dans l’édition en ces années 80/90 évoquant du reste son grand « frère « et ami Dino Battaglia qui,décédé en 1983 n’aura pas eu à souffrir de ce paysage éditorial…
      On doit beaucoup à monsieur Michel Jans qui patiemment, respectueusement à œuvré à mettre en valeur la richesse et toute l’étendue du talent de Sergio Toppi.
      Les livres proposés sont d’une infinie beauté, soucieux du respect du trait, soignant chaque détail.
      À ce titre je voudrais une fois encore saluer cette obstination qui témoigne autant de courage que de passion…
      Et la sincère admiration…
      Voilà un homme qui lit et assume tout ce qu’il publie.

Répondre à Gilles Ratier Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>