Après deux diptyques d’une série sans personnages récurrents particulièrement réussis (1), le scénariste Zidrou et le dessinateur Arno Monin continuent de mettre en cases le thème de l’adoption en publiant — toujours sous forme d’une comédie mélancolique pour le grand public — un cinquième tome qui peut se lire sans qu’on ait eu connaissance des précédents : un one shot qui privilégie l’émotion, la douceur et la délicatesse (tant dans l’idée et la narration que dans le graphisme), en scénographiant trois jeunes filles qui sont devenues sœurs…, puis orphelines de leur papa adoptif. Une belle histoire familiale écrite avec optimisme, pour nous aider à surmonter, plus facilement, les épreuves que la vie nous fait régulièrement subir…
Lire la suite...« Abélard » T1 par R. Dillies et R. Hautière
Publié avant l’été (mais lu pendant !), « Abélard » fait partie de ces albums parus très discrètement et sur lesquels il n’est donc pas inutile de s’attarder un peu. D’autant qu’à première vue, on croit l’album animalier destiné à la jeunesse : un prénom en guise de titre de série, un sous-titre gentillet, un dessin de couverture charmant présentant une bohémienne dansant entre des roulottes… Mais tout cela est trompeur !
L’Abélard qui offre son patronyme à l’histoire prévue en deux tomes (le tome 2 est annoncé pour novembre) est, tout « bêtement », un poussin qui vit, pêche et papote dans un marais. Jusque là, c’est vrai, c’est pas très ébouriffant ! Trop tard, pourtant, le dessin de Dillies a déjà accroché son lecteur ! Alors, on reste parce qu’on s’y sent bien dans ce marais et qu’on y parle d’ailleurs et de voyages. Le sage Mikhaïl qui a beaucoup bourlingué explique qu’il a tout vu et que c’est là, dans ce marécage paisible qu’il est fait bon vivre. Ce réflexe de sédentarité nostalgique ne peut empêcher un rêveur d’imaginer et un amoureux d’aimer, car Abélard cherche aussi son Héloïse, en l’occurrence une certaine Epilie. Poussin, vraiment ? Pas tant que ça, au final ! Naïf, sûrement ! Abélard a tout à apprendre, tout à faire. Il faut un détonateur pour cela. Il suffira d’un journal qui parle d’Amérique et de la Lune (à décrocher !) pour partir… en roulotte, celle de tsiganes qui vont vers l’ouest, en musique. Abélard découvre avec eux le racisme puis, dans une taverne, l’intolérance, celle d’un gros ours évidemment mal léché, un Gaston bourru mais probablement rempli de tendresse.
Tendresse, douceur de vivre, ce sont les mots qui caractérisent ce récit empreint aussi de poésie, comme l’idée du chapeau à proverbes. Mais Régis Hautière a-t-il écrit un récit pour enfants ? Pourquoi pas, mais en se demandant ce que c’est qu’une pute, Abélard s’adresse déjà à un public plus adulte qui y verra davantage la dimension politique, voire philosophique.
Rappelons à propos du dessinateur, Renaud Dillies, qu’il a déjà signé seul des albums ayant la même tonalité poétique : « Bulles & nacelle« , chez Dargaud, en 2009 ou l’histoire de Charlie, une petite souris qui doute et qui aimerait écrire, un récit aux préoccupations aussi intimistes qu’oniriques, à l’évidence destiné aux adultes, les seuls à pouvoir partager les affres de l’isolement ou de la création.
Avec « Frère Joyeux« , chez Paquet en 2007, Dillies adapte un conte des frères Grimm, superbement mis en images. Plus étonnant, chez le même éditeur : « Mélodie au crépuscule« , en 2006. Dillies met en scène Scipion Nisimov, un drôle d’oiseau, nonchalant et rêveur, qui se lie d’amitié avec Tchavolo Naguine, un tsigane bon vivant. Comme avec « Abélard« , on entre dans l’album tranquillement, sans impatience, sans penser être surpris, puis le personnage nous séduit et ses rêves nous intriguent. Puis, avec force cases qui se pénètrent et raccords visuels sophistiqués, les planches se font délires, échappées belles, bref du grand spectacle, émouvant et ludique à la fois, poétique aussi, très poétique, avec un sens de la variété incroyable, le tout d’un trait simple, calme, presque commun mais si parfaitement rehaussé des couleurs de Christophe Bouchard (qui n’est pas pour rien, non plus, dans le plaisir des pages d’ »Abélard« ).
Rappelons encore « Betty Blues » (Paquet, 2003), l’histoire d’un trompettiste de jazz genre « Nouvelle-Orléans » qui s’est taillé une belle réputation dans les bars enfumés. Un soir, son amie le quitte pour un riche homme d’affaires. Il est désespéré, il a le « blues ». Il quitte la ville et veut abandonner la musique…
Quitter, rêver, partir…
Alors, bons voyages…
Didier QUELLA-GUYOT (L@BD et blog)
« Abélard » T1 » La Danse des petits papiers » par Renaud Dillies et Régis Hautière
Éditions Dargaud (13,95 €)
Bonjour.
Petite correction : le tome 2 ne sort pas en novembre mais la semaine prochaine (le 2 septembre).
Effectivement, je viens de le lire et il confirme ma très bonne impression. Chroniqué un peu tardivement, finalement, il est en plein dans l’actualité. C’est parfait.
Didier
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