Guy Lefranc est de retour, pour une aventure très lointaine, périlleuse et aux enjeux politiques : ce qui n’est pas la première fois. Naturellement, cette régate lui réserve de graves imprévus et, tout aussi certainement, le journaliste déploiera tout son courage et sa compétence pour sortir par le haut de la situation. Il se joint à Théa, une bonne amie — sans qu’une relation plus intime soit même suggérée — pour faire partie d’une des équipes concourant lors de cette course maritime autour du globe. Et le reportage qu’il en tirera sera destiné à son journal : Le Globe, justement. Pesant sur ce contexte, le père de Théa (Van Toor) est un homme d’affaires international qui vend du minerai et le fait convoyer en Indonésie. Tous les protagonistes vont converger vers cette zone sensible, indépendante depuis peu, et très convoitée. Un album d’une excellente équipe d’auteurs, à l’action soutenue, et à lire au premier degré.
Lire la suite...« Portugal » par Cyril Pedrosa

Simon est dessinateur mais il n’a plus envie de dessiner. Il n’a plus envie de rien, d’ailleurs. Il gagne un peu de sous en faisant des animations scolaires, mais il s’ennuie, tourne en rond, déprime, se morfond et commence à sombrer. Plus il sombre, plus il rêve de lumière, de soleil, de vie. Normal, puisque c’est « sombre » ! Sa vie de couple lui pèse et l’idée d’emprunter pour se poser dans une maison bien à eux, la pire des prisons ! Son esprit ne trouve d’oxygène qu’en fuyant vers les souvenirs d’enfance. C’est alors qu’on l’invite à un mariage, celui de sa cousine… Mais de ça, non plus, il n’a plus envie. Car Simon n’arrive plus à rien, surtout pas à décider quoi que ce soit. Il est face au mur derrière lequel il y a un jardin mais encore faut-il se décider à passer le mur ! Le doute, la peur poussent le velléitaire ténébreux à temporiser pour mieux s’ennuyer. Spirale ! Heureusement, un festival portugais l’a invité…
Le Portugal, ses origines, ses racines, à portée de la main. Tout à coup, la rue s’anime, les conversations frétillent, les images vibrent étonnamment, les contours se superposent, la vie, quoi !, là, tout près, dans une langue inconnue qui curieusement le rend heureux. En déployant ses ailes, ce Portugal lui entrouvre à nouveau le monde. Simon commence à ressentir la vie différemment mais sans bien comprendre. Il lui faudra le mariage d’Agnès en Bourgogne et les retrouvailles avec son père puis avec toute la famille pour comprendre qu’il ne pourra retrouver des feuilles à ses branches qu’en redonnant à ses racines les fonctions qu’elles ont perdues : la mémoire et la vitalité.
Simon refait, lentement, laborieusement, le chemin vers son passé pour mieux se reconstruire un avenir. Il écoute, il enregistre et tente de recoller les morceaux de secrets de famille, les éclats de voix qui cachent des failles, les bribes d’émotions derrière lesquelles s’impatientent des gouffres de tendresse. La parenthèse familiale avec ses rires, ses coups de gueule, ses excès de vie, le secouent enfin. Le quotidien le prend par la main et lui fait passer les frontières, celles de son propre isolement d’abord, celles du Portugal, enfin ! Les couleurs changent, les gens changent, on l’accueille, on le cueille. Il est mûr ! ENFIN ! Il a trouvé la clé, la porte, là-bas, près de Lisbonne. Il a passé le mur qui le barricadait et découvert un vrai jardin, un potager, la vie simple et sincère. Il peut enfin communiquer. Il sait d’où il vient, où il est, et peut-être un peu, où il va.
En 250 pages de bande dessinée – un vrai journal intime ou l’auteur se cache probablement derrière son personnage -, Pedrosa fait le portrait d’une jeunesse morne, sans idéal, qui trouve enfin dans les mots, les parfums, les saveurs d’un ailleurs voisin, ces petits bonheurs de la « vraie vie », ceux qui donnent à l’existence des forces, des envies, des ambitions, et, mieux, des émotions. Des émotions graphiques, aussi, comme celles qu’il nous fait partager, déployant un immense talent aux facettes multiples. Pedrosa passe de l’esquisse caricaturale à des paysages impressionnistes, de cases dépouillées à des compositions mûries, de hachures multiples à des aplats peints, aidé pour les couleurs par une Ruby inventive. Cette diversité chromatique séduit, transporte autant que la capacité de l’auteur à démultiplier les cases ou à jouer l’espace sur des images pleine page. On pourra reprocher ici ou là quelques petites longueurs mais pas la justesse du propos, l’élégance du conteur, la grâce du dessinateur. Rappelons que Pedrosa nous a « habitués » avec son précédent et exceptionnel « Trois ombres » (un chef d’œuvre ! (cf. notice L@BD) à des pavés (268 pages en noir et blanc) et à ces variations graphiques épousant les tonalités du scénario.
Il m’est tentant de rapprocher ce titre d’un autre album de la collection » Aire Libre « , paru en 1996 : « Louis le Portugais » de Stassen. Il y était question d’un ouvrier mécanicien, Louis Vanhuis, mal dans sa peau lui aussi et qui rêvait de Portugal, de racines, survivant tant bien que mal (et plutôt mal) dans un monde banlieusard, cosmopolite, marginal et déboussolé, un monde en rupture, entre chômage et délits, où le bonheur et l’amour n’avaient guère leur place. Un album à redécouvrir à cette occasion.
Bref, il y a migration et migration, ces transhumances bénéfiques ou nostalgiques, qui font de nous tous des gens du voyage avec racines (car, contrairement aux apparences, les moins voyageurs ne sont pas les plus racinés).
Alors, bons voyages !
Didier QUELLA-GUYOT (L@BD et sur Facebook !)
« Portugal » par Cyril Pedrosa
Éditions Dupuis, collection » Aire Libre » (35 €)