Certains spécialistes ont quelquefois fait remonter l’art de la BD à l’art pariétal. Or, d’après l’archéologue Marc Azéma, séquençage narratif et décomposition du mouvement apparaissent bel et bien, ici et là, sur des murs datant du paléolithique. Le mariage est de toute façon consommé, puisque sept dessinateurs de BD sont allés s’exprimer sur des parois de la Grotte de la Sagne (près de la célèbre grotte de Pech-Merle), avec pigments naturels et torches pour s’éclairer…
Lire la suite...« Kililana song » T1 par Benjamin Flao
Naïm est un gamin de 11 ans. Il ne les fait pas. Il a tout de ces gavroches faméliques courant les rues de villes épuisées sous le soleil, à la recherche d’un peu de nourriture. Naïm est un enfant du Kenya, plus exactement de l’archipel de Lamu, situé près de côtes nord du pays à 250 km de Mombasa. Et c’est le héros atypique que Benjamin Flao met en scène dans la première partie de « Kililana Song »…
Naïm, un bonnet éternellement vissé sur la tête, l’œil aux aguets, orphelin vivant chez une tante, est d’abord un rebelle. Sa lutte il la mène contre son grand frère, Hassan, qui veut absolument qu’il suive les cours de la « madrass », l’école coranique. Mais les versets du Coran ne l’intéressent pas. Pas plus qu’il n’apprécie qu’on les lui enseigne à coups de canne ! Naïm préfère flâner, découvrir la vie au fil des ruelles, profiter du temps qui passe, plutôt que de rêver à d’éternelles récompenses post-mortem. « Pourquoi les adultes croient toujours qu’ils peuvent faire gober aux enfants n’importe quelle salade ? » s’insurge Naïm. Sûrement parce qu’ils y croient eux-mêmes et que leurs certitudes les aident à tenir debout, quitte à tout détruire autour d’eux pour les imposer aux autres ! Ainsi va la vie des intolérants ! Naïm, n’en a que faire : il sait que la vérité est dans ce qu’il voit, là, sous ses yeux d’enfant pauvre et plein d’énergie, et qu’il lui faut se battre pour survivre et pour trouver un peu de bonheur. C’est l’école de la vraie vie plutôt que la vie d’une école déconnectée du réel ! Du coup, il connaît de Lamu tous les coins et recoins, au point de pouvoir se faire guide pour touristes un peu naïfs. Il vit de peu, apprend la débrouille et sait rendre service contre un petit salaire : par exemple, aller chercher du « qat » pour un vieil homme qui ressasse de vieilles histoires en mâchouillant ses feuilles euphorisantes.
Naïm, dans ses escapades, de rue en rue, de toit en toit, observe, apprend, comprend, traine la nuit, déambule le jour, profite d’un film indien pour rêver – souvent rattrapé par l’insupportable Hassan ! -, tandis qu’au loin, très loin un vieil homme fait confiance à un vieil arbre pour ne pas être chassé de « chez lui », car Flao nous montre l’Afrique de l’Est à travers les yeux de ce gosse attachant, mais constitue autour de lui une brochette de personnages mémorables : outre ce vieil ermite isolé sur des terres convoitées par des promoteurs, un capitaine de bateau aux soutes trafiquantes, de jeunes et belles prostituées à la peau noire, un Blanc friqué abruti par la drogue qui imagine des films partout…
Naïm est un promeneur comme Flao, son créateur et insatiable voyageur : « Ce livre, indique-t-il très discrètement en préambule, est le fruit de rencontres, d’histoires glanées, de choses vues, entendues ou vécues lors de promenades entre l’Erythrée et le nord-est du Kenya, et restituées ici sous la forme d’une fiction ». Un carnet de voyage ? Pas seulement ! C’est un extraordinaire livre d’images aquarellées, lumineuses, car après avoir lu ce premier volume, on revient sur ses pas, sur ses pages, et on déambule à notre tour dans ces ruelles kényanes, aux maisons à toit de chaume ou de tôle avec ici et là des architectures arabes, sur la place où trônent des canons d’un ancien temps colonial, en bord de mer pour admirer les boutres…
Et l’on attendra patiemment le tome 2 – car l’attente fait partie des voyages ! – en relisant « La ligne de fuite » qu’il avait réalisé sur scénario de Dabitch et qui le menait déjà en Afrique de l’Est, vers Aden, dans les pas d’un Rimbaud… On peut aussi s’offrir leurs « Mauvais garçons », d’une Andalousie dansante et puissante.
Alors, bon voyage !
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
NB : Surnommée « la petite Zanzibar », l’île de Lamu et son archipel, proches de la Somalie, sont actuellement une région déconseillée aux touristes : ressortissante française et touristes occidentaux ont été enlevés, et pour l’un d’eux assassiné, fin 2011 !
« Kililana song » T1 par Benjamin Flao
Éditions Futuropolis (20 €) – ISBN : 978-2-7548-0375-5