Après deux ans d’absence, Mathieu Lauffray conclut le cycle « Raven » avec ce copieux (84 pages) troisième volume. Dans la lignée de son « Long John Silver », scénarisé par Xavier Dorison, le dessinateur — qui sait si bien mettre en scène pirates, mer déchaînée, ambiances gothiques ou menaçantes — revient en soignant son final.
Lire la suite...« Alice au pays des singes » T1 par Nicolas Keramidas, Tebo et Nob
Il était une fois un appel de l’imaginaire, promis à un légendaire destin littéraire. C’est ainsi que paru le 4 juillet 1865 un ouvrage intitulé « Les Aventures d’Alice au pays des merveilles », écrit sous le pseudonyme de Lewis Carroll par un révérend, Charles Lutwidge Dodgson. L’héroïne de ce récit fut pensée initialement comme un personnage destiné à amuser la véritable Alice Liddell, très jeune fille et connaissance de l’auteur. L’œuvre de Carroll (et sa suite, « De l’autre coté du miroir », paru en 1872) marqua très vite les esprits mais dérange par sa logique absurde et cynique, la cruauté de certains des protagonistes et la vision très féroce d’une société victorienne triomphante, dont les codes et les rites sont implacablement débusqués.
Outre le texte, il faut aussi préciser que l’inscription de ce roman d’apprentissage dans le paysage culturel se fit par le biais des illustrations : Lewis Carroll lui-même offrit à Alice Liddell dès novembre 1864 un exemplaire manuscrit de l’histoire inventée pour elle, orné de 37 dessins à la plume. Ultérieurement, c’est le grand illustrateur britannique John Tenniel qui associera son nom au véritable « bestiaire » peuplant « Alice au pays des merveilles », et fournira donc la matière première visuelle d’une kyrielle d’adaptations diverses, dont les longs métrages homonymes de Disney (1951) et de Tim Burton (2010)… Ou celle de Keramidas, Tebo et Nob dans « Alice au Pays des singes », album paru en mai 2012 et sur lequel notre attention se porte de nouveau cette semaine.
Rappelons encore que, dès le début de son Å“uvre, Lewis Carroll nous présente une adolescente en mal d’aventure, assise auprès de sa sÅ“ur qui lit un livre ennuyeux puisque « sans images, ni dialogues ». Faut-il se souvenir – à l’aune de cette citation savoureuse – du conflit opposant jusque dans les années 1960 les littératures écrites et celles plus graphiques, opposition faussement qualitative dont la bande dessinée fit malheureusement longtemps les frais ?
Ce long incipit nous permettra plus aisément de comprendre la volonté de Tebo, Nob et Keramidas, dans leur « Alice au pays des singes », de dynamiter à nouveau les conventions lentement installées : ainsi, le lecteur découvre ici que toute poursuite frénétique derrière un lapin blanc ne mène pas forcément au Pays des Merveilles annoncé. Alice se réveille en effet amnésique et perdue au milieu de la jungle, avec pour tout accueil une horde singes surexcités à l’idée de voir revenir leur héros de toujours, le légendaire Tarzan. L’aide d’Eddy le mandrill ne sera pas de trop pour retrouver le bon chemin et surtout échapper à l’éternel adversaire de Tarzan, le tigre qui rôde dans le coin et a juré sa perte !
La couverture originelle de l’album adopte à priori l’angle de vue assez simple de la mise en situation de ce synopsis : aidé de son ami mandrill, Alice – entre fable ubuesque et road-movie à la fois loufoque et faussement guimauve – court le long d’un gros branchage pour échapper aux singes et serpents plus ou moins hostiles. L’arrière-plan est bien celui de la jungle de type indienne (haute frondaison, lianes pendantes, épiphytes (plantes parasites) et fleurs diverses (Hibiscus, Passiflores ou Héliconia)) mais c’est l’incarnation animale du danger (tête de tigre imposante mais camouflée dans la partie basse du visuel) qui offre le motif de repérage géographique le plus évident. Notons qu’Alice suit non pas un lapin blanc mais un oiseau jaune (colibri ?), élément référent du milieu (les oiseaux mouches ne vivent cependant que… sur le continent américain !) comme de la poésie sous-jacente de l’album.
Le fameux Lapin blanc ayant disparu de cette version, le rythme précipité de l’aventure et le temps de la narration initial sont symbolisés dès le titre par le réveil/montre à gousset qui remplace le point de la lettre « i ». « Suivez le lapin blanc… » doit être compris chez Lewis Carroll comme l’élément catalyseur d’un univers ouvert à tous les possibles, procédant du sens et du non-sens : ce « chaos cosmos » (selon l’expression de Gilles Deleuze dans son « Logique du sens » publié en 1969) marquera des films tels ceux de la saga « Matrix » des frères Wachowski (1999 à 2003). Ici, la couverture décline le concept logique et illogique d’une amitié entre deux personnages à priori opposés et de fait rendus très complémentaires : une petite fille sans défense et un animal viril d’âge mur, dont les couleurs (le rouge, le blanc et le noir) accentuent l’aspect décalé, dans une jungle où chacun essaye habituellement de se fondre et d’avancer dissimulé simplement pour pouvoir survivre.
La scène-clé du franchissement du tronc d’arbre se retrouve habituellement mise à l’honneur par les arts de l’image : qu’on en juge avec les affiches ou photos issues des films « Le Livre de la Jungle » (version du chef d’œuvre de Kipling (1894) par Stephen Sommers en 1994), « Tarzan » (version des studios Disney en 1999) ou de « King Kong » (version de Peter Jackson en 2005), ces trois titres se retrouvant à l’évidence « mixés » dans le présent « Alice au Pays des Singes », où la jungle est autant un élément du décor qu’un protagoniste non négligeable de l’aventure ainsi vécue sous un nouvel angle.
Les couvertures alternatives de l’album (version toilée Canal BD et édition collector Glénat) se contentent de répéter le motif principal : la jungle comme nouveau décor et deux protagonistes peu commun mais assez proche de l’identitaire du conte « La Belle et la Bête » (1757). On appréciera également le jeu de déclinaisons graphiques offert autour de ce concept par le recueil collector précité, qui est complété d’hommages réalisés par de grands noms du 9e art (Zep, Boulet, Barbucci, Crisse, Buchet, etc.) et par des artistes issus des plus grands studios d’animation (Dreamworks). On trouvera – outre les visuels placés autour de cet article – d’autres illustrations sur la page internet dédiée (Keramidas, 1 an, 365 dessins) : http://fr-fr.facebook.com/photo.php?fbid=10150880522180259&set=a.350282025258.200623.329452895258&type=1&theater
Philippe TOMBLAINE
http://couverturedebd.over-blog.com/
« Alice au pays des singes » T1 par Nicolas Keramidas et Nob
Éditions Glénat/Drugstore (13,90 €) – ISBN : 978-2-7234-8243-1
j’adore ce bouquin!!!!!!!
c’est vrai