Commencée en décembre 1975 dans le premier numéro d’Imagine, « La Quête de l’oiseau du temps » trouve 50 ans plus tard la conclusion… du second cycle : « Avant la quête ». Et Serge Le Tendre et Régis Loisel — avec la complicité de Vincent Mallié — réussissent la performance de réunir magistralement les deux époques. Encore une série culte des années fastes de la « nouvelle BD » des années 1970 qui se porte à ravir ! D’autant plus qu’à « Avant la quête » pourrait succéder « Après la quête » : un volume unique que Régis Loisel a encore tout récemment évoqué en interview (ou en privé), qu’il devrait dessiner lui-même et qui mettrait la focale sur l’errance d’un Bragon âgé et perdu dans sa folie.
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Notre sélection de la semaine : ? W.E.S.T T.5 : Megan ? par Christian Rossi, Xavier Dorison et Fabien Nury, ? Les Rues de sable ? par Paco Roca, et ? Amato ? par Aude Samama et Denis Lapière.
- ? W.E.S.T T.5 : Megan ? par Christian Rossi, Xavier Dorison et Fabien Nury – Editions Dargaud (13,50 Euros)
Avec ce nouveau cycle (qu’on peut tout à fait lire indépendamment) d’un western urbain fantastique et cérébral à la fois, les scénaristes Fabien Nury et Xavier Dorison sortent des clichés habituels ; ceci avec une histoire riche et complexe (mais moins compliquée que les précédentes, d’où une lecture plus fluide) qui ne garde du genre que les archétypes de base : au tout début du XXème siècle, à New York, un vieux shérif taciturne, tirant plus vite que son ombre, cavale après sa fille habitée par un démon ; le seul moyen de l’en débarrasser est de la tuer… Pour arranger le tout, un vieux et richissime industriel lance un contrat sur la tête de cet homme perturbé (qui a souvent recours à la psychiatrie), pourtant aussi habile dans l’étude des sciences occultes que dans le maniement du Smith & Wesson, et qui était, jusque-là, le chef d’une équipe hors du commun : W.E.S.T. Or, ce sont aux autres membres de cette brigade spéciale qu’échoit, cyniquement, la mission de le supprimer… Non seulement le découpage cinématographique et la construction aussi habile que dynamique permettent d’accéder aisément à cette œuvre dense et remplie de références, mais jamais le dessin sublime et lumineux de Christian Rossi n’a été autant au service de l’histoire, se payant même le luxe d’être quelquefois expérimental, alors que son trait de base est plutôt classique : au final, chaque planche est une merveille de composition et amplifie l’ambiance d’étrange et d’épouvante que suggère ce récit malin, lequel plonge le lecteur au cœur de la face cachée des Etats-Unis… Heureusement, cette bande dessinée étonnante semble avoir trouvé son public : tant mieux pour Fabien Nury et Xavier Dorison qui font partie des scénaristes les plus prisés du moment et qui confirment ici tout le bien que nous pensons de leurs précédentes réalisations ; et ce n’est que justice que l’immense talent graphique de Christian Rossi soit enfin reconnu comme tel car c’est l’un de nos meilleurs dessinateurs réalistes !
- ? Les Rues de sable ? par Paco Roca – Editions Delcourt (14,95 Euros)
Attention, le talentueux auteur espagnol Paco Roca récidive ! Après différents romans graphiques aussi différents et réussis que « Le Jeu lugubre » (terrifiante fiction autour de la vie de Salvador Dali) ou « Rides » (sobre et émouvante évocation de la fin de vie d’un vieil homme confronté à la maladie d’Alzheimer, et qui va être adaptée au cinéma dans un long-métrage d’animation dirigé par Ignacio Ferreras), on retrouve son trait fin, sobre et élégant (proche de la « ligne claire »), dans cette étonnante introspection surréaliste : la belle collection « Mirages » des éditions Delcourt semblant être le support idéal pour ces 94 pages où le narrateur se pose nombre de grandes questions philosophiques sur sa propre vie. Un « adulescent » qui s’adonne à son passe-temps favori dans une librairie de bandes dessinées oublie le rendez-vous important à la banque qu’il doit avoir dans les minutes qui suivent avec son amie ; et cette dernière le lui rappelle d’un coup pressant de téléphone portable. Pour gagner quelques minutes, afin d’arriver quand même à l’heure malgré son immense retard, il prend un raccourci en coupant par la vieille ville, sachant pertinemment qu’il finit, pourtant, par se perdre à chaque fois dans le dédale des rues. Et, bien entendu, c’est ce qui finit par se passer… Alors que la nuit tombe, n’ayant plus de réseau téléphonique pour s’excuser et appeler à l’aide, il s’arrête dans un hôtel vraiment étrange. D’ailleurs, c’est tout le quartier qui n’a aucun sens et il n’a plus aucun moyen pour sortir de ce labyrinthe, malgré ses questionnements auprès des insolites habitants… Grâce à une étonnante maîtrise narrative, ce représentant d’une école ibérique intimiste en pleine expansion illustre, avec humour et onirisme, un récit passionnant où le lecteur, lui, ne perd jamais pied…
- ? Amato ? par Aude Samama et Denis Lapière – Editions Futuropolis (15 Euros)
Voilà un bien bel album qui nous permet de mieux apprécier la palette graphique de la jeune peintre Aude Samama, laquelle n’avait publié, jusque-là, que quelques albums expérimentaux passés injustement inaperçus : « En série » chez FRMK, « L’Intrusion » chez Rackham et deux petits bijoux illustratifs aux éditions Nocturne (« Bessie Smith » et « Amalia Rodrigues » (en attendant un « Lisbonne, dernier tour » avec Jorge Zentner, aux Impressions nouvelles). Son trait pictural relevé par des couleurs fauves et clairs-obscurs fait partie intégrante de la narration, convenant parfaitement à l’atmosphère romantique du récit torturé concocté par Denis Lapière. Le scénariste du « Bar du vieux français », de « Charly » ou du « Tour de valse » s’est inspiré librement de « Olalla », une nouvelle teintée de fantastique écrite par l’écrivain écossais Robert-Louis Stevenson, plus proche ici de son « Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde » (ou encore du « Portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde, de « La Chute de la maison Usher » d’Edgar Allan Poe et de « Dracula » de Bram Stocker) que de sa célèbre « L’Île au trésor ». Ce huis clos pervers et étouffant met en scène une jeune femme qui souffre d’une maladie chronique et qui opte pour une vaste résidence à la montagne tenue par une étrange et sinistre famille (une mère et ses deux fils) pour passer le reste de sa convalescence ; mais à la place du bon air prévu pour retrouver sa santé précaire, elle se retrouve dans l’atmosphère pesante de cette maison en décrépitude, envoûtée par ces vestiges d’une grandeur passée et fascinée par l’étrange portrait d’un inconnu qui orne sa chambre…
Gilles RATIER
Très bonne sélection. W.E.S.T T.5 notamment est captivant.