C’est avec exigence qu’Emmanuel Moynot construit, depuis une quarantaine d’années, une riche carrière où se côtoient des albums classiques (sa reprise de « Nestor Burma », par exemple) et des one-shots aux motivations plus ambitieuses, tel le présent album. Un polar noir et cynique où il établit avec force détails le parallélisme entre le quotidien des babouins africains et le comportement parfois violent de certains individus de notre monde contemporain.
Lire la suite...« Le Convoi » (T1) par Eduard Torrents et Denis Lapière et « Espana la vida » par Eddy Vaccaro et Maximilien Le Roy
De juillet 1936 à mars 1939, la guerre civile espagnole oppose deux camps, celui des Nationalistes et celui des Républicains, et même deux peurs : celle d’une révolution bolchevique et celle d’une dictature fasciste. Dans un pays en République, une coalition de gauche, le Frente Popular, constitué de républicains, de socialistes, de militants du Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (POUM) et de communistes, remporte le 16 février 1936 les élections face au Front national. Tout oppose désormais Républicains et Nationalistes (conservateurs, monarchistes et phalangistes). L’assassinat par des officiers républicains du député monarchiste José Calvo Sotelo, le 13 juillet 1936, met le feu aux poudres. Trois généraux, Franco, Mola et Sanjurjo, s’allient pour tenter un coup d’état. Le mouvement d’insurrection militaire s’étend bientôt à toute l’Espagne. Au bout d’une semaine, l’Espagne est coupée en eux…
En trois même ! Il y a ceux qui se font la guerre et les exilés, ce que ces deux albums montrent bien. Alors que le nombre de morts semble s’établir autour de 400 à 450 000 personnes (sans parler des victimes de famine ou de maladie estimées à plus de 300 000), la guerre provoque un exode massif, plusieurs centaines de milliers de personnes. C’est ce que va se remémorer, en 1976, l’héroïne du « Convoi », Angelita, domiciliée à Montpellier et appelée au chevet de sa mère à Barcelone, alors qu’elle s’est toujours refusée de revenir en Espagne. Après l’exode du trio familial vers la France, via Le Perthus, les voilà dans un camp, un « enfer », près d’Argelès, parqués, bientôt séparés d’un père qui aurait bien voulu faire partie des Brigades Internationales et qui a quitté l’Espagne très amer. C’est évidemment son histoire que révèlera le deuxième tome. Le récit, souvent en voix off, est accompagné d’un dessin qui fait penser quelquefois à Pellejero, probablement à cause des couleurs de Marie Froidebise. Le second tome paraitra en avril.
De son côté, « Espana la vida » s’intéresse au premier versant de la guerre, les combats. Après les tragiques événements de Guernica en 1937, un jeune Parisien marxiste issu d’une famille bourgeoise a décidé comme d’autres à l’époque de tout quitter et de rejoindre Saragosse pour s’engager aux côtés des républicains espagnols. Il découvre que dans les deux camps, la violence est extrême, les exactions sans nombre : exécutions sommaires, tueries massives, par de tribunaux sommaires et des milices expéditives même au sein des troupes républicaines où des « agents de Staline » éliminent des combattants non marxistes et les anarchistes. Si la sympathie générale est d’abord allée aux Républicains et à tous les défenseurs de la liberté, les ouvrages plus récents ne manquent pas de souligner les excès, l’intransigeance, l’extrémisme politique qui s’est emparé de tous les combattants dont tenants et aboutissants n’ont été connus et reconnus que très longtemps après la guerre. Là, le graphisme crayonné, rehaussé des couleurs judicieuses d’Anne-Claire Thibaut-Jouvray, distille sa part de spontanéité et d’émotion.
Sur le sujet, nombre d’albums (et d’ouvrages, on pense évidemment à « L’Espoir » de Malraux) ont été écrits. Rien qu’en bande dessinée, il faut citer la série de Tito, « Soledad » (chez Casterman), notamment les volumes 4 et 5, où l’auteur affrontait la mémoire douloureuse qui hantait le village de Soledad, celle de la guerre civile qui divisait les habitants, les faisait s’entretuer. Il remontait aux sources familiales, récoltait les souvenirs bâtissant sur ce matériau un récit presque intimiste sans occulter la violence et la folie meurtrière de ces années-là. Ajoutons « Max Fridman » de Giardino (chez Glénat) dont trois tomes sont consacrés à la guerre d’Espagne. Dans « No Pasaran », le héros finit par franchir les Pyrénées et prend part à la guerre. Avec « Rio de sangre », c’est la célèbre bataille de l’Ebre (novembre 1938) qui est mise en scène… Ne pas oublier d’Andreas et Cochet, « Quintos » (chez Dargaud, en 2006). En Espagne, en 1937, un petit groupe de volontaires républicains venus de différents pays d’Europe est isolé. Au fil de leur progression pédestre, les difficultés s’accumulent et certains combattants perdent la vie. La galerie de personnages parfaitement typée et riche met face à face des individus aux motivations quelquefois contradictoires que la situation exceptionnelle et de plus en plus dramatique révèle. Le talent d’Andreas fut précisément de servir une réflexion discrète sur l’engagement politique, les valeurs humaines, le libre arbitre.
Avec un récit familial et intimiste, puis une histoire plus guerrière et politique, « bon voyage » au cœur d’un conflit qui a permis aux futurs dictateurs de se préparer à la seconde Guerre mondiale…
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Le Convoi » T1 par Eduard Torrents et Denis Lapière
Éditions Dupuis (15,50 €) – ISBN : 978-2-8001-4925-7
« Espana la vida » par Eddy Vaccaro et Maximilien Le Roy
Éditions Casterman (25 €) – ISBN : 978-2-203-04158-5