C’est en 1952 que le marsupilami apparait pour le première fois sous la plume d’André Franquin, dans « Spirou et les Héritiers ». Son nom est un amalgame de trois mots : marsupial – pilou-pilou (ou Jeep, un animal qui vient de la quatrième dimension dans les albums de « Popeye ») – ami. Il a vécu depuis de nombreuses aventures que ce soit avec Spirou et Fantasio ou dans sa propre série. Après Zidrou et Franck Pé, ainsi que l’auteur allemand Flix, c’est au tour de Lewis Trondheim et Alexis Nesme de partir à la recherche des aïeuls de l’animal créé par Franquin. Dans « El Diablo », les conquistadors découvrent, à leur dépens, ce remarquable grimpeur dans la forêt de Palombie
Lire la suite...Entretien avec les auteurs des « Promeneurs du temps » : Sylvain Dorange et Franck Viale
L’album « L’Équation interdite » débute au matin du 1er janvier 1901. Le commissaire Ambroise Clé, réputé pour son esprit scientifique, a rendez-vous à l’hôtel de police avec un gentleman anglais, Mr S. Atherton. Ce dernier parle au commissaire d’un mystérieux meurtre, un homme tué de seize coups de compas au visage. Au même moment, l’inspecteur Darcheville entre dans le bureau, en annonçant à Clé ledit meurtre. Après une visite sur les lieux, le commissaire interroge Atherton qui apprend aux policiers français qu’un crime semblable a été commis sur un vagabond londonien deux mois avant.
Atherton promet d’en dire plus le lendemain à la parution du Figaro. Le lendemain dès la parution du journal, il leur montre une page du journal, en sa possession depuis deux mois, en tout point identique a celle du jour. Atherton explique alors sa théorie à Clé et Darcheville ; le coupable voyagerait dans le temps, mais il ne peut intervenir sous peine d’engendrer un paradoxe temporel.
L’hypothèse se confirme grâce à l’aide du professeur Jonathan Sweitzer, une connaissance de Clé, qui découvre des crimes identiques de l’ancienne Égypte à la Guerre de Sécession. Devant l’impossibilité de trouver le coupable, Clé enterre l’enquête.
Le tueur frappe à nouveau dans les tranchées en 1916. Obnubilé par cette affaire, Clé en transmet les détails à ses héritiers. C’est en 2075 qu’un de ses descendants, policier lui aussi, découvre l’identité du tueur et ses motivations.
« L’Arcane sans Nom », deuxième tome deux de cette série, débute lui aussi au matin du 1erjanvier 1901. Il est difficile de le résumer sans dévoiler la fin du volume précédent si ce n’est que, comme prévu par les protagonistes de la première enquête, la résolution des meurtres au compas a donné naissance à un paradoxe vivant qu’il va falloir aider.
Autant la première aventure s’appuie sur un point de vue scientifique, autant la seconde repose sur un monde fantastique où l’ésotérisme et le mystère prennent vie. Clé, Darcheville et le « paradoxe vivant » devront s’allier à un groupe mystique pour trouver un être immortel.
Une enquête policière déroutante pour le premier tome, une poursuite à travers l’Orient pour le second, Franck Viale réussit à nous emporter dans deux épisodes d’une histoire singulière.
Est-ce pour montrer cette absence de frontière entre le rationnel et l’irrationnel que Sylvain Dorange ne fixe pas ses cases avec une bordure ? De plus, son dessin sans contours est magnifié par de très beaux aplats, donnant à ces albums une atmosphère forte et précieuse.
Brigh Barber : Vous vous connaissez depuis longtemps ?
Franck Viale : Depuis le primaire, le CE2 pour être exact. Cela fait donc environ 27 ans. C’est d’ailleurs à cette époque que nous avons réalisé nos premières bandes dessinées, sur des cahiers à dessin. Sylvain a toujours poursuivi le même chemin, quant à moi je m’étais écarté du dessin, mais pas totalement de l’écriture.
Comment a eu lieu la rencontre avec les éditions Poivre et Sel ?
Sylvain Dorange : J’ai été contacté par Benoit Houbart, notre cher éditeur, lorsque ce dernier était à la recherche d’auteurs, pour lancer sa nouvelle maison d’édition.
F. V. : On se sent donc très concernés par l’avenir de cette « boîte ».
Poivre et Sel, votre éditeur prend aussi soin de vous : il vous a imprimés sur un beau papier. Vous avez participé à la conception des albums ?
F. V. : Nous suivons le travail de l’infographiste et nous concevons l’album collectivement, avec l’éditeur. En revanche, nous ne sommes pas informés des travaux d’imprimerie. Je crois que le support est important pour tous les deux… Même si Sylvain se soucie un peu plus du rendu de ses couleurs, dans l’ensemble, nous avons été satisfaits de notre sort.
S. D. : Pour ma part, les couleurs de l’impression étaient un peu plus sombres que sur mon écran, mais comme le rendu était satisfaisant je n’ai pas tenté de les éclaircir pour le tome 2… Mais le rendu du tome 2 était encore plus sombre, donc je vais essayer d’éclaircir un tout petit peu les couleurs du tome 3. Mais dans l’ensemble, je suis très heureux du résultat, c’est un bel album !!!
La lecture de vos deux tomes peut faire penser à ces petits ressorts dévalant des escaliers, ils retrouvent toujours un moment d’équilibre avant de rebasculer. Vos récits commencent et se relancent au matin du 1er janvier 1901 ; pourquoi cette date précise ?
F. V. : C’est la date qui marque très exactement l’équidistance temporelle entre la résurrection du Christ et la Parousie… Mais vous n’êtes pas obligé de me croire.
Quand vous dites que le récit fait « penser à des petits ressorts dévalant des escaliers », vous voyez très juste. La vraie difficulté, pour moi, est de construire une trame autour de paradoxes, qui par définition ne peuvent pas être résolus. C’est pourquoi l’histoire est très retorse, et qu’en même temps, elle est traitée avec une certaine dérision.
D’ailleurs, le titre de votre série « Les Promeneurs du temps » est finement choisi pour exprimer cette notion. Il a quelque chose de nonchalant, ce titre peut faire ressentir un sentiment de dilettantisme.
F. V. : Oui tout à fait, il y a un temps pour l’intrigue, un temps pour les digressions, un temps pour l’humour… Et si le lecteur est comme en promenade, en compagnie des personnages, alors on est ravis. Je dois reconnaître qu’il y a beaucoup de titres du genre, se terminant par « Du Temps », on finira à force par tous les épuiser.
Le troisième tome « Le Paradoxe du Multivers » est annoncé à la fin du tome 2. Vous écrivez chaque épisode séparément ou vous avez une trame définie que vous fractionnez en épisodes avec une intrigue propre ?
F. V. : J’ai à l’origine une trame définie, mais elle n’est pas incontournable. Je souhaite que l’histoire ne tourne pas éternellement en boucle, il faut donc que je propose, chaque fois, d’autres ressorts « dramatiques », tout en restant fidèle à l’esprit du premier tome.
Sylvain, vous avez publié trois contes de l’Estaque pour EP Emmanuel Proust Éditions, mais le rendu de vos dessins est différent, comment travaillez-vous sur ces différents projets ?
S. D. : Quand je commence un projet, je ne sais pas comment je vais le traiter graphiquement… L’espace et le temps étant malléables dans « Les Promeneurs du temps » après plusieurs essais, j’ai choisi de ne pas avoir de contours. Un trait moins arrêté, moins figé. Nous sommes en train de travailler sur un nouveau projet avec Franck, et je pense qu’il n’aura rien à voir avec celui-ci… Pourquoi pas un rendu à la plume ?
L’Estaque, Paris, Istanbul, la forteresse d’Utmek, Erivan, l’Himalaya, vous faites beaucoup de recherches pour les lieux ?
F. V. : Bien sûr, mais l’univers des « Promeneurs du temps » étant essentiellement fantaisiste, nous ne sommes pas bridés. En revanche, cela enrichit nos idées. J’ai appris que le vrai Georges Gurjieff (grand nom de l’ésotérisme au début XXe siècle) avait mis les pieds pour la première fois au Tibet en 1901, bien après avoir écrit le synopsis de L’Arcane sans nom, c’était une belle coïncidence.
S. D. : De mon côté, je pense que le fantastique fonctionne quand on a du bien réel qui le côtoie. Je fais donc énormément de recherches sur les bâtiments de Paris en janvier 1901, mais aussi sur les moyens de transport, les armes, les vêtements…
Par exemple Clé part en bateau pour Constantinople. Quel bateau quitte Marseille en janvier 1901 et y arrive… Et en combien de temps ? Prenait-il des voyageurs ?
Autre exemple, dans le tome 1, Clé emprunte l’escalier de la Bibliothèque Richelieu. En 1901, justement, cet escalier était en construction… Je me sens donc obligé de le mettre dans la BD, même s’il n’y a que moi qui le remarque…
À ce propos qui est l’homme nourrissant les pigeons au début de « L’Équation interdite » ?
F. V. : C’est un personnage Dorangesque…
S. D. : Un chiffonnier, au second plan il y a l’Hôtel Dieu… Un métier qui a pour ainsi dire disparu, devant un hôpital qui a subi de multiples rénovations afin de ne pas disparaître face aux progrès médicaux. Avec le recul, il aurait été plus judicieux de placer une religieuse augustine au premier plan, quand on sait qu’elles quitteront définitivement l’Hôtel-Dieu en 1908…
Pour répondre au sujet des contes de l’Estaque, je suis allé à Marseille plusieurs fois pour faire des repérages afin de ne pas avoir les mêmes décors que dans le film.
Vous avez travaillé avec Robert Guédiguian pour adapter ces histoires ?
S. D. : Non. Robert n’a pas le temps de s’occuper des adaptations de ses œuvres… Ce qui lui importe, ce sont les messages qu’il y a dedans ; donc, si je ne les trahissais pas, ça lui allait. L’ouverture vers un autre public lui suffisait… Il m’a dit que Marius et Jeannette avait été adapté en pièce de théâtre allemande… Et l’idée avait l’air de bien lui plaire.
L’homme bleu dans le tome 2 est magnifique. Comment construisez-vous vos personnages ?
F. V. : C’est une très bonne question… Je suis plus spectateur que créateur. J’ai parfois l’impression que les personnages pointent leur nez, et qu’ensuite je les choisis. Ou pas. L’homme bleu m’a immédiatement fait penser à un verset très énigmatique de la Genèse, et au livre d’Enoch, un apocryphe de l’Ancien Testament. Il m’a donc tout de suite plu.
S. D. : C’est un personnage énigmatique qui m’a également bien plu dès la lecture du scénario.
Pour les autres personnages, vous les proposez à Franck après avoir lu son scénario ou vous les travaillez au moment de l’écriture du scénario ?
S. D. : Il n’y a pas de règle… Je préférerai dans l’absolu trouver mes personnages avant de les story-boarder, mais c’est souvent après (ou pendant) qu’il m’apparaisse. Franck se retient (au maximum) de me donner la vision de ses personnages, il m’a dit qu’il aimait être surpris par la vision que j’avais de ses personnages souvent très loin des siennes… Pour l’instant, nos visions nous conviennent même si elles sont différentes. Je crois que nous nous faisons confiance, car nous aimons le travail fourni par l’autre.
Ambroise Clé croise deux fois un petit garçon avec un canotier blanc qui réamorce l’histoire ; on le retrouvera dans le troisième tome ?
F V. : Oui, c’est le jeune et très précoce Isidore, sa mère jouera aussi sa participation dans le prochain tome. Sylvain s’est immédiatement rendu compte en lisant le scénario du premier tome qu’il n’y avait pas de vrai personnage féminin. J’avais écrit une histoire pour jeunes scouts. Ce sont des garçonnes, des aventurières un peu prostituées, ou des mères de famille.
Elles ne sont jamais l’égale des personnages masculins, leurs actes n’ont presque aucune incidence sur l’intrigue. Ce n’est pas une pointe de misogynie, seulement le besoin de faire référence à l’esprit des feuilletons du XIXe siècle. De plus les personnages de femmes émancipées, à cette époque, seraient complètement anachroniques.
« Le Paradoxe du Multivers » est prévu pour quand (si notre continuum temporel n’est pas bouleversé bien sûr) ?
F V. : Novembre, il devrait ensuite être suivi de deux autres épisodes.
Vous avez d’autres projets parallèlement aux « Promeneurs du temps » ?
F V. : Je termine actuellement un scénario de western, un « one shot » pour Sylvain. Il connaît ma passion pour le genre et m’a demandé de lui en écrire un.
Quand je parle de ma passion pour le genre, je fais référence au cinéma et non pas à la bande dessinée, aux westerns américains pour être exact…
Les films italiens n’ont qu’une parenté lointaine avec l’essence du genre. J’ai un autre projet de bande dessinée qui est à l’état embryonnaire, il pourrait faire la liaison entre « Les Promeneurs du temps » et l’univers du western.
Sinon j’ai amorcé l’écriture d’un « thriller », que j’hésite à proposer, soit pour un long métrage, soit pour une bande dessinée.
S. D. : Je devrais sortir un « one shot » chez le même éditeur, « La Rue », que je peaufine depuis une quinzaine d’années…
Et vous pouvez nous donner des nouvelles de votre « homme d’osier« ?
S. D. : si vous parlez de The Wicker Man de Robin Hardy (1973), c’est bel et bien ce film qui m’a inspiré pour l’écriture de « La Rue ».
Mais, depuis, l’histoire a pas mal évolué et même si je ne renie pas mon inspiration première, on en est assez loin aujourd’hui…
D’autant plus que je n’ai jamais revu ce film (malheureusement) depuis 1999.
Avec nos remerciements estivaux. Brigh BARBER
Vous pouvez voir, entre autres choses, d’autres planches de « La Rue » sur le site de Sylvain Dorange : http://dorange.sylvain.free.fr.
Et pour consulter le site des éditions Poivre et Sel : http://poivreselbd.be.
« L’Équation interdite » et « L’Arcane sans nom » par Sylvain Dorange et Franck Viale
Éditions Poivre & Sel, collection Massala (13,50 € chacun) — ISBN : 978-2-87547-004-1 et 978-2-87547-015-7