Même quand on est adulte, on aime lire les albums jeunesse scénarisés par Loïc Clément. Le récit est toujours surprenant, avec de l’action ou des thématiques traitées toujours profondes et intéressantes… Et pour agréger actions, personnages attachants et émotions, le scénariste n’oublie jamais d’ajouter une bonne dose d’humour. On retrouve tous ces ingrédients dans « Les Larmes du yôkaï » : une enquête policière amusée et amusante dans un Japon médiéval revisité.
Lire la suite...« L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu T3 : Le Mystère de la femme-araignée » par Paul Salomone et Wilfrid Lupano
Présentée sous un titre ironique, « L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu » est une série western initiée depuis 2011 par le scénariste Wilfrid Lupano en compagnie de Paul Salomone. Sur un ton à la fois grave et parodique, les lecteurs suivent depuis 2 tomes les péripéties rencontrées par l’avocat Byron Peck, son secrétaire danois Knut Hoggaard et le bagagiste Bishop. En Arizona, les trois hommes cherchent à mettre la main à la fois sur un trésor mexicain et de précieux documents touchant à l’histoire des USA. Face à eux, la sulfureuse Margot de Garine, une aventurière et voleuse sachant manier charmes et revolver ; dans ce nouvel et troisième opus, tous les protagonistes se retrouvent en territoire Navajo, occupés à décrypter le « Mystère de la femme-araignée »…
Genre d’extérieur basé sur la conquête du grand ouest américain, le Western aura su développer ses propres codes au cinéma comme en bande dessinée : qualifié de classique avec John Ford et « La Chevauchée Fantastique » (1939), le genre institue le duel entre bons et méchants jusque dans les années 1950. À cet Ouest manichéen, où l’armée américaine doit coloniser à tous prix les territoires Indiens afin que l’homme blanc s’y établisse, allait succéder dans les années 1960 un univers plus âpre, cynique, sale et violent, ampli d’antihéros toujours prêts à enfreindre la loi et de femmes moins distinguées. Le western spaghetti selon Sergio Leone (« Il était une fois dans l’Ouest », 1968) ou Sergio Corbucci (« Django », 1968) mènera tout droit vers de grandes mutations réflexives, dont le western crépusculaire (« Impitoyable » de Clint Eastwood, 1992), mais aussi la reconnaissance des civilisations amérindiennes (« Danse avec les loups » par Kevin Costner en 1990). Transmué en bande dessinée, le western aura suivi globalement le même cheminement du côté franco-belge : de « Jerry Spring » (Jijé, 1955) à « Durango » (Swolfs, 1981) en passant par « Blueberry » (Charlier et Giraud, 1965), «Comanche » (Greg et Hermann, 1972), « Lucky Luke » (Morris, 1949), « Les Tuniques Bleues » (Cauvin, Salverius et Lambil, 1972) ou « Yakari » (Job et Derib, 1973), sans compter les plus récents « Bouncer » (Jodorowsky et Boucq, 2001), « Gus » (Blain, 2007) ou « Texas CowBoys » (Trondheim et Bonhomme, 2011).
Cette longue digression autour du genre westernien nous permettra d’affirmer que la trame de « L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu » s’abreuve à ces différentes sources, oscillant sans cesse entre situations burlesques et duels sauvages, mythe américain et parodie effrénée. Fortune, honneur et vengeance sont les trois maîtres-mots de la série, qui décline ces variations – en fonction de sous-genres – à l’aune des titres de chacun des albums : voir ainsi la violence du western spaghetti ramené au monde mexicain dans le calembouresque « Chili con Carnage », titre pas si éloigné dans l’esprit de westerns tels « Le Temps du massacre » (S. Fulci, 1966) ; l’hommage au classicisme avec « Sur la piste de Madison » (« Sur la piste de l’Oregon » par W. Beaudine en 1956, « Sur la piste des Comanches » par G. Douglas en 1958) ; la déclinaison à la manière du serial d’antan ou de la serie B, enfin, avec l’actuel « « Mystère de la femme-araignée » : citons comme références la série tv « Les Mystères de l’Ouest », diffusée de 1965 à 1969 sur CBS, mais aussi cet album de la série « Jonathan Cartland » (par Laurence Harlé et Michel Blanc-Dumont) intitulé « Le Trésor de la femme araignée », publié par Dargaud en 1978.
En couverture, les auteurs déclinent depuis le tome 1 une même scène insolite : soit l’un des principaux protagonistes (l’avocat de Los Angeles Byron Peck), négligemment occupé par une activité de salon (boire le thé, s’enthousiasmer après avoir récupéré de précieux documents historiques ou se reposer), sans se soucier le moins du monde de l’action guerrière qui se déroule avec fureur en arrière-plan. Ce contraste amuse et étonne : l’homme est il purement inconscient, sourd et aveugle, ou obnubilé par son propre intérêt ? Premier et second plans sont-ils dans le même espace-temps ou s’agit-il d’un rêve, d’un raccourci graphique confrontant la nonchalance de cet antihéros désarmé à la réalité du terrain ? Et le lecteur de s’interroger, au fil des visuels proposés, sur la réalité suspecte de cet « homme qui n’aime pas les armes à feu » : ce titre évoque donc – dès le tome 1 comme piste scénaristique majeure – le fameux droit américain de posséder et porter une arme à feu, garanti depuis 1791 par le deuxième amendement de la constitution des États-Unis. Néanmoins, le titre qui désigne « l’homme » induit d’emblée un rapport de causes à effets entre l’humain et l’humanité, de fait incapable de réguler sa propre violence : bandits mexicains, combattants de la Guerre d’Indépendance (1775 – 1783) ou cavaliers de l’armée US semblent ici faire un usage incontrôlé de la force, semant la mort, la Guerre et la destruction génocidaire des peuplades autochtones. Aux pieds de notre protagoniste, cadavre, boulet de canon et flammes sont les preuves matérielles aussi tangibles qu’ironiques de ce manque de discernement…. ou de cet aveuglement volontaire, décrié tout au long de l’histoire américaine !
Car pour Byron Peck comme pour Margot de Garine, peu importe la méthode, seul compte le résultat. Et surtout le désir de quelques dollars… De plus.
« L’homme qui n’aime pas les armes à feu » est donc un titre parfaitement signifiant une fois placée en miroir de « L’homme qui tua Liberty Valance » (John Ford, 1962) : ici, dans l’Ouest, la légende publiée dépasse assurément, par son cynisme, la réalité – d’hier comme d’aujourd’hui – concernant l’épidermique question de la régulation des armes à feu.
Philippe TOMBLAINE
« L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu » par Paul Salomone et Wilfrid Lupano :
« T1 : Chili con Carnage » Éditions Delcourt – 1ère édition en 2011 (13,95 €) – ISBN : 978-2756018072
« T2 : Sur la piste de Madison » – 1ère édition en 2013 (13,95 €) – ISBN : 978-2756026466
« T3 : Le Mystère de la femme-araignée » (13,95 €) – ISBN : 978-2756033556
j’en ai l’eau à la bouche… à suivre