Un premier voyage dans les Terres australes et antarctiques françaises — retranscrit dans le très bel ouvrage « Voyages aux îles de la Désolation » — n’a pas rassasié le dessinateur Emmanuel Lepage (1) : 12 ans après, en 2022, il embarque à nouveau pour les îles Kerguelen. N’ayant pas pu, lors de sa première excursion, vivre au plus près le quotidien de tous ceux qui travaillent sur cet archipel au relief montagneux d’origine volcanique, situé au sud de l’océan Indien, il y reste cette fois-ci deux mois et demi : s’attachant donc plus aux personnes qui partent avec lui, tout en montrant les changements déjà à l’œuvre sur la nature, en raison du réchauffement climatique. Du beau, écologique et humaniste, voire quasiment poétique, récit de voyage en BD !
Lire la suite...« Little Tulip » par François Boucq et Jerome Charyn
Aussi formidable que cruelle, cette troisième et nouvelle collaboration entre le dessinateur français du « Bouncer » et un célèbre écrivain américain surtout connu pour ses polars (« Marilyn la dingue ») nous propose une passionnante allégorie (1) : le dessin par le dessin évoquant la vie d’un tatoueur russe exilé aux USA, après avoir vécu l’enfer dans un camp soviétique où il a été initié à cette discipline par un maître-tatoueur, alors qu’il n’était qu’enfant.
Tout commence à New York en 1970, où cet homme, marqué par des années d’emprisonnements, aide la police pour la confection de portraits-robots : quelques mots de la part d‘un témoin lui suffisent pour esquisser les traits des criminels recherchés !
Pourtant, il va avoir les plus grandes difficultés à représenter un violeur-égorgeur qui écume cette grosse pomme que Charyn, originaire du Bronx, connaît bien. L’enquête va alors le plonger dans son passé : son départ des États-Unis pour Moscou, en 1947, où ses parents vont être accusés d’espionnage par le gouvernement de Staline, et surtout sa déportation au camp du Goulag de la province de Kouma. Pour survivre, comme il est très doué pour le dessin, il va donc apprendre l’art du tatouage, se faire bien voir des tout-puissants chefs de gangs, avoir son propre emblème sur son corps (une petite tulipe) et tenter de sortir de cette situation invraisemblable et invivable.
Ces évènements épouvantables, tout en démesure, sont remarquablement mis en images, le dessinateur s’autorisant une noirceur et une férocité peu commune, à l’instar de cette scène de viols collectifs où il représente les fascinantes convulsions des corps tatoués, au premier plan : « La puissance du dessin permet d’aller dans l’incision du réalisme. Les formes se mêlent et se démêlent. Avec des tatouages dessinés, quelle est la réalité ? Celle des tatouages ? Des personnages ? » déclarera Boucq au journal Libération où « Little Tulip » a été prépublié cet été.
Véritable accélérateur de la narration et metteur en scène du simple synopsis proposé par Charyn, ce graphiste de génie (que ce soit dans l’humour ou le réalisme) est capable, comme son héros, de trouver tout de suite les images qu’il faut pour transformer au mieux les mots de l’écrivain américain : car finalement, dans cette histoire, tout se résout par le dessin !
Gilles RATIER
(1) Après « La Femme du magicien » et « Bouche du diable », deux albums mythiques qui viennent, justement, d’être réédités aux éditions du Lombard.
« Little Tulip » par François Boucq et Jerome Charyn
Éditions Le Lombard (16,45 €) – ISBN : 978-2-8036-3417-0













