Le premier tome de « L’Ombre des Lumières » sorti l’an passé (1) se terminait par le départ, en ce milieu du XVIIIe siècle, du malfaisant chevalier de Saint-Sauveur pour le Nouveau Monde. En effet, toutes ses intrigues se sont retournées contre lui ! Après avoir séduit et trompé la jeune Eunice de Clairefont éprise de la philosophie des Lumières, menacé de mort par son mari et criblé de dettes, Saint-Sauveur a été obligé de s’exiler. En débarquant à Québec, il ne désespère cependant pas de retrouver sa place à Versailles, d’autant plus qu’un de ses peu fréquentables amis lui a proposé d’effacer toutes ces dettes s’il accepte de réaliser une mission vengeresse qui va lui permettre de déployer ses funestes talents…
Lire la suite...« Little Tulip » par François Boucq et Jerome Charyn
Aussi formidable que cruelle, cette troisième et nouvelle collaboration entre le dessinateur français du « Bouncer » et un célèbre écrivain américain surtout connu pour ses polars (« Marilyn la dingue ») nous propose une passionnante allégorie (1) : le dessin par le dessin évoquant la vie d’un tatoueur russe exilé aux USA, après avoir vécu l’enfer dans un camp soviétique où il a été initié à cette discipline par un maître-tatoueur, alors qu’il n’était qu’enfant.
Tout commence à New York en 1970, où cet homme, marqué par des années d’emprisonnements, aide la police pour la confection de portraits-robots : quelques mots de la part d‘un témoin lui suffisent pour esquisser les traits des criminels recherchés ! Pourtant, il va avoir les plus grandes difficultés à représenter un violeur-égorgeur qui écume cette grosse pomme que Charyn, originaire du Bronx, connaît bien. L’enquête va alors le plonger dans son passé : son départ des États-Unis pour Moscou, en 1947, où ses parents vont être accusés d’espionnage par le gouvernement de Staline, et surtout sa déportation au camp du Goulag de la province de Kouma. Pour survivre, comme il est très doué pour le dessin, il va donc apprendre l’art du tatouage, se faire bien voir des tout-puissants chefs de gangs, avoir son propre emblème sur son corps (une petite tulipe) et tenter de sortir de cette situation invraisemblable et invivable.
Ces évènements épouvantables, tout en démesure, sont remarquablement mis en images, le dessinateur s’autorisant une noirceur et une férocité peu commune, à l’instar de cette scène de viols collectifs où il représente les fascinantes convulsions des corps tatoués, au premier plan : « La puissance du dessin permet d’aller dans l’incision du réalisme. Les formes se mêlent et se démêlent. Avec des tatouages dessinés, quelle est la réalité ? Celle des tatouages ? Des personnages ? » déclarera Boucq au journal Libération où « Little Tulip » a été prépublié cet été.
Véritable accélérateur de la narration et metteur en scène du simple synopsis proposé par Charyn, ce graphiste de génie (que ce soit dans l’humour ou le réalisme) est capable, comme son héros, de trouver tout de suite les images qu’il faut pour transformer au mieux les mots de l’écrivain américain : car finalement, dans cette histoire, tout se résout par le dessin !
Gilles RATIER
(1) Après « La Femme du magicien » et « Bouche du diable », deux albums mythiques qui viennent, justement, d’être réédités aux éditions du Lombard.
« Little Tulip » par François Boucq et Jerome Charyn
Éditions Le Lombard (16,45 €) – ISBN : 978-2-8036-3417-0