Même quand on est adulte, on aime lire les albums jeunesse scénarisés par Loïc Clément. Le récit est toujours surprenant, avec de l’action ou des thématiques traitées toujours profondes et intéressantes… Et pour agréger actions, personnages attachants et émotions, le scénariste n’oublie jamais d’ajouter une bonne dose d’humour. On retrouve tous ces ingrédients dans « Les Larmes du yôkaï » : une enquête policière amusée et amusante dans un Japon médiéval revisité.
Lire la suite...Le Grand Magazine de bande dessinée européenne : à l’origine était Zack !
Profitons du fait que les éditions Artège commencent à rééditer la série « Tony Stark » d’Édouard Aidans – voir « Tony Stark », enfant caché de Jean Van Hamme… — (1) pour nous appesantir un peu plus sur les journaux qui publièrent, en langue française, ces aventures écologiques et humanistes réalisées, à l’origine, pour le marché allemand : Super As ou Super J, des hebdomadaires sous-titrés Le Grand Magazine de bande dessinée européenne.
C’est dans un contexte de crise de la presse enfantine, le 13 février 1979, qu’apparaît le n° 1 de ces nouvelles revues de bandes dessinées intitulées aussi Zack en Allemagne et au Danemark, Wham ! aux Pays-Bas et Zoom en Finlande.
Malgré de nombreuses têtes d’affiche (« Blueberry », « Tanguy et Laverdure », « Barbe-Rouge », « Michel Vaillant », « Dan Cooper », « Jeremiah »…) et un large réseau de distribution, Super As ne vécut que le temps de quatre-vingt-sept parutions — jusqu’en octobre 1980 —, alors que Super J (vendu principalement par courtage) fusionnera avec Télé junior et se poursuivra jusqu’en septembre 1982.
Afin de connaître un peu mieux l’histoire de ce périodique qui se voulait révolutionnaire pour l’époque et qui avait, à juste titre, de nombreux atouts pour attirer l’amateur de bandes dessinées traditionnelles, remontons quelques années auparavant.
Car tout démarre à partir d’une expérience éditoriale allemande : l’hebdomadaire — puis bimensuel — de bandes dessinées Zack, édité par Koralle-Verlag, une filiale (dirigée par Ralf Kläsener) du puissant groupe de presse Axel Springer.
Le premier numéro, daté du 13 avril 1972, porte, en fait, le n° 17.
Ceci parce que l’éditeur souhaitait recommencer chaque année sa numérotation au n° 1 et cette date correspond, en fait, à la dix-septième semaine de 1972 : les n° 1 à 16 de 1972 n’ont, donc, jamais existé.
Zack cible un lectorat de jeunes garçons âgés de huit à quatorze ans et se contente, dans un premier temps, de traduire des séries franco-belges issues des magazines Tintin ou Pilote, en privilégiant l’aventure (« Michel Vaillant », « Luc Orient », « Bernard Prince », « Section R », « Blueberry », « Tanguy et Laverdure », « Howard Flynn », « Dani Futuro », « Comanche », « Jugurtha », « Bruno Brazil », « Ric Hochet », « Dan Cooper », « Les Franval », « Valérian », « Tounga », « Chevalier Ardent », « Ringo », « Barbe-Rouge », « Alain Chevallier », « Bob Morane », « Julie Wood », « Yalek »…), avec quand même une petite dose d’humour présente avec « Les Frères Bross », « Oumpah-Pah », « Max l’explorateur », « Taka Takata », « Pancho Bomba », « Benjamin », « Balthazar », « Strapontin », « Lucky Luke », « Cubitus », « Tintin », « Clifton », « La Tribu terrible », « Rataplan », « Charabia », « Les Cro-Magnons »… : toutes ces bandes dessinées étant proposées, la plupart du temps, à coups de grands chapitres concluant les traditionnelles histoires en quarante-quatre ou quarante-six pages en très peu de numéros.
Toutefois, à partir d’octobre, ce journal va tenter de s’alimenter avec d’autres sources en publiant le comic book « Star Trek » des éditions Gold Key. Adaptées de la série télévisée américaine par le dessinateur italien Alberto Giolitti et les scénaristes George Kashdan, Arnold Drake ou Len Wein, les planches de cette BD made in USA sont alors élargies et remontées.
C’est donc évident, le rédacteur en chef de Zack, Luigi « Gigi » Spina, ne veut pas se contenter de l’importation des bandes dessinées franco-belges.
D’autant plus que ce responsable d’origine italienne poursuit la diversification du sommaire de son magazine en traduisant aussi, à partir d’octobre 1973, des histoires pour la jeunesse publiées dans sa langue maternelle et issues de la revue catholique Il Giornalino, comme « Il Commissario Spada » de Gianni De Luca et Gianluigi Gonano, puis « Gli Aristocratici » (« Les Gentlemen ») de Ferdinando Tacconi et Alfredo Castelli (à partir de décembre 1973) et même le « Corto Maltese » d’Hugo Pratt (dès janvier 1974) ; ou encore « Bill Fracassa » rebaptisé « Bomm Giovanni » en décembre 1975 : une série de gags mettant en scène un cascadeur et qui fut créée, pour Il Giornalino, par les Belges Francis et Vicq.Le magazine accueille également les traductions d’une bande humoristique de l’Espagnol Roberto Segura (« Kalle, der Schiffsjunge », en 1973) ou du classique « Prince Valiant » de l’Américain Harold Foster (en 1975) et profite, par ailleurs, de la fusion des périodiques néerlandais Sjors et Pep en Eppo pour accueillir, dès le mois de mai 1974, l’amusant Brammetje Bram, le petit mousse d’un navire-pirate.
Rebaptisée « Pittje Pit » dans Zack, cette série due au Flamand Eddy Ryssack a été créée pour Sjors en 1970. En France, on la découvrira sous le titre de « Brieuc Briand » (en 1976, chez Espace éditions) et, ensuite, de « Colin Colas » dans Super As ; différents scénaristes comme Yvan Delporte, Michel Noiret, Bakker, Frans Buissink, Alexander (Gerd Von Hassler), Piet-Hein Broenland, Peter Rosa ou Ryssack lui-même se succédant en ce qui concerne l’écriture des textes.
Par ailleurs, dès sa deuxième année d’existence, Zack va aussi produire ses propres titres. Constatant que les rapports entre le dessinateur Albert Weinberg (voir Les coups de main d’Albert Weinberg) et Greg, alors rédacteur en chef du journal Tintin depuis 1965, se révèlent de plus en plus compliqués, l’agent Jack (ou Joseph de son vrai prénom) De Kezel — un Belge qui s’occupait de la commercialisation des droits de ces différentes bandes dessinées sur l’ensemble de l’Europe — propose au créateur de « Dan Cooper » un transfuge de cette série dans Zack, dès 1972.
Ainsi, Weinberg va-t-il réaliser, pour le magazine allemand (à partir du n° 4 du 18 janvier 1973), quelques histoires inédites avec son aviateur canadien : elles seront tout de même traduites en langue française dans Tintin version française (en 1977) et dans Super As (entre 1979 et 1981), comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article.
Dans la foulée, les responsables de Zack, demande à Weinberg de réutiliser le thème de l’une de ses anciennes séries (« Les Aquanautes ») pour une nouvelle bande dessinée qui va s’intituler « Barracuda » : des aventures archéologiques sous-marines publiées entre juin 1973 et 1975 et qui seront également traduites dans la version française de Tintin (en 1977) et dans Super As (en 1979).
L’autre importante création suivra en août 1973 : il s’agit de « Turi und Tolk » concoctée par l’auteur autochtone Dieter Kalenbach. Né à Düsseldorf le 29 août 1937, ce graphiste qui a suivi ses études à Hambourg a longtemps travaillé en free-lance pour la télévision et le théâtre, réalisant de nombreux voyages qui l’ont souvent conduit en Scandinavie et surtout en Laponie. C’est ainsi que, inspiré par ces pérégrinations, il propose, dans Zack, les aventures d’un jeune Lapon (Turi) et de son aigle apprivoisé (Tolk).
Grâce à un trait réaliste et dynamique, proche de celui d’Hermann, la série obtint un certain succès et durera jusqu’en 1980. Par la suite, à l’occasion du centenaire de la naissance d’Adolf Hitler, en 1989, Dieter Kalenbach dessinera aussi une biographie didactique du dictateur en deux volumes (d’après des textes et une idée de Friedemann Bedürftig). Aujourd’hui, il est surtout connu pour son travail dans la publicité (IKEA, Esso…) et pour ses dessins de la nature et de la faune scandinave.
Comme Zack commence à se faire une certaine réputation dans le petit monde de la bande dessinée de l’époque et que Gigi Spina entretient d’excellents contacts avec nombre d’illustrateurs franco-belges influents de cette période (Morris, Hermann, Jean Giraud, Raymond Reding, Édouard Aidans, Albert Weinberg et bien d’autres), ce dernier, soutenu par son éditeur gestionnaire Ralf Kläsener, continue de développer les créations : outre la série écologique « Tony Stark » (publiée à partir de 1975 sur scénario de Jean-Charles Francotte, puis de Jean Van Hamme) que nous avons déjà évoquée, citons aussi le footballeur Kai Falke créé par Reding et sa fidèle collaboratrice Françoise Hugues, laquelle assumait aussi bien les décors, l’encrage, le lettrage que les couleurs.
Cette série sportive, publiée dans Zack dès le mois de juin 1974, sera rebaptisée « Ronnie Hansen » dans Wham et « Éric Castel » quand elle débarquera dans Super As ou Super J pour les lecteurs francophones.
Seulement voilà , la création coûte cher et pour ne rien arranger, le magazine perd de plus en plus de lecteurs, passant de 200 000 ventes par numéro à seulement 50 000 en deux ans (2). Zack va devoir alors réduire ses prétentions, se transformant en bimensuel à partir du n° 41 du 3 octobre 1974.
Pour pouvoir remettre sur de meilleurs rails son magazine dont certains numéros doubles sont désormais intitulés Super Zack, l’éditeur Axel Springer demande de l’aide à son ami et ancien collègue Rolk Kauka, lequel avait récemment vendu sa maison d’édition. Kauka s’en remet à son bras droit Peter Wiechmann qui essaye de réformer Zack, mais qui se révèle très vite incapable de faire face à la crise.
Finalement, ce dernier ne proposera que l’intégration de séries internationales déjà publiées et amorties par le groupe Kauka, à partir d’octobre 1975 ; comme « Kung Fu » de Martin Asbury, « Manila » d’Enric Badia Romero et Peter Wiechmann, « Andrax » de Jordi Bernet et Miguel Cussó, « San Tomato » d’Angel Nadal, « Capitan Terror » d’Esteban Maroto (puis Ramón Sola ou Josep Gual) et Peter Wiechmann, « Mondbasis Alpha 1 » de José Maria Cardona Blasi et Farinas ou « Die Pichelsteiner » de Riccardo Rinaldi.
Ceci jusqu’à la fin de l’année 1977 où le gestionnaire Ralf Kläsener reprend les rênes de l’édition de Zack, s’appuyant sur les connaissances de l’agent Joseph [dit Jack] De Kezel. Il revient désormais aux fondamentaux Franco-belges des premiers numéros : ce qui permet de donner un léger sursaut au magazine, lequel remonte un peu au niveau des ventes qui se situent maintenant aux alentours des 60 000 exemplaires. C’est alors que l’équipe de nouveau en place se demande s’il n’y aurait pas moyen de créer un journal avec les meilleures bandes dessinées pour enfants du moment, qu’ils ont déjà à leur disposition, en le diffusant le plan européen ?                                                            À suivre…      Â
Gilles RATIER
(1) Éditeur de spiritualité, jeunesse et histoire, Artège tente de développer, depuis quelques années, un secteur bandes dessinées sous l’égide de Jean-François Vivier, un passionné du 9e art.
Après des débuts un peu laborieux, le directeur de cette collection, encouragé par le succès relatif de la série « Les Familius » de Nicolas Doucet (déjà 11 000 exemplaires vendus du premier tome, alors que le septième volume est prévu dans le courant de l’année), va continuer d’axer son travail sur les rééditions (notamment les BD trop méconnues de Marijac), la jeunesse et la BD historique de création. Sont annoncés pour 2015 : « Histoire des Bénédictins » illustré par Hugo Hallé et Thibault Nève sur un scénario de Laurent Bidot, « Herr Doctor » T1 par Régis Parenteau-Denoël et « Premier de cordée » (adaptation du roman de Roger Frison-Roche) par Pierre-Emmanuel Dequest.
Quant à « Tony Stark » (série qui n’a rien à voir avec « Iron Man », voir « Tony Stark », enfant caché de Jean Van Hamme…), on nous en promet la suite pour très bientôt, à raison de deux opus par an ; le prochain étant « Opération Jonas » – il s’agit du septième épisode sur le plan chronologique. et le cinquième écrit par Jean Van Hamme – après la parution récente du « Lion d’un million » qui est, en fait, la troisième aventure de Tony Stark et la deuxième scénarisée anonymement par Van Hamme.
(2) À ces chiffres hebdomadaires qui feraient aujourd’hui rêver n’importe quel éditeur, il faut rajouter aussi les ventes des albums de « Michel Vaillant », « Oumpah-Pah », « Lucky Luke », « Blueberry », « Bernard Prince », « Star Trek », « Dan Cooper », « Bruno Brazil », « Tanguy et Laverdure », « Luc Orient », « Ric Hochet », « La Tribu terrible », « Kung Fu », « Capitan Terror », « Moonbase Alpha 1 », « Cubitus » ou « Gli Aristocratici » édités en langue allemande par Koralle-Verlag.
Mais aussi les bénéfices réalisés par le pocket Zack Parade : quarante-quatre numéros de petit format publiés entre mai 1973 et 1981.
Ces derniers reprenaient des récits complets avec les héros du journal (issus des magazines de poche Tintin sélection ou Super Pocket Pilote), ainsi que certains inédits de « Turi et Tolk », « Pittje Pit », « Barracuda » et « Tony Stark », ou encore des séries publiées à l’origine par le groupe de Rolk Kauka.
J’avais acheté Super AS dès le numéro un et j’avais adoré car il y avait dans ce numéro Tanguy et Laverdure, Michel vaillant et Blueberry par exemple? J’aimais le rythme de 4 à 8 planches par semaine. Le rythme était important et je comprends pourquoi il y avait du Eric Castel et du Tony Stark presque à chaque numéro, car ces épisodes avaient été publiés quelques années auparavant. Je pensais que Aidans dessinait 5 planches par semaine !
J’ai arrêté un peu avant la fin… Le problème venait que si on aimait pas une série on se désintéressait du magazine… Tandis qu’un Spirou proposait au moins dix séries par semaines avec plus de chance de plaire.
Par contre Michel vaillant c’était un rythme de 3 albums par an, alors nous avions droit a des planches a 6 cases assez bâclées en fait…Ce n’était pas et de loin la merveilleuse période de Vaillant des années 60, ni pour Barbe Rouge d’ailleurs… Tony Stark était sympa…
Beau dossier qui m’a rappelé des souvenirs !
Très intéressant article. Vivement la deuxième partie. C’est passionnant d’en apprendre plus sur les coulisses de la BD belgo-française (et européenne) durant une période finalement assez peu documentée. Quand on parle des années 1970, c’est presque toujours pour se concentrer sur Pilote et l’explosion de la BD adulte, rarement pour parler de la presse jeunesse.
Jean-Paul Jennequin
Et oui, Monsieur Jennequin, il est toujours réconfortant de se replonger dans la bonne BD traditionnelle européenne. Ce sont des histoires palpitantes (quoique avec un peu trop de footballeurs et de pilote de chasse à mon goût) tout public. Pas mal de dessinateurs débutants de la BD indé à rendance nombriliste « artie » foutraque devraient en imiter les planches, pour améliorer leur technique.
Ping : Neorama dos Quadrinhos 1.099, de Marko Ajdarić | Neorama2's Blog
C’est formidable de lire enfin un article sur Zack. Je me suis retrouvé lecteur de la version française de ce magazine contre mon gré puisque j’étais abonné à Junior et que, sans avertissement, j’ai reçu Super J dès son numéro 1 (J’espère que vous nous offrirez un article sur Junior un jour d’ailleurs). Après une période de frustration j’ai été fasciné par le projet européen de Koralle Hambourg mais je n’ai jamais compris comment s’était passé la fin de l’histoire. J’attends donc impatiemment la seconde partie de votre article.
Quand à SuperJ, apès l’étrange épisodeTéléJunior, je me suis retrouvé à nouveau brutalement lecteur d’un nouveau journal, Donald Magazine… peut être encore une autre histoire
Hello Frédéric et merci pour votre contribution.
Le dossier étant finalement plus imposant que prévu (et mon temps libre de plus en plus rétréci), il y aura 3 parties ! Vous ne saurez donc le fin mot de l’histoire que dans la 3ème partie…
Bien cordialement
Gilles Ratier
Eric Castel fut utilisé pour faire du remplissage dans Extra n°0 projet avorté de J.MCharlier pour Bayard presse en Juillet 1982
Merci de tes précisions !
La bise et l’amitié
Gilles