C’est avec exigence qu’Emmanuel Moynot construit, depuis une quarantaine d’années, une riche carrière où se côtoient des albums classiques (sa reprise de « Nestor Burma », par exemple) et des one-shots aux motivations plus ambitieuses, tel le présent album. Un polar noir et cynique où il établit avec force détails le parallélisme entre le quotidien des babouins africains et le comportement parfois violent de certains individus de notre monde contemporain.
Lire la suite...Bravo pour l’aventure !
L’Américain Alex Toth (1928-2006) est reconnu comme l’un des artistes les plus influents du 9e art. À l’instar de Carmine Infantino et de Joe Kubert, sa maîtrise décisive du découpage, du design et de l’abstraction, en ont fait un auteur majeur des comic books, média dans lequel il a su incorporer les découvertes graphiques des grands illustrateurs (celles concernant la composition de talents aussi reconnus que Norman Rockwell, Joseph Christian Leyendecker…) et les noirs et blancs définitifs des géants du comic strip (Noel Sickles, Milton Caniff, Frank Robbins…). Ce mois-ci, les éditions américaines IDW ont exhumé « Bravo for Adventure » dans une édition de luxe, aussi exhaustive que magnifique. Exprimant pleinement le talent de Toth, « Bravo for Adventure » fait figure d’œuvre maudite, en raison de ses difficultés à trouver un éditeur et un public. Une histoire malheureuse, malgré un album paru en France au début des années 1980.
Tous les fans de comic books connaissent ou devraient connaître Alex Toth, dessinateur, designer de comic book et de cartoon.
Originaire de New York, où il a fait ses armes chez DC pendant le Golden Age (« Green Lantern », « The Atom », « Flash », « Justice Society of America »…), Toth migre en 1956 en Californie, après son service militaire.
Là, il oscillera sans cesse entre les maisons d’édition de comics et les sociétés de dessins animés.
Chez Dell, il devient directeur artistique et réalise les aventures de Zorro (après la sortie de la série télé Disney).
Il travaille ensuite pour Warren (Creepy, Eerie, Blazing Combat…), puis DC où il dessine de superbes histoires de guerre dans Our Army at War, Our Fighting Forces…
Il invente de nombreux personnages et décors pour les dessins animés « Space Ghost », « Fantastic Four », « Super Friends » chezHanna Barbera.
Aussi curieux que cela paraisse, l’aventure « Bravo » commence en France…
En 1973, Toth est contacté par Jean-Pierre Dionnet (déjà fin spécialiste des comics qu’il chronique avec talent dans la revue Phénix).
Celui-ci, avec Bernard Farkas (le futur comptable des Humanoïdes associés, voir interview : Du Métal sonnant et trébuchant : entretien avec Bernard Farkas), travaille pour Fernand Nathan.
Le vénérable éditeur s’est frileusement ouvert à la BD dès la fin des années 1960.
En 1973, il a refusé à Dionnet un projet de magazine BD adulte, Snark (réunissant le top de la BD de l’époque : Moebius, Jean-Marc Loro, Jacques Tardi, Nicollet, René Pétillon, Jean-Claude Gal, Annie Goetzinger, Yves Got, Jean-Jacques Loup, etc.) et annonçant Métal hurlant.
Malgré tout, l’éditeur s’est lancé dans la réalisation d’albums plus classiques : « Tiriel » de Dionnet et Raymond Poïvet, « Robin des bois », « Michel Strogoff », « Le Tour du monde en 80 jours », « L’Île au trésor », « La Flèche noire » de Ramon de la Fuente, « Les Trois Mousquetaires » de Michel Lacroix…
Dionnet et Farkas commandent donc une nouvelle série à Toth, lui donnant carte blanche sur sa thématique.
L’Américain opte pour l’aventure rétro façon pulp, avec un héros aux faux airs d’Errol Flynn, dans le milieu de l’aviation à Hollywood (bien avant le retour en grâce de ce sous-genre avec Indiana Jones et le Rocketeer).
Un contexte dont saura d’ailleurs se souvenir Joe Kubert dans « Radix Malorum », son deuxième graphic novel d’« Abraham Stone » (Epic Comics, 1995).
Toth s’y investit totalement, effectuant de nombreuses recherches, déchirant les planches qui ne le satisfont pas (une sur trois selon ses dires) et redessinant encore.
L’aventure s’achève après un an et 48 pages aussi magnifiques que haletantes, mises en couleur par l’éditeur.
Peut-être, le grand format des albums BD, trop proche des autres livres illustrés de l’éditeur, a-t-il joué en la défaveur de cette collection difficilement identifiable sur les étals des libraires ?
« Bravo » est donc déprogrammé, au grand dam de son créateur.
Après quatre années de limbes, Toth parvient malgré tout à placer l’album chez Warren, dans The Rookn° 3 et 4 (juin et août 1980).
Dans la foulée, un album sort miraculeusement en France chez Futuropolis en 1981, sous l’insistance de l’indispensable Fershid Bharucha.
Entre-temps, Toth n’a pas lâché l’affaire ; il a développé son personnage, réalisant des illustrations et deux histoires courtes supplémentaires (publiées dans le magazine Voyages 1 de Howard Feltman, juin 1983).
Un premier segment de l’album est édité par Galaxy Comics en 1985, colorié par Toth lui-même, mais la société fait faillite. L’ensemble des histoires sera également repris en 1987 en noir et blanc au Canada chez Dragon Lady Press.
Comme à son habitude, IDW (1) a parfaitement mené à bien le projet, en collaboration avec les enfants de l’artiste. L’édition est remarquable en tous points : une intégrale en grand format, avec les deux petites histoires inédites en France, les illustrations et un cahier couleur reprenant les planches colorisées pour Fernand Nathan et par Toth lui-même (ISBN : 13-978-1631403507, 35 $).
De quoi faire enfin découvrir au grand public ce chef-d’œuvre de la BD, injustement ignoré en son temps. Montez à bord du biplan de Jesse Bravo. L’aventure est au rendez-vous !
Jean DEPELLEY
(1)IDW est l’éditeur des formidables Artist’s Editions, publiant au format d’origine les planches originales des meilleurs épisodes de comics dus à Jack Kirby, Will Eisner, Jim Steranko, John Romita, John Buscema, Harvey Kurtzman, Joe Kubert, Walter Simonson, Frank Miller, Mark Schultz, Mike Mignola… IDW publie également les indispensables catalogues des expositions John Buscema, Wally Wood et Russ Heath de Casal Solleric à Palma (Espagne) réalisées par Florentino Flores & Frédéric Manzano.
Une édition française pour le mois d’avril 2018.