La poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) est manifestement intrigante. Elle n’a été reconnue comme écrivaine qu’après sa mort, sa sœur découvrant alors 1 775 poèmes qu’elle avait écrits. Cette femme de bonne famille, solitaire, indépendante, insoumise et passionnée par les mots l’était aussi par les plantes et le monde sensible qui l’entourait, comme le montre joliment « Le Jardin d’Emily » de Lydia Corry.
Lire la suite...Disparition de Benoît Gillain…
Mais ce n’est pas vrai ! Hélas, si. Benoît Gillain, le fils aîné de Jijé, nous a quittés. Le 12 octobre dernier. En toute discrétion. Je n’ai appris la nouvelle qu’en fin de semaine dernière. Tandis que Gilles Ratier et moi-même préparions un dossier pour la sixième intégrale « Tanguy et Laverdure », à paraître chez Dargaud en novembre prochain, j’avais eu le plaisir de l’interviewer à son domicile parisien. C’était en mai dernier. C’était hier…
Nous avions passé ensemble deux formidables journées. La première à évoquer son père Joseph, Jean-Michel Charlier et Guy Mouminoux. À raconter sa solide amitié avec Jean-Claude Mézières et Jean Giraud, ses potes de jeunesse. Benoît n’était pas avare d’anecdotes truculentes. La seconde journée, nous l’avions passée à trier des photos et des documents peu connus. Sur la photo de Une, Benoît Gillain, penché sur sa table à dessin et alors âgé d’une vingtaine d’années, cherche l’inspiration…
Né à Dinant, en Belgique, le 30 août 1938, Benoît Gillain avait tout appris de son père. L’essentiel du moins. Comment faire un sifflet avec une branche de coudrier, comment construire une cabane ? Comment dessiner, aussi ? Lorsqu’il avait annoncé à son père, un peu bravache, vers 14 ou 15 ans, qu’il désirait arrêter ses cours à Cannes — la famille habitait alors au Cap d’Antibes —, Jijé lui avait dit : « Bon, tu n’y vas plus ! »Pas question pourtant de rester sans rien faire. Pas trop le genre de la maison.
Il s’était vu confier quelques encrages de « Blondin et Cirage » : « Le premier boulot que j’ai fait pour lui, il me mettait une croix dans les espaces que je devais noircir et je faisais comme ça toutes les surfaces des costumes, des décors, etc. » ; des lettrages inspirés des typographies de « Steve Canyon » de Milton Caniff et de « Terry and the Pirates » de George Wunder, et des indications de couleurs au dos des planches, comme cela se faisait à l’époque.
En 1948, toute la famille Gillain décide d’émigrer aux États-Unis. La grande aventure ! Franquin et Morris les accompagnent un temps. Benoît a alors tout juste dix ans et gardera un souvenir émerveillé du périple : « Nous sommes partis de Rotterdam, à bord du Nieuw Amsterdam. Direction New York. La traversée a duré cinq ou six jours. Ça allait assez vite à l’époque. Arrivés à New York, nous sommes partis vers Los Angeles, pensant que c’était là que tout se passait dans la bande dessinée. Quand nous nous sommes aperçus de notre erreur, nous sommes allés au Mexique, à Tijuana. Après, nous avons fait le trajet jusqu’à Laredo, au Texas. Nous nous sommes ensuite retrouvés à Mexico, puis sommes partis à Cuernavaca, à une centaine de kilomètres de là. À un moment, nous nous sommes fait virer du Mexique, parce que nous ne voulions pas graisser la patte de fonctionnaires. New York étant trop chère pour nous, nous nous sommes installés dans le Connecticut. »
Âgé d’une vingtaine d’années, Benoît Gillain commence à publier ses premiers dessins qu’il crédite de son simple prénom. Dans le journal Spirou, notamment avec « Joseph l’inventeur », clin d’œil explicite à la fantaisie inventive de son père. Ou bien encore dans Panorama chrétien, l’ancêtre de Télérama, où il crée « Bouby », un personnage ressemblant un peu au « Petit Nicolas » de Sempé. René Goscinny lui en écrira d’ailleurs quelques gags. Le scénariste et lui se sont rencontrés quelques années plus tôt aux États-Unis : « Bien qu’habitant New York, René venait nous voir à Wilton, dans le Connecticut. Chez mes parents, c’était vraiment maison ouverte ».
Quand la famille Jijé pose ses valises à Champrosay, un hameau de Draveil, en banlieue parisienne, Benoît assiste aux premières visites de Jean-Claude Mézières, de Pat Mallet ou de Jean Giraud.
C’est ce dernier, d’ailleurs, qui lui refile son premier job publicitaire via l’agence Dorland, sur l’avenue des Champs-Élysées.
Procter & Gamble, une firme américaine spécialisée dans les produits ménagers, lui demande ensuite de peaufiner un petit personnage censé incarner une de leurs lessives…
Ce sera Bonus-Boy — rebaptisé très vite Bonux-Boy —, décliné sous la forme de petits fascicules offerts en cadeau. Benoît Gillain en assure aussi leur direction artistique.
Outre ses dessins, ceux de son père, on peut y découvrir des récits complets de Bara, de Will, de Peyo, de René Follet, de Jidéhem, de Mouminoux, de Giraud, de Rosy, de Herbert ou de François Craenhals. Excusez du peu.
« Pour moi, c’était normal, c’étaient tous des copains. Jean-Claude Mézières travaillait avec moi. J’avais une boîte qui s’appelait P É G (Productions éditions graphiques), au 60, avenue d’Iéna. Pour m’amuser, je les appelais parfois les Petites Éditions Gillain. À un moment, vers 1964 ou 1965, Jean-Claude m’a fait part de son intention de partir aux États-Unis, de découvrir l’Ouest, l’univers des cow-boys, tout ça. Quand il est revenu, nous avons démarré Total-Journal, distribué dans les stations-service du groupe. Très vite, c’est lui qui s’en est occupé avec Pierre Christin. »
Benoît Gillain s’éloigne ensuite de la bande dessinée et s’oriente vers d’autres créneaux publicitaires, travaillant pour des produits de luxe comme Lanvin ou bien encore pour Legrand, spécialisé dans l’appareillage électrique.
Il se charge de redéfinir les conditionnements, assure d’élégantes mises en pages. Ces derniers temps, il prodiguait d’ailleurs ses conseils à François Deneyer qui nous prépare une belle monographie consacrée à Jijé.
Lorsque nous nous étions vus chez lui, Benoît Gillain m’avait aussi montré quelques peintures et sculptures de son père… dont une datant de 1943, le représentant à genoux, l’air très sage. Pas sûr qu’il ait apprécié plus que cela, à l’époque, prendre la pause sans bouger.
Au moment de nous séparer, Benoît m’avait désigné une dernière petite toile : « C’est Annie, ma maman. Elle est belle, hein ! Mon père l’a peinte en 1938, l’année de ma naissance. Je tiens à ce tableau comme à la prunelle de mes yeux ! »
Mes pensées les plus respectueuses, les plus affectueuses, vont bien évidemment à la famille Gillain et à ses proches. Merci, Benoît !
Patrick GAUMER
La plupart des visuels illustrant cet article nous ont été confiés par Benoît Gillain ou proviennent de collections particulières. La photo avec la famille Gillain, De Roeck et Will est © Famille Maltaite.
Triste nouvelle !
Un acteur discret et talentueux de la haute époque s’en va.
Il est heureux que son précieux témoignage ait été recueilli, et que les contacts conservés avec les historiens du genre aient enrichi notre connaissance. Merci à Patrick Gaumer en particulier, pour cette relation vivante et imagée.
Je lirai avec grand intérêt le futur livre de François Deneyer.
Encore une page de ma mémoire qui se tourne…une de plus dans mes souvenirs d’enfants !
c’est un témoin de l’histoire de la bande dessinée qui s’éteint… Il avait lui-même réalisé beaucoup de planches, je ne le savais pas. Il serait intéressant d’avoir des articles sur Bonux-boy.
J’ai une question : vous m’apprenez que Goscinny a écrit quelques planches de Bouby ; auriez-vous des précisions à ce sujet (nombre de planches écrites, détails sur la collaboration…) ? Merci ! Je suis grand amateur de l’oeuvre de René Goscinny et je ne connaissais pas cette oeuvre.
Bonjour cher Patrick Gaumer
Je suis un fan du Journal Spirou des années 50 et 60 et notamment de tout ce que JIJE a dessiné comme BD.
Merci pour votre superbe article concernant son fils Benoît.
Je me suis procuré le beau livre de François Deneyer intitulé « Quand Gillain raconte Jijé » et j’attends donc maintenant avec impatience le nouvel ouvrage de François Deneyer sur Jijé !
Avez-vous une idée de quand son nouvel ouvrage pourrait paraître ?
Bien cordialement
Henri Gonse
Bonjour,
Merci de vos commentaires,
J’attends moi aussi avec impatience le prochain ouvrage de François Deneyer, mais n’ai pas, pour l’heure, plus d’information. En ce qui concerne « Bouby », le regretté Jacques Dutrey précisait dans sa biographie de Jijé parue dans Hop ! n° 40 (p. 51) : « série parfois signée Benoît, une quarantaine de planches du 3e trimestre 1959 au 3e trimestre 1961 ». Hop ! en reprend d’ailleurs une planche (p. 39).
En réalité, Benoît Gillain commence vraisemblablement ces gags dès 1958 et les poursuivra jusqu’en 1964. Son père en dessinera quelques pages, créditées JGillain. Comme souvent à l’époque, il n’est pas fait mention du scénariste, mais Benoît m’avait souligné la similitude avec le Petit Nicolas de Sempé, à tel point d’ailleurs que René Goscinny, travaillant en parallèle sur les deux personnages, avait une fois, par mégarde, interverti les textes des deux séries lors d’un envoi postal.
À la fin des années 1990, en fouillant dans les archives d’Anne Goscinny, j’avais eu la surprise de tomber sur un dossier titré « Bobby », composé non pas de scénarios BD mais de textes illustrés. Je ne suis pas sûr qu’il y ait un rapport avec « Bouby », mais la ressemblance avec les textes illustrés du Petit Nicolas — ici, un lycéen s’exprimant à la première personne — sautait, elle, aux yeux. Un premier texte, resté inédit, présentait le fameux Robert, dit Bobby ou Bob. Un deuxième récit, « Bobby au Salon de la maquette et du modèle réduit », était pour sa part décliné en deux versions. Une première, inédite, et une deuxième qui sera finalement publiée dans Jours de France n° 311 du 29 octobre 1960, agrémentée de trois illustrations de Coq. Le « Magazine de l’actualité heureuse des célébrités » (si, si, il était vraiment sous-titré comme ça !) enchaîne dans ses nos 312 et 313 des 5 et 12 novembre 1960, « Bobby et la prévention routière » et « Bobby au Salon de l’enfance », avec cette fois, dans les deux cas, la reprise d’une illustration de Coq.
Très cordialement,
Patrick Gaumer
L’ouvrage biographique sur Jijé est terminé et prévu pour le printemps prochain. François Deneyer vient de le soumettre à la famille pour examen mais on gage qu’il sera très peu corrigé tellement l’auteur semble documenté sur le sujet et très pointilleux quant aux faits historiques et aux témoignages recueillis avec beaucoup de professionnalisme. Est-ce un plus ou un moins le fait qu’il ne l’ait jamais rencontré? Ce sera à la famille proche à juger, mais pour ma part je n’ai guère de crainte.
Aucune crainte non plus sur la qualité du travail de François Deneyer. Merci pour ce partage,
Bien cordialement,
PG
L’envol de mon cousin Benoît m’a abasourdi! Nous avions, juste avant, repris contact et à cette occasion je lui avais envoyé des photos familiales qu’il ne connaissait pas, de même qu’un long texte (326 pages) agrémenté de photos sur la saga familiale depuis ses origines, qu’il avait entrepris de corriger avec une mise en page professionnelle. Le veille de sa disparition, il m’avait envoyé les premières pages. Je me suis retrouvé avec un bébé orphelin dès sa naissance. François Deneyer a pris le relais pour les corrections sans toutefois toucher à la mise en page. Benoît semblait passionné par cette dernière entreprise. J’ai imprimé pour lui rendre hommage. C’est surtout grâce aux archives de mon papa, Henry, alias Jean Darc (Champignac) et Luc Bermar (Tif et Tondu) que j’ai pu trouver de la « matière ».
Merci pour votre témoignage, Luc.
Bien cordialement
La rédaction
Bonjour Luc,
Je vous remercie également pour votre témoignage. La dernière fois que j’ai discuté avec votre cousin, il m’avait parlé de ce beau livre qu’il préparait avec François Deneyer. J’espère beaucoup le lire un jour,
Bien cordialement,
Patrick Gaumer
Triste nouvelle, c’est aussi une partie de mon enfance qui s’en va, j’ai peu connu Benoît , du temps où il habitait une maison sur le même terrain que l’orangerie de ses parents, j’étais surtout lié à Laurent, le dernier enfant Gillain.
La famille Gillain était dans son ensemble une famille extraordianaire, pour laquelle je nourris toujours autant d’affection.