RIP Bernie Wrightson (1948-2017)…

C’est le dessinateur de « Fox-Boy », Laurent Lefeuvre, qui nous l’annonce : « Mon idole de toujours, le dessinateur, scénariste et illustrateur Bernie Wrightson, nous a quittés avant-hier, à l’âge de 68 ans. » Il nous en dit plus ici…

Il y a pile un an, j’ai longuement hésité à lui dédier mon dernier album, « Fox-Boy » T2, car la première histoire, « Le Mal loup » était pour moi un prétexte pour laisser libre-cours à mon inspiration wrightsonnienne. Et puis j’ai trouvé ça prétentieux.

Ma rencontre avec ses dessins remonte à 1987, année où, à la bibliothèque municipale, je suis tombé sur « L’Année du loup-garou » et « Le Fléau » : deux bouquins de Stephen King illustrés par un certain Bernie Wrightson. Le mois suivant, les éditions Lug lâchaient « Hulk et la Chose » : album où les deux figures grotesques de Marvel se rencontraient.

Puis je dévorais le Batman « The Cult », chez Comics USA, en 1989 : on ne rendra d’ailleurs jamais assez hommage au travail de Fershid Bharucha et de Jean-Pierre Dionnet pour avoir donné, aux œuvres de Bernie, la France comme deuxième famille.

Planche originale de « The Cult ».

Le virus était inoculé jusqu’au fond des tripes. Instantanément. Définitivement. Jusque dans les allées d’une décharge… Ne me demandez pas comment je me suis retrouvé là ! Imaginez des vacances dans le Morbihan, pas si éloignées que ça des escapades de Tom Sawyer, à moins que ce soit le Fakir Dotki qui ait guidé mes pas, comment savoir ? C’était au crépuscule. Mon regard fut attiré par une pile de magazines posée là. Il y avait les premiers numéros de L’Écran fantastique, un Strange de la France de Pompidou (le 70, sans couverture)… et L’Écho des savanes Spécial USA 25 ! Une pure merveille ! Sous une couverture de Corben, le premier chapitre de « La Foire aux monstres » : incroyable hommage de Bernie Wrightson au film « Freaks » de Todd Browning (écrit par Bruce Jones). Ce grand thème Wrightsonien : Les monstres humains, les humains monstrueux. 25 ans après, j’en connais encore les textes par cÅ“ur. Autant vous dire que par la suite, mes rédactions de français prirent une tournure franchement gothique.

« La Foire aux monstres ».

Pour sûr, depuis mes 9 ans, je me suis épuisé les yeux à rechercher tout dessin portant le sceau Wrightson : dans les bacs à BD des vide-greniers d’avant Internet, guettant au sommaire des numéros de L’Écho des savanes Spécial USA, la moindre info concernant cet homme. En voiture, aussi, lors des longs et ennuyeux trajets, où je trompais mon ennui à regarder ses images. Même à l’église, où je cachais dans mes manches, une petite pile de trading cards avec les dessins de Bernie commentés par lui à l’arrière (une tradition américaine, surtout répandue autour de la figure des joueurs de base-ball, football ou basket).

Partout où je m’ennuyais adolescent, sur chaque bout de pierre, arbre ou mousse où portait mon regard, l’obsédant Bernie Wrightson m’inspirait des images, me soufflait des scènes, relevait la saveur des musiques que j’écoutais et des romans que je lisais. Plus encore que les filles (et pourtant…), ses dessins accompagneront mon adolescence et ma vie de jeune adulte.

Une image du « Frankenstein » de Bernie Wrightson.

Depuis mon tout premier bouquin dessiné au lycée (« Carnet de route d’un chasseur de lutins », où le nom de Wrightson se cache au moins 20 fois dans les détails), j’ai saigné des rétines pour chercher à comprendre comment l’encre posée sur du papier par Bernie Wrigthson pouvait porter si bien le fantastique, un si délicieux macabre, le retour à l’enfance et ses rêves de fantômes, de squelettes, de monstres et de dinosaures. En vain.

Bernie Wrightson était le digne fils de Graham Ingels : dessinateur particulièrement saisissant des goules des Tales from the Crypt dans les fameux E.C Comics des années 1950.

Dix ans après, Bernie publiera son premier dessin dans le courrier des lecteurs du repreneur de cette tradition : Creepy. Il a alors 17 ans.

Premier dessin publié de Bernie Wrightson dans le courrier des lecteurs de Creepy.

Né en 1948, à deux jours d’Halloween (ça ne s’invente pas), il était de la génération qui comptait son ami Stephen King, Steven Spielberg, John Landis (« Thriller »), Joe Dante (« Piranhas », « Hurlements », « Gremlins »…) ou George Romero : le réalisateur de « La Nuit des morts-vivants » qui réalisera « Creepshow », écrit par King, et dont l’adaptation en comics sera dessinée par Wrightson.

Jeune prodige, Bernie Wrightson (qui signait encore Berni) a commencé professionnellement en 1968, âgé d’à peine 20 ans, dans les revues Creepy, Eerie et Vampirella : les fameux Warren Magazines qui reprenaient la tradition des comics d’horreur des années cinquante (ceux que le Maccarthysme et quelques pisse-froid déguisés en psychanalystes avaient fait brûler par milliers dans l’Amérique anti communiste de cette période). Dans ces magazines, il trouvera une famille de dessinateurs aussi fous et géniaux : Richard Corben, Jeff Jones, Steve Ditko, Gene Colan, quelques vétérans des E.C. Comics et, surtout, les couvertures du fantastique Frank Frazetta — son idole de toujours — décédé en 2010.

Une image du « Frankenstein » de Bernie Wrightson.

Le travail de Bernie Wrightson le plus personnel restera probablement son plus fameux aussi : l’adaptation qu’il a faite du roman « Frankenstein » de Mary Shelley. Pendant 5 ans (de 1976 à 1983), il a mené en parallèle d’autres travaux ce chantier gigantesque, empreint du grandiose graveur Gustave Doré, de Franklin Booth et du romantisme macabre de ce chef-d’œuvre de la littérature gothique.

Bernie Wrightson était un homme de cœur.

Hier soir encore, j’ai confié à ma femme mon hésitation à lui envoyer mon dernier livre (« Fox-Boy » T2), tout en renonçant aussi vite, et à nouveau, à cette idée. Car en vérité, à bientôt 40 ans, je suis né au minimum 10 ans trop tard pour avoir eu le temps d’abattre le travail acharné qu’il aurait fallu pour progresser et, ainsi, seulement envisager ne pas être trop ridicule, ni trop prétentieux en lui envoyant l’un de mes bouquins, avec une bafouille maladroite en anglais, qui tenterait de dire en gros : « Je vous dois TOUT ! »

Évidemment, la nouvelle de sa mort ne surprend pas ses admirateurs. Nous savions, depuis quelques années, que la maladie était là, implacable, et le peu d’informations concrètes données par sa femme Liz présageait du pire, sans jamais céder au désespoir.

Une trading cards illustrée par Wrightson.

D’origine catholique (il était de souche polonaise comme cet autre génie des comics qu’est Bill Sienkiewicz), je pense que la foi accompagnait Bernie : une récente vidéo le montrait dans son atelier, peuplé de dinosaures et autres figurines des monstres de la Universal. Au mur, un petit crucifix.

Alors, moi qui suis athée et mécréant, à lui qui m’aura accompagné tant de fois à ses offices forcés à l’église, sous la forme des petites cartes évoquées plus haut, et même en pensées lors d’enterrements, je lui souhaite de retrouver, en route avec Chuck Berry pour l’accompagner, les amis et les frères nombreux avec qui il a tant fait avancer la cause du rêve.

Adieu mon ami inconnu.

Laurent LEFEUVRE 

NB : Laurent Lefeuvre est en train de boucler une adaptation des contes de Claude Seignolle (« Comme une odeur de loup ») pour les éditions Mosquito. Toute son influence Wrightson s’y verra comme jamais, comme vous pouvez déjà le constater sur cette avant-première.

« Comme une odeur de loup » par Laurent Lefeuvre.

Galerie

13 réponses à RIP Bernie Wrightson (1948-2017)…

  1. Jean Depelley dit :

    Sublime eulogie ! Bravo et merci, Laurent ! Quelle perte pour la BD…

    • Lefeuvre dit :

      … et quelle perte humaine !

      Car comme son admirateur et collègue français Ciro Tota, je ne connais PERSONNE qui n’ait jamais mentionné à quel point Bernie était un homme délicieux.

      Mais toi et moi aurons bientôt l’occasion de lui rendre hommage, dans quelques mois.

  2. Mariano dit :

    Bel hommage !

  3. Franck dit :

    Merci Laurent. Et content que ton article ait paru ici.
    Hâte de lire ton album chez Mosquito. j’en salive d’avance. (Depuis le temps) ;-)

  4. Thark B. dit :

    ……. !!! Quelle triste, méchante (et injuste, comme toujours) nouvelle… ! Pourtant fan depuis ma découverte-choc, à l’adolescence, de « Creepshow » et de « La Foire aux Monstres », puis de ses fabuleuses illustrations frankensteinesques et de tant d’autres petites merveilles, je ne savais même pas que l’Artiste était malade à ce point… !… Snif…
    La nouvelle est d’autant plus cuisante que, notamment grâce à l’anthologie-coup de poing de sa période Warren (éditée en France par Délirium, ouvrage magnifique dont parle très bien Cecil McKinley ici-même http://bdzoom.com/80755/comic-books/special-bernie-wrightson/), j’étais reparti en exploration de ses 70/80s glorieuses tout en admirant (et en décortiquant) ses travaux récents.
    Bref… Si je comprends bien, lui non plus n’était pas complètement immortel ?!? M….e alors, y’en a marre de cette liste de Géants qui nous quittent… (… et que la plupart des « grands » médias ignorent ou expédient en 10 secondes, d’ailleurs).
    Heureusement qu’on a le web et des passionnés respectueux pour rendre hommage à ces sacrés créateurs, comme c’est le cas dans ce bel article tout vibrant d’émotion. (merci Laurent Lefeuvre).

    Bon, puisque c’est ça, je vais ombrer/contraster mon prochain dessin avec tout un tas de vraies trames tracées à la main…

    • Lefeuvre dit :

      Merci pour votre message, Thark B.

      En effet, je partage ce sentiment que la Faucheuse (si souvent dessinée par Bernie), semble vouloir s’acharner à nous arracher ceux qui nous apportent de la lumière dans la noirceur.

      Vivement que cette tendance malheureuse s’inverse…

  5. Lefeuvre dit :

    Tiens !
    J’en profite pour remercier BDZoom, pour avoir donné un écho plus large à mon hommage.

    Son caractère « nombriliste » s’explique donc du fait que ce texte n’était originellement dédié qu’aux seuls lecteurs de mon blog et ma page Facebook.

    Heureux en cette triste occasion, de le partager ici avec vous.

  6. Box office Story dit :

    Très peiné de la perte de cet artiste génial.
    Je me souviens tout jeunot la découverte par hasard de son swamp thing, cela devait être un bouquin des éditions du fromage. Un choc.
    Impossible de parler de lui il suffit juste de regarder, tout simplement l’illustration de Frankenstein que vous proposez. Voila. C’est tout et c’est beau.

    • Lefeuvre dit :

      Bonjour Box office,

      oui, en vérité, à moi aussi, Bernie Wrightson est venu en tout premier… par le dessin d’une tête de Swamp Thing, imprimée en bleu dans un catalogue promotionnel de l’éditeur Arédit, et qui éditait donc à l’époque « La Créature du Marais (puisque c’est ainsi que nous connaissions alors la plupart des noms de super héros : traduits !).

      Avant de LIRE une simple case de Bernie Wrightson, le destin aura envoyé cet avant-goût en forme de teaser.

      À six ans, il n’y a pas meilleur « teaser » pour préparer un jeune esprit à comprendre le langage d’un artiste (car c’en était un).

      Mais après l’édition en petit format d’Arédit, je vous rejoins cher Box office, obtenir 10 ans plus tard, celle, magnifique, faite par les édition du Fromage de « La Créature du Marais », était un choc encore plus fort.

      Rien n’allait mieux à Bernie que le noir et blanc.

      Pour tout ça, merci encore une fois à Fershid Bharucha (éditeur et ami de Bernie – aujourd’hui dans l’affliction).

  7. Philippe dit :

    Je partage votre tristesse en apprenant la disparition de ce grand monsieur dont les images m’ont impressionné de tout temps par leur contenu et leur qualité jusqu’au moindre détail.
    Cette immense tristesse est en partie compensée par la découverte de l’oeuvre en préparation de Laurent Lefeuvre : comme d’autres ici avant moi, j’attends sa parution avec impatience.
    En tout cas, un grand merci pour le bel hommage que vous venez de rendre à Bernie Wrightson !

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