Quel plaisir, après des années et des années de chroniques sur les nouvelles parutions concernant le 9e art, de continuer à découvrir des auteurs prometteurs qui, d’emblée, semblent vraiment maîtriser les codes narratifs et graphiques de la bande dessinée ! C’est d’autant plus méritoire quand il s’agit d’un premier album en ce domaine : ce qui est le cas de Pierre Alexandrine avec son « Amourante ». Ce dense ouvrage de 230 pages, édité chez Glénat, nous propose un voyage aussi palpitant qu’amusant à travers les époques et les lieux, en remettant en question notre obsession tout à fait compréhensible de plaire perpétuellement et de ne pas mourir…
Lire la suite...« Verdad » par Lorena Canottiere

« Verdad » signifie vérité en espagnol et c’est un récit — dessiné par une auteure italienne — qui parle effectivement de l’Espagne, de la guerre d’Espagne, mais aussi, et c’est beaucoup moins courant, de Monte Verità : une communauté libertaire qui s’était installée en Suisse, au début des années 1900… Et ce qui est encore moins commun, c’est le graphisme de cet album, souvent fabuleux !
Verdad est le nom d’une jeune femme terriblement blessée lors d’un affrontement entre fascistes et anarchistes et qui se remémore sa vie, notamment sa jeunesse avec sa grand-mère, dans les Pyrénées : une grand-mère qui lui a dit des choses très dures sur sa mère. Cette dernière est revenue enceinte d’un « repaire de pervers ». Difficile pour la gamine de 8 ans de comprendre ce que signifie tant de haine moralisante et l’incroyable rejet pour le mystérieux séjour à Monte Verità dont elle est le fruit apparemment honteux, une « bâtarde », que sa mère a tenu à dénommer Verdad pour l’y associer définitivement.
Elle se rappelle ce trou perdu, pétri d’habitudes et de légendes, où vivait la grand-mère et y reviendra après sa mort. Elle s’intéresse bien davantage alors à « ce village sur les collines d’Ascona, sur le lac Majeur » où des idéalistes libertaires ont tenté de créer l’homme nouveau, prêchant la liberté, l’amour libre et allant jusqu’à abolir les vêtements. Toutes les contraintes urbaines et tous les conservatismes moraux devaient exploser. Écrivains, philosophes et artistes en tous genres s’y retrouvèrent, certains sont célèbres (Bakounine, Hermann Hesse, Otto Gross, Isadora Duncan, Kandinsky, Picabia…), mais l’homme est ainsi fait que les tensions émergèrent et dynamitèrent les bonnes intentions initiales.
On aurait aimé que l’auteure en dise un peu plus sur ce lieu que son personnage souhaite découvrir après la guerre et qui ne le pourra pas ; mais un petit dossier illustré fait le point, tout comme la préface d’Antonio Altarriba qui insiste sur les disparus de la Guerre d’Espagne et l’importance des assassinats franquistes.
La double démarche pour la liberté (la guerre, d’un côté, pour se débarrasser des dictatures politiques ; de l’autre côté, celle pour se détacher des dictatures morales et religieuses) tisse un récit sombre et lumineux à la fois. Outre l’originalité de la thématique, il faut enfin insister sur le travail artistique qui est à l’œuvre dans cet album. Lorena Canottiere superpose des aplats de couleurs à des hachures colorées, composant peu à peu des images d’une incroyable puissance. On pense quelquefois à Mattotti, d’autant que l’auteure use, selon les séquences, de la bichromie ou du noir et blanc comme son illustre compatriote.
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
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« Verdad » par Lorena Canottiere
Éditions Ici Même (24 €) – ISBN : 978-2-3691-2033-9